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Gouvernance numérique : entre justice globale et surveillance états-unienne

Alors qu’un nombre croissant d’acteurs internationaux plaident en faveur d’une gouvernance numérique plus équitable, l’administration des États-Unis d’Amérique durcit paradoxalement ses exigences de surveillance des étrangers sur les réseaux sociaux. Ce contraste met en lumière les tensions fondamentales qui traversent aujourd’hui les débats sur la justice numérique mondiale.

Réunies à Genève, des dizaines d’organisations de la société civile, des universitaires, des représentants étatiques et des experts technologiques participent cette semaine au Global Digital Justice Forum
. Objectif : repenser collectivement les principes d’une gouvernance numérique fondée sur l’inclusion, l’équité et la protection des droits fondamentaux.

Au cœur des discussions : la concentration des infrastructures numériques mondiales dans les mains d’un nombre restreint d’acteurs privés occidentaux ; les inégalités d’accès à la donnée et à l’intelligence artificielle ; les vulnérabilités sécuritaires des pays du Sud face aux cyberpuissances ; et la nécessité de préserver les libertés individuelles à l’ère des plateformes globales.

Plusieurs participants ont notamment dénoncé les logiques de double standard en matière de liberté d’expression et de protection de la vie privée, observables entre les citoyens des puissances dominantes et ceux des pays tiers. Des initiatives africaines ont souligné le besoin d’une souveraineté numérique accrue du continent, tant au niveau des infrastructures de données que de la gouvernance éthique de l’intelligence artificielle.

Dans le même temps, à des milliers de kilomètres de Genève, l’administration des États-Unis d’Amérique annonce un nouveau tour de vis sécuritaire concernant les demandes de visas étudiants. Désormais, les candidats étrangers devront rendre publics leurs profils sur les réseaux sociaux afin de permettre aux services d’immigration des vérifications approfondies de leurs opinions, de leurs fréquentations et de leurs publications.

Cette mesure s’ajoute à une longue série de dispositifs de filtrage numérique déjà mis en place au cours des dernières années. Officiellement justifiée par des impératifs de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme, cette pratique soulève de vives inquiétudes chez de nombreuses organisations de défense des libertés civiles, qui y voient une intrusion croissante de l’État états-unien dans la sphère privée des ressortissants étrangers.

Pour nombre d’observateurs internationaux, cette exigence pose un précédent dangereux : l’extension du contrôle sécuritaire au champ numérique, avec des critères d’analyse souvent opaques et potentiellement arbitraires, accentue les asymétries de pouvoir entre les États-Unis d’Amérique et les étudiants des pays du Sud.

Ce télescopage entre le discours international en faveur d’une « justice numérique » et le renforcement des pratiques unilatérales de surveillance met en lumière les rapports de force sous-jacents à la gouvernance d’Internet. Les États-Unis d’Amérique, acteurs centraux des infrastructures et des plateformes globales, demeurent largement en position de définir les normes d’accès et de contrôle des flux numériques.

Cette dynamique nourrit un malaise croissant parmi de nombreux pays émergents et organisations internationales, qui appellent à une démocratisation effective de la gouvernance d’Internet, sur le modèle multilatéral. La maîtrise des données personnelles, la protection des libertés fondamentales et la souveraineté des nations sur leur patrimoine numérique deviennent des enjeux diplomatiques de premier ordre dans le nouvel ordre international en construction.

À l’heure où l’intelligence artificielle, les algorithmes prédictifs et les mégadonnées façonnent de plus en plus nos sociétés, la tension entre logique sécuritaire et respect des droits humains s’intensifie, révélant un déséquilibre structurel dans la gouvernance globale du numérique.

Derrière les intentions affichées de justice numérique globale, se dessine une bataille géopolitique majeure pour le contrôle des flux d’information et des libertés individuelles dans un monde toujours plus interconnecté et asymétrique.