Arménie-Iran : des manœuvres militaires conjointes vues comme un message politique à l’Azerbaïdjan

Les 9 et 10 avril 2025, l’Arménie et l’Iran ont mené des manœuvres militaires conjointes le long de leur frontière commune, une initiative sans précédent qui intervient dans un contexte de fortes tensions régionales, notamment avec l’Azerbaïdjan. Officiellement, ces exercices visent à prévenir des attaques de groupes terroristes, mais pour de nombreux analystes, il s’agit d’un signal politique fort adressé à Bakou.

Une démonstration de force symbolique

Côté iranien, les exercices se sont déroulés dans la région de Norduz, à la frontière sud de l’Arménie, en face de la ville d’Agarak. Les images publiées par Téhéran montrent des unités spéciales du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), lourdement armées, manipulant des fusils de précision et lance-grenades antichars.

Côté arménien, l’armée a également procédé à des exercices, mais aucune image n’a été diffusée, et le lieu exact n’a pas été communiqué. Chaque armée est restée de son côté de la frontière, mais la coordination et le timing des manœuvres laissent peu de place au doute quant à leur dimension politique.

Un message clair à Bakou

Selon Eduard Arakelyan, expert militaire au Centre régional pour la démocratie et la sécurité, ces exercices ne sont pas anodins :

« Il s’agit surtout d’un signal politique. Chaque armée reste sur son propre territoire, mais le message est clair : l’Iran affiche son soutien à l’Arménie face à la pression de l’Azerbaïdjan. »

Même son de cloche du côté de Leonid Nersisyan, chercheur principal au centre d’analyse APRI Arménie :

« L’équipement observé chez les forces iraniennes est relativement léger. Cela montre que l’objectif est surtout politique. Mais c’est aussi une première forme de coopération militaire avec un voisin, qui pourrait s’intensifier. »

Le corridor de Zanguezour au cœur des tensions

Cette démonstration de force s’inscrit dans le contexte explosif des discussions autour du corridor de Zanguezour, que Bakou souhaite imposer de force à travers le sud de l’Arménie. Ce projet permettrait à l’Azerbaïdjan de relier son territoire au Nakhitchevan sans passer par l’Iran.

Or, pour Téhéran, cette éventualité est inacceptable. L’Iran a réaffirmé à plusieurs reprises son attachement à l’intangibilité des frontières internationales, voyant dans ce projet une menace directe à sa souveraineté régionale et à ses intérêts géopolitiques.

« Ces manœuvres militaires sont un message direct : l’Iran n’autorisera pas la modification des frontières dans le sud du Caucase », commente un diplomate régional sous couvert d’anonymat.

Une coopération inédite et stratégique

Il s’agit de la première fois que l’Iran et l’Arménie mènent des exercices militaires synchronisés à leur frontière. Arakelyan souligne que leur planification semble récente :

« Le ministère arménien parlait des 9 et 10 avril, alors que l’Iran évoquait les 10 et 11. Cela suggère une initiative rapide, peut-être liée à des événements récents. »

En 2023, l’Iran avait mené des manœuvres avec l’Azerbaïdjan, notamment en mer Caspienne. Aujourd’hui, les relations entre Téhéran et Bakou sont plus tendues, même si l’Iran ne cherche pas officiellement à rompre ses liens avec son voisin turcophone.

« Sur certains dossiers, comme celui du Syunik, les intérêts iraniens convergent clairement avec ceux de l’Arménie. Cela ouvre la voie à une coopération ponctuelle mais efficace », affirme encore Leonid Nersisyan.

Un avertissement régional déguisé en exercice

La tenue de ces exercices survient alors que la situation reste volatile à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, marquée par une recrudescence des tirs et provocations. Pour les analystes, le calendrier n’a rien d’innocent. En organisant des manœuvres coordonnées avec l’Arménie, l’Iran envoie un avertissement clair à l’Azerbaïdjan : une intervention militaire dans le sud de l’Arménie pourrait avoir des conséquences régionales plus larges.

Ces manœuvres arméno-iraniennes marquent un tournant dans l’équilibre stratégique du Caucase. Bien qu’elles soient présentées comme défensives, elles témoignent d’un rapprochement inédit entre Erevan et Téhéran. Si ce partenariat militaire reste encore modeste, il pourrait se renforcer à l’avenir, en réponse à l’activisme croissant de Bakou et à l’évolution incertaine des alliances dans la région.

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