La situation politique au Mali se tend à nouveau alors que l’opposant Mamadou Traoré, président du parti Alternatives pour le Mali, sera jugé le 12 juin prochain pour « atteinte au crédit de l’État ». Incarcéré depuis le 24 avril à la suite d’une interview critique envers les autorités de transition, son arrestation a ravivé les inquiétudes autour des libertés politiques et de l’avenir du pluralisme au Mali.
Une arrestation controversée
Membre actif de la coalition d’opposition Jigiya Koura – Espérance nouvelle, Mamadou Traoré, surnommé « le Roi », est poursuivi pour des propos tenus dans une interview diffusée sur une webtélé le 22 avril. Il y dénonçait les privilèges accordés aux membres du Conseil national de transition (CNT), pointant du doigt leurs salaires « faramineux » alors qu’ils n’ont pas été élus, mais nommés par la junte militaire. Il accusait également les membres du CNT de « travailler pour leur intérêt personnel et non pour la patrie », dénonçant leur silence face à la menace de dissolution des partis politiques.
Il avait également remis en question la légitimité du référendum constitutionnel de 2023 et critiqué le maintien des militaires au pouvoir malgré leurs promesses de transition. Ces déclarations lui valent aujourd’hui d’être poursuivi pour « atteinte au crédit de l’État » et « diffusion de fausses nouvelles » par le pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre la cybercriminalité.
Déjà emprisonné l’an dernier pendant plus de cinq mois pour avoir organisé une réunion politique alors que toute activité partisane était suspendue, Mamadou Traoré incarne aujourd’hui la résistance à la dérive autoritaire du régime. L’un de ses militants a récemment été condamné à un an de prison pour avoir qualifié les autorités de « juntes » et critiqué le général Assimi Goïta.
Une opposition sous pression
La répression ne touche pas que Mamadou Traoré. Une centaine de partis politiques maliens ont récemment exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils qualifient de volonté manifeste de la junte de les dissoudre, à l’image de ce qui s’est passé au Burkina Faso et au Niger. Réunis dans une rare prise de position commune, ces partis ont accusé les autorités de vouloir imposer une « refondation politique » unilatérale.
En ligne de mire : les consultations lancées par les militaires pour redéfinir le paysage politique malien, dont une des propositions phares serait la dissolution totale ou la réduction drastique du nombre de partis politiques, au nom de la stabilité. Les partis politiques dénoncent un projet antidémocratique visant à éliminer toute opposition organisée.
Ils demandent le report immédiat des consultations annoncées pour adopter une nouvelle charte des partis politiques, issue des recommandations de la Conférence nationale de reconstruction de décembre 2022.
Mobilisation citoyenne pour la démocratie
Face à cette pression croissante, la mobilisation s’intensifie. Le samedi 3 mai, une grande manifestation organisée devant le Palais de la Culture de Bamako a rassemblé plusieurs dizaines de partis politiques pour réclamer le retour à l’ordre constitutionnel, la libération de Mamadou Traoré et le respect des libertés fondamentales.
Le lendemain, ce sont les Jeunes leaders de la société civile et de la scène politique qui se sont rassemblés à leur tour à la Maison de la Presse, malgré des tentatives d’intimidation. Des groupes de jeunes favorables à la junte ont tenté d’empêcher l’accès à la salle, mais les organisateurs ont maintenu leur conférence et ont publié un manifeste appelant à la mobilisation générale et pacifique contre les dérives du pouvoir.
« Nous avons été surpris de trouver sur place un attroupement de certains jeunes instrumentalisés qui ont tenté de nous barrer l’accès à la salle. Malgré la pression, nous avons pu faire notre déclaration », a déclaré Moctar Ousmane Sy, président du mouvement Génération engagée.
Dans leur manifeste, ces jeunes leaders rejettent fermement les propositions de la junte, notamment l’octroi d’un mandat présidentiel de cinq ans sans élection au général Assimi Goïta, et réaffirment leur attachement aux principes démocratiques.
Un climat de plus en plus répressif
Le procès imminent de Mamadou Traoré illustre un climat politique marqué par la répression des voix dissidentes. Plusieurs personnalités politiques et figures de la société civile ont été arrêtées ou condamnées ces derniers mois pour des prises de parole critiques. Des organisations internationales comme Amnesty International, Human Rights Watch ou encore la FIDH dénoncent régulièrement des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales au Mali.
Alors que la junte militaire semble vouloir prolonger indéfiniment la transition sans élections, les signes de rupture politique se multiplient. Dans un contexte sécuritaire et économique très difficile, de nombreux Maliens redoutent une dérive autoritaire durable.
Le sort de Mamadou Traoré, et plus largement celui des partis politiques, pourrait devenir un tournant décisif dans la trajectoire politique du Mali.