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Afrique du Sud : un recul du chômage qui masque une fragilité structurelle

Une baisse chiffrée mais non transformante

Selon le dernier rapport de Statistics South Africa, le taux de chômage officiel est passé de 33,2 % à 31,9 % au troisième trimestre 2025. En apparence, le pays sort lentement de l’étau du chômage de masse. En réalité, cette évolution demeure statistique, bien plus qu’économique.
Car derrière les chiffres se profile un marché du travail profondément déséquilibré : faible productivité, sous-emploi massif, et persistance du chômage de longue durée.

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Une économie fragilisée par des déséquilibres anciens

Depuis la fin du régime d’apartheid, l’Afrique du Sud vit avec l’un des taux de chômage les plus élevés du monde. Malgré une base industrielle solide, la désindustrialisation progressive, la crise énergétique récurrente et les défaillances logistiques freinent la compétitivité.
La dépendance à quelques secteurs mines, finance, services publics empêche la création d’emplois massifs et diversifiés.

Cette vulnérabilité est accentuée par la structure du marché du travail : près de 77 % des chômeurs le sont depuis plus d’un an, selon la Banque de réserve sud-africaine. La jeunesse, notamment les moins de 35 ans, paie le prix le plus lourd de cette inertie.

Des créations d’emplois à la portée limitée

Le trimestre écoulé a vu la création d’environ 248 000 emplois, principalement dans la construction, le commerce et les services communautaires. Ces secteurs, bien qu’importants, sont souvent associés à des emplois temporaires ou faiblement rémunérés.
En revanche, l’industrie manufacturière, moteur traditionnel de l’emploi stable, continue de se contracter.
Autrement dit : les emplois reviennent là où la productivité reste la plus basse, et non dans les segments capables de soutenir une croissance durable.

Le paradoxe du “recul officiel”

La légère baisse du taux de chômage officiel cache une autre réalité : celle du retrait de nombreux demandeurs d’emploi du marché du travail. Le taux élargi qui inclut les personnes découragées avoisine 42 %.
En d’autres termes, si moins de Sud-Africains sont comptabilisés comme chômeurs, ce n’est pas toujours parce qu’ils travaillent, mais parfois parce qu’ils ont cessé de chercher.

Une reprise sans transformation

Le gouvernement sud-africain se félicite de cette tendance, y voyant le signe d’un redressement. Mais l’absence d’un plan structurel fondé sur la relance de la productivité, l’investissement privé et la formation technique réduit la portée de cette amélioration.
Les programmes publics temporaires ou subventionnés, souvent coûteux, ne suffisent pas à inverser durablement la courbe du chômage.
Sans stratégie industrielle claire ni réforme énergétique aboutie, la “reprise” restera partielle et vulnérable.

Un miroir d’enjeux mondiaux

La situation sud-africaine illustre un phénomène plus large : dans de nombreux pays émergents, les statistiques de l’emploi s’améliorent sans que la réalité sociale ne suive.
L’informalité, le sous-emploi et la précarité deviennent des variables d’ajustement plutôt que des priorités de réforme.
Ce décalage entre chiffres officiels et vécu économique nourrit la défiance envers les institutions et alimente un sentiment d’immobilisme, particulièrement parmi les jeunes générations.

Le recul du chômage en Afrique du Sud ne traduit pas encore une embellie réelle, mais un répit comptable.
Tant que la croissance restera fragile et inégalement distribuée, la baisse du chômage demeurera un indicateur partiel, incapable de refléter la profondeur des fractures économiques et sociales du pays.
La stabilité sud-africaine dépendra moins des variations trimestrielles que de la capacité de l’État à repenser la structure même de son économie en misant sur l’investissement productif, la formation et la durabilité.

Celine Dou

Entre Malmö et Copenhague, le pont de l’Øresund relie deux économies que tout oppose

Sous le vent froid du détroit d’Øresund, un flux discret mais croissant de travailleurs suédois franchit chaque matin le pont qui relie Malmö à Copenhague. Ce ruban d’acier et de béton, long de huit kilomètres, incarne depuis vingt-quatre ans la coopération entre deux modèles nordiques réputés exemplaires. Mais aujourd’hui, il révèle surtout leurs contrastes économiques : d’un côté, la Suède et son chômage persistant ; de l’autre, le Danemark et son appétit insatiable de main-d’œuvre.

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Une traversée du travail

Alicia Höök, 31 ans, habitante de Malmö, a traversé le pont pour la première fois non pas en touriste, mais en quête d’un emploi. Licenciée d’une entreprise de commerce en ligne en février dernier, elle a envoyé plus de deux cents candidatures en Scanie sans succès. C’est finalement à Copenhague qu’elle a obtenu un entretien. « Ce n’est pas du tout cuit au Danemark non plus, mais là-bas au moins, ils cherchent du monde », confie-t-elle. Son cas illustre un mouvement de fond : celui de milliers de Suédois qui, faute d’opportunités chez eux, regardent vers l’autre rive.

Selon les chiffres officiels, le taux de chômage atteint 9,3 % dans la région de Scanie, avec des pointes à 13 % dans certaines communes, alors qu’il plafonne à 2,5 % au Danemark. À une heure de route seulement, deux réalités économiques s’observent sans se ressembler.

Deux modèles nordiques en décalage

Le contraste ne date pas d’hier. Le Danemark a su maintenir son dynamisme grâce à la « flexisécurité », un système qui combine flexibilité de l’emploi et sécurité des revenus. Il favorise les embauches rapides et une mobilité professionnelle constante. Les entreprises danoises, notamment dans la logistique, la santé et la construction, peinent aujourd’hui à recruter.

La Suède, en revanche, affronte un ralentissement prolongé : contraction du commerce en ligne, baisse de la production industrielle, hausse des coûts de l’énergie et politique monétaire rigide. Si le pays reste une puissance technologique, les mutations du marché du travail frappent plus durement les jeunes et les travailleurs peu qualifiés.

Ce décalage fragilise le modèle nordique, longtemps perçu comme un équilibre parfait entre prospérité et justice sociale. L’égalité vantée à Stockholm s’effrite ; le plein emploi célébré à Copenhague attire ses voisins.

Vivre en Suède, travailler au Danemark

Chaque jour, environ 17 000 personnes traversent l’Øresund pour rejoindre leur lieu de travail danois. Ce choix n’est pas sans coût : péage élevé, transports saturés, impôts transfrontaliers complexes. Pourtant, la différence salariale compense les contraintes. Beaucoup continuent de vivre en Suède, où le logement est moins cher, tout en profitant des salaires danois.

Mais cette mobilité reste fragile : la barrière linguistique freine certaines reconversions, et les statuts fiscaux des travailleurs frontaliers font régulièrement débat. Pour d’autres, cette migration du quotidien nourrit un sentiment d’exil intérieur : « On reste Scandinave, mais on ne se sent plus tout à fait chez soi », confie un technicien suédois rencontré à la gare d’Hylla.

Le miroir d’une Europe fragmentée

L’histoire d’Alicia et des navetteurs de l’Øresund n’est pas seulement nordique. Elle illustre un phénomène européen : les déséquilibres régionaux s’accentuent, même entre pays réputés stables. Les écarts de croissance, de fiscalité et de politiques publiques redessinent la carte sociale de l’Union européenne.

À travers ce pont, on aperçoit les limites d’un modèle que Bruxelles aime citer en exemple. L’Europe du Nord reste prospère, mais les fractures s’y creusent en silence : urbanisation rapide, vieillissement démographique, et désormais migrations économiques internes.

Le pont de l’Øresund, chef-d’œuvre d’ingénierie inauguré en 2000, devait symboliser l’union des peuples nordiques. Vingt-cinq ans plus tard, il révèle surtout que même les sociétés les plus égalitaires ne sont pas à l’abri de la divergence.

Entre Malmö et Copenhague, le pont continue de porter les rêves et les inquiétudes de toute une région. Il relie deux nations qui partagent la même mer, mais plus tout à fait la même prospérité. À mesure que les travailleurs suédois franchissent la frontière invisible du détroit, c’est toute l’Europe sociale qui se reflète dans leurs pas : un espace ouvert, mais inégalement respirable.

Celine Dou