Quand l’inceste se pare de rhétorique panafricaniste : une dangereuse dérive idéologique

Le 27 mai 2025, l’artiste camerounais Saint Désir Atango a publié sur les réseaux sociaux un message dans lequel il reconnaît avoir entretenu des relations sexuelles avec ses deux filles biologiques, qualifiant ces actes d’« unions consenties », et les justifiant par une démarche qu’il présente comme spirituelle et politique. L’homme affirme agir au nom de la « libération de l’Afrique » contre les « dogmes religieux impérialistes » et en appelle à une réforme des lois relatives à l’inceste.

De telles déclarations, d’une extrême gravité, appellent une analyse rigoureuse, au-delà de l’émotion légitime qu’elles suscitent. Elles soulèvent des questions fondamentales sur la responsabilité individuelle, les usages dévoyés du discours identitaire, et les limites à ne pas franchir au nom d’une quelconque tradition ou lutte anticoloniale.

Dans son texte, Saint Désir Atango se présente comme un « animiste fondamentaliste », déclarant que sa spiritualité reconnaît « l’importance du pur sang » et revendiquant l’inceste comme un acte originel légitime. Il écrit notamment : « Si Dieu avait quelque chose contre le fait que le père soit le premier mari de sa fille, il n’aurait pas permis la naissance du beau gosse ».

Ce type de raisonnement relève d’une inversion perverse des normes : il tente de faire passer un acte pénalement et moralement condamnable pour une revendication identitaire légitime. Cette posture repose sur une confusion volontaire entre spiritualité autochtone et permissivité morale. Or, aucune tradition africaine authentique ne légitime l’exploitation sexuelle de ses propres enfants. Il ne s’agit ici ni de libération, ni de réappropriation culturelle, mais d’une manipulation idéologique grave.

Il ne fait aucun doute que de nombreuses normes sociales et morales imposées à l’Afrique depuis la colonisation méritent d’être interrogées. Mais l’invocation de la souveraineté culturelle pour justifier l’inceste constitue une dérive intellectuelle et politique majeure. Elle affaiblit les luttes légitimes pour l’émancipation culturelle, en les entachant de propos et de pratiques qui heurtent les principes fondamentaux du droit et de la dignité humaine.

Ce cas illustre la manière dont certaines figures publiques, parfois perçues comme des « leaders spirituels » ou des « éveilleurs de conscience », peuvent basculer dans un discours sectaire, justifiant des abus sous couvert de « retour aux sources ». Il s’agit là d’un mécanisme bien documenté dans les dynamiques sectaires à travers le monde.

L’inceste, en droit camerounais comme dans la plupart des systèmes juridiques internationaux, constitue un crime, indépendamment des croyances personnelles. Il ne peut être relativisé par une lecture subjective des traditions. Le consentement des victimes, dans une relation aussi fortement déséquilibrée que celle entre un parent et son enfant, est juridiquement et éthiquement inopérant. La responsabilité de l’adulte ne peut être éludée.

La justice camerounaise est donc tenue d’agir avec rigueur. Si les faits sont avérés, il s’agit non seulement de protéger les victimes, mais aussi de rappeler que nul ne peut se soustraire à la loi au nom d’un particularisme culturel ou spirituel.

Dans sa publication, l’artiste évoque également un conflit autour d’un projet foncier (le lac d’Akak1) et une rivalité liée à une succession traditionnelle au sein du groupement d’Ebang, dont l’issue pourrait être influencée par son incarcération. Si ces éléments doivent être examinés, ils ne sauraient en aucun cas justifier ni atténuer la gravité des faits avoués.

Il appartient aux institutions judiciaires de vérifier si ces déclarations relèvent d’une stratégie de défense ou s’inscrivent dans un contexte de règlement de comptes local. Mais là encore, l’analyse ne peut éluder la priorité de l’intérêt des victimes présumées.

Cette affaire révèle les risques que comporte l’utilisation abusive du discours identitaire et anti-occidental pour justifier des atteintes graves à la personne humaine. Elle montre aussi l’urgence de mieux encadrer les discours religieux ou spirituels alternatifs, qui, en l’absence de contrôle, peuvent servir de couverture à des pratiques criminelles.

La libération de l’Afrique ne passera ni par l’abolition du droit, ni par la remise en cause des interdits fondamentaux qui protègent l’intégrité physique et psychologique des individus. Elle passera par une reconquête éthique, dans laquelle la responsabilité individuelle et la protection des plus vulnérables seront centrales.

Céline Dou

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