À quelques jours du conclave qui doit élire le successeur du pape François, décédé le 21 avril dernier, le climat au Vatican est alourdi par deux polémiques majeures : la réapparition du cardinal péruvien Juan Luis Cipriani, accusé d’agressions sexuelles, et la mystérieuse « correction » de la date de naissance du cardinal burkinabè Philippe Ouédraogo, qui le rend de nouveau éligible au vote.
Juan Luis Cipriani : un retour qui scandalise les victimes
Le cardinal péruvien Juan Luis Cipriani, 81 ans, fait l’objet d’accusations d’agressions sexuelles remontant aux années 1980. Archevêque émérite de Lima et proche de Jean-Paul II qui l’a nommé cardinal en 2001, il avait été sanctionné en 2019 par le pape François : exil hors du Pérou, interdiction de porter les habits cardinalices, de faire des déclarations publiques et de représenter l’Église.
Pourtant, depuis la mort du pape François, Cipriani est réapparu publiquement à Rome. Il a été vu se recueillant devant la dépouille du pape défunt à la basilique Saint-Pierre, vêtu de la soutane noire, de la ceinture rouge et de la calotte cardinalice que François lui avait interdits. Ces apparitions ont provoqué l’indignation d’associations de victimes de violences sexuelles dans l’Église.
Le Réseau péruvien des survivants a dénoncé dans un communiqué un acte de « re-victimisation impardonnable », estimant que la présence ostentatoire de Cipriani « mine la confiance dans les critères de choix du prochain pontife ».
D’après le journal El País, le Vatican avait confirmé en janvier que les mesures disciplinaires à son encontre étaient toujours en vigueur. La victime présumée, aujourd’hui âgée de 58 ans, accuse Cipriani de l’avoir caressé et embrassé à plusieurs reprises lorsqu’il était âgé de 16 ou 17 ans.
Dans une lettre publiée dans les médias péruviens, Cipriani nie les faits : « Je n’ai commis aucun crime, ni en 1983, ni avant, ni après. » Il affirme avoir été sanctionné sans procès ni possibilité de défense, et soutient que François lui aurait permis en 2020 de reprendre ses fonctions pastorales.
S’il est exclu du vote papal du fait de son âge, Cipriani a néanmoins accès aux réunions préparatoires du conclave. Une présence dénoncée par Anne Barrett Doyle, de l’ONG Bishop Accountability, qui parle d’un « terrible décalage entre les paroles de l’Église et ses actes ».
Fraude sur l’âge ? Les cas troublants de Philippe Ouédraogo et John Njue
Dans un autre registre, c’est un subtil changement dans les archives qui a fait polémique : la date de naissance du cardinal burkinabè Philippe Ouédraogo a mystérieusement changé dans l’Annuaire pontifical 2025. Alors qu’il devait atteindre ses 80 ans le 25 janvier 2025 — âge qui le rendait inéligible pour le conclave — sa nouvelle date officielle est désormais fixée au 31 décembre 1945. Résultat : il peut encore voter.
Interrogé par des médias néerlandais, Ouédraogo a déclaré : « Dans mon village, il n’y avait ni hôpitaux, ni écoles. Je suis né à la maison, sans registres ni témoins. » Ce n’est qu’en 1973, en France, pour des besoins administratifs, qu’il aurait choisi, avec l’économe du diocèse, une date de naissance approximative.
Mais ce changement de date, juste à temps pour sauver son droit de vote, suscite des soupçons dans un contexte de tensions internes. D’autant plus que le cardinal kényan John Njue aurait connu une manœuvre similaire : entre deux éditions de l’Annuaire pontifical, sa naissance aurait reculé de 1944 à 1946, ce qui lui aurait aussi rendu éligible au conclave… même s’il a annoncé ne pas y participer pour raisons de santé.
Un conclave sous le signe de la défiance
Ces deux affaires entachent la crédibilité d’un conclave déjà attendu avec anxiété. Si le pape François a été reconnu comme l’un des pontifes les plus engagés dans la lutte contre les abus, de nombreuses associations estiment que ses réformes restent incomplètes, surtout tant que la « tolérance zéro » ne figure pas dans le droit canon.
« Tant que cela ne devient pas une loi explicite de l’Église, ce n’est qu’un slogan vide de sens », déplore Matthias Katsch, survivant allemand et militant de l’association Eckiger Tisch.
Alors que les cardinaux s’apprêtent à entrer en conclave le 7 mai sous la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange, l’Église est confrontée à un autre jugement, celui de l’opinion publique et des fidèles : celui de sa propre transparence, cohérence et volonté de réforme.