Syrie : reconstruction difficile face aux tensions religieuses croissantes

Près de quatre mois après la chute du régime de Bachar al-Assad, la Syrie peine à se relever. Alors que le pays tente d’entrer dans une phase de transition politique, les profondes fractures religieuses et communautaires compromettent déjà les espoirs d’unité nationale, y compris au sein de l’islam sunnite majoritaire.

La nomination d’un nouveau gouvernement de transition, censé amorcer la reconstruction, suscite scepticisme et mécontentement dans plusieurs régions du pays, tandis que des tensions grandissantes au sein même de la majorité sunnite risquent d’enflammer une société déjà fragmentée.

Un gouvernement de transition déjà contesté

Présenté comme un pas vers la stabilité, le nouveau gouvernement peine à convaincre. Plusieurs Syriens interrogés par Euronews dénoncent l’exclusion de certaines communautés et régions.

À Homs, un habitant critique un gouvernement « plus qatari que syrien », soulignant que bon nombre de ses membres vivaient et travaillaient au Qatar avant leur nomination. Dans la campagne de Damas, la désignation du ministre de la Justice fait polémique. Celui-ci est accusé d’avoir publié des contenus haineux sur les réseaux sociaux avant de supprimer ses comptes. « Ce poste devait revenir à un spécialiste du droit, pas à un idéologue », déplore un résident.

À Deraa, région historiquement rebelle, l’absence totale de représentation dans le gouvernement soulève la colère. « Depuis la chute du régime, nous sommes ignorés. Cela en dit long sur les intentions réelles des nouveaux dirigeants », déclare un habitant.

Fracture religieuse chez les sunnites : les soufis ash’arites ciblés

Alors que la Syrie est majoritairement sunnite, une nouvelle ligne de fracture interne se dessine au sein même de cette communauté. Les soufis ash’ari, connus pour leur approche spirituelle et modérée de l’islam, sont de plus en plus harcelés dans plusieurs villes.

À Hama, des mosquées affiliées aux Ash’arites ont été prises pour cibles par des jeunes salafistes, qui en ont chassé les prédicateurs pour les remplacer par des figures proches de leur vision rigoriste de l’islam. Ces agressions ne se limitent plus aux expulsions : un véritable “contrôle religieux” s’installe, avec une volonté affirmée d’imposer une seule ligne doctrinale.

« Depuis le Ramadan, nos mosquées sont systématiquement visées. Des jeunes sans formation religieuse nous remplacent pour prêcher un islam uniforme et radical », confie un cheikh de Hama.

Des responsables religieux dénoncent une stratégie délibérée visant à réécrire l’identité religieuse de la ville. Ils appellent à la création de commissions indépendantes pour enquêter sur ces violations et protéger les lieux de culte.

Nomination du Grand Mufti : entre réforme et discorde

Dans ce climat tendu, la nomination du cheikh Osama al-Rifai au poste de Grand Mufti de Syrie a déclenché une nouvelle polémique. Présentée comme une étape vers la reconstruction de l’institution religieuse, cette décision du président de transition Ahmed al-Charaa divise profondément.

« Le rôle de la fatwa sera essentiel pour rebâtir la Syrie », a déclaré Al-Charaa, lors de la conférence marquant la création du Conseil suprême de la fatwa, désormais dirigé par Al-Rifai.

Mais si certains y voient une tentative de régulation du chaos religieux, d’autres y perçoivent un nouveau levier de domination confessionnelle. Sur les réseaux sociaux, des campagnes hostiles au nouveau mufti ont émergé, menées notamment par des cheikhs salafistes qui dénoncent sa prétendue indulgence envers les autres courants religieux.

Des voix s’élèvent pour appeler le Grand Mufti à condamner fermement les discours de haine et à interdire toute incitation à la violence depuis les chaires des mosquées.

Un avenir incertain pour la Syrie post-Assad

La Syrie fait face à un double défi : reconstruire un pays dévasté par plus d’une décennie de guerre, tout en apaisant des tensions communautaires de plus en plus explosives. La situation actuelle rappelle à beaucoup le scénario irakien, où la chute de Saddam Hussein a ouvert la voie à un conflit confessionnel sanglant.

Si le gouvernement de transition veut éviter une spirale similaire, il devra rapidement inclure toutes les composantes de la société syrienne, rétablir la confiance et garantir la liberté religieuse dans un pays dont l’unité reste fragile et menacée.

Didier Maréchal

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