À Büren, une campagne municipale contre le harcèlement en piscine provoque un malaise profond. Loin de représenter la réalité, elle révèle la dérive symbolique de certaines institutions occidentales, plus soucieuses d’éviter les stéréotypes que de dire les faits.
Il s’agissait d’une initiative locale, bien intentionnée. Une affiche placardée à Büren, petite ville d’Allemagne, montrait une femme blanche se penchant de manière intrusive vers un enfant noir en fauteuil roulant, accompagnée d’un message de prévention contre les comportements inappropriés dans les piscines publiques. Mais en quelques jours, cette campagne a provoqué un tollé national. Pourquoi ? Parce qu’elle donne à voir un monde inversé, plus soucieux d’équilibre symbolique que de vérité observable.
La polémique soulevée en Allemagne n’est pas qu’une affaire d’image. Elle cristallise un débat plus large, propre aux sociétés occidentales : comment lutter contre les violences, sans mentir sur leur nature ? Peut-on prévenir sans représenter fidèlement ? Et surtout : que devient la démocratie lorsque ses institutions renoncent à nommer les faits pour des raisons idéologiques ou morales ?
L’affiche incriminée s’inscrit dans une série de visuels visant à sensibiliser les jeunes à la question du harcèlement dans les lieux publics. Selon les concepteurs, l’objectif était de briser les stéréotypes : montrer que tout le monde peut être victime, tout le monde peut être auteur. Une intention louable. Mais cette généralisation égalitaire s’est heurtée à une réalité moins symétrique.
En Allemagne, comme dans plusieurs pays d’Europe occidentale, les incidents en piscine liés à des agressions sexuelles ont fait l’objet de signalements répétés ces dernières années. De nombreux rapports y compris émis par les autorités elles-mêmes indiquent que les agresseurs identifiés sont majoritairement de sexe masculin, souvent jeunes, parfois issus de l’immigration récente. Ce sont là des faits. Ils ne sont ni des accusations globalisantes, ni des jugements de valeur, mais des constats documentés.
Or l’image promue à Büren semble précisément vouloir ignorer cette réalité. En inversant les rôles de manière artificielle, elle donne l’impression d’un discours institutionnel qui ne cherche plus à décrire le réel, mais à le réécrire. Et ce choix soulève des questions lourdes : peut-on protéger les plus vulnérables si l’on refuse de regarder qui les menace réellement ?
Ce cas n’est pas isolé. Depuis plusieurs années, nombre de campagnes de sensibilisation dans l’espace occidental s’inscrivent dans une logique de déconstruction des stéréotypes, même si cela implique de détourner ou d’inverser les tendances observées. Le raisonnement est le suivant : pour éviter de stigmatiser certains groupes, mieux vaut brouiller les représentations, quitte à produire un message déconnecté de la réalité.
Cette approche, qui se veut inclusive, produit cependant un effet paradoxal. En niant les asymétries, elle remplace l’analyse par l’égalisation abstraite. Et ce faisant, elle décrédibilise la parole publique. Car dans une démocratie, la pédagogie ne peut se substituer à la vérité. Dès lors que l’institution ne reflète plus fidèlement les faits, elle cesse d’être perçue comme protectrice. Elle devient suspecte.
Ce malaise ne concerne pas seulement la ville de Büren. Il s’inscrit dans une crise plus profonde : celle du rapport occidental au réel, à la responsabilité, et à la représentation. À trop vouloir ménager les perceptions, les institutions perdent le fil du réel. Et à force de chercher à ne choquer personne, elles finissent par choquer tout le monde.
Car la population, elle, continue d’observer ce qui se passe. Elle connaît les déséquilibres, les tensions, les situations concrètes. Lorsque l’image officielle contredit de manière flagrante ce que chacun constate, un soupçon naît : celui que l’on ne dit plus ce qui est, mais ce que l’on voudrait faire croire. Et dans ce vide, se glissent alors les récits extrémistes, les récupérations idéologiques, ou pire : la défiance totale.
C’est là l’un des risques les plus graves pour les sociétés démocratiques. Car il ne peut y avoir de confiance sans vérité. Et il ne peut y avoir de justice sans lucidité.
Ce n’est pas l’image d’un enfant noir qui choque. C’est son instrumentalisation au nom d’une prétendue symétrie des rôles. C’est l’effacement des réalités concrètes au profit d’une fiction morale. Car oui, il arrive que des femmes harcèlent. Il arrive que des enfants blancs soient victimes. Mais est-ce, dans les piscines publiques d’Allemagne, la configuration la plus fréquente ? Non. Et c’est bien ce décalage entre le message affiché et le réel observé qui a suscité l’incompréhension.
Prévenir le harcèlement, protéger les mineurs, lutter contre les violences sexuelles : ces objectifs sont essentiels. Mais leur mise en œuvre exige rigueur, courage et fidélité aux faits. Non pas pour pointer du doigt, mais pour cibler les actions. Car on ne soigne pas une société en masquant ses symptômes.
Cette campagne n’est pas seulement maladroite. Elle est symptomatique d’une évolution dangereuse : celle qui place la correction morale au-dessus de la véracité, qui préfère la cohérence idéologique à la lucidité, et qui croit que la forme peut guérir le fond.
Or la démocratie n’est pas un théâtre d’ombres. Elle suppose une confrontation permanente avec la réalité, même lorsque celle-ci dérange. Et si les institutions publiques veulent encore inspirer confiance, elles doivent refuser de confondre inclusion et confusion.
La prévention des violences ne gagnera rien à être désincarnée. Au contraire, elle perdra en efficacité, en crédibilité, et en justice.