Une initiative inédite du gouvernement de Nouakchott ravive les plaies d’un passé douloureux et suscite des réactions contrastées entre espoir et frustration.
Le gouvernement mauritanien a annoncé, ce week-end, une proposition d’indemnisation d’un montant de plus de 27,5 milliards d’anciennes ouguiyas, soit environ 59 millions d’euros, destinée aux victimes afro-mauritaniennes des violences interethniques qui ont ensanglanté le pays entre 1989 et 1991. Cette offre marque une étape importante dans le processus de reconnaissance des exactions commises durant cette période sombre de l’histoire nationale.
Un geste d’apaisement attendu depuis plus de trois décennies
Entre 1989 et 1991, la Mauritanie a connu une série d’événements dramatiques : expulsions massives, exécutions sommaires, et disparitions forcées visant principalement des communautés noires mauritaniennes, notamment les Peuls, Soninkés et Wolofs. Ces violences avaient profondément divisé le pays et laissé des milliers de familles endeuillées ou exilées.
Plus de trente ans plus tard, l’État tente un geste de réparation symbolique et financier. Selon Lo Souleymane, l’un des représentants des victimes impliqué dans les négociations, cette proposition constitue « l’aboutissement d’un long processus » :
« Les négociations ont duré longtemps. Il y a quatre mois, nous avions transmis notre feuille de route avec ses conclusions au président de la République. Nous demandions 35 milliards d’anciennes ouguiyas pour solder le passif humanitaire de l’ensemble des victimes. La réponse du chef de l’État nous a été donnée par le canal de la primature : il en propose un peu plus de 27 milliards. Mais rien n’est définitif : c’est une proposition de l’État que nous devons transmettre aux ayants-droits. »
Des victimes partagées entre reconnaissance et colère
Si certains saluent une ouverture politique inédite, d’autres dénoncent une réparation incomplète et un refus persistant de vérité et de justice.
Le Collectif des veuves et orphelins de Mauritanie a exprimé sa profonde déception face à ce qu’il considère comme une réponse purement financière à un drame humain et historique.
Sa présidente, Maimouna Alpha Sy, affirme :
« Tout ce que nous demandons, c’est que justice soit faite et que toute la transparence sur les faits soit établie. L’argent ne nous intéresse pas si la vérité n’est pas dite sur les massacres et si les bourreaux ne sont pas jugés. Il faut qu’il y ait une commission d’enquête indépendante pour qu’on sache ce qu’il s’est passé. L’argent ne peut pas remplacer ce qu’ils ont fait, jamais de la vie ! »
Un débat national sur la mémoire et la justice
La proposition du gouvernement intervient alors que la question du “passif humanitaire” demeure l’un des sujets les plus sensibles de la société mauritanienne. Les précédents gouvernements avaient évoqué la réconciliation, mais sans aboutir à de véritables poursuites judiciaires ni à une reconnaissance officielle des responsabilités.
L’initiative actuelle, si elle venait à être acceptée, pourrait ouvrir la voie à une politique de réparation, mais elle risque aussi de raviver les tensions si les victimes estiment que l’État cherche à tourner la page sans dire toute la vérité.
En résumé, cette proposition de 27,5 milliards d’ouguiyas constitue certes une avancée historique, mais elle met en lumière la fragilité du processus de réconciliation nationale. Entre mémoire, justice et réparation, la Mauritanie se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire contemporaine.