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Climat : pourquoi la Suède, ancien modèle union-européen, voit ses émissions repartir à la hausse

Longtemps citée comme un exemple de transition écologique réussie, la Suède connaît depuis 2023 une inflexion nette de sa trajectoire climatique. Derrière ce retournement se dessine une réalité plus large : la fragilité politique des politiques environnementales dans les démocraties occidentales, y compris là où le consensus semblait solidement établi.

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Pendant plusieurs décennies, la Suède a occupé une place singulière dans le paysage climatique européen. Fiscalité carbone pionnière, mix énergétique largement décarboné, stabilité des orientations publiques : le royaume scandinave s’était imposé comme une référence, souvent invoquée par les institutions de l’Union européenne pour démontrer qu’ambition climatique et performance économique pouvaient coexister.

Or, depuis deux ans, cette trajectoire s’est interrompue. Les émissions nationales repartent à la hausse, certains instruments de politique environnementale sont démantelés et la crédibilité climatique de Stockholm est désormais questionnée par plusieurs organismes internationaux. Ce décrochage, discret mais mesurable, marque une rupture politique plus profonde qu’il n’y paraît.

Une transition historiquement ancrée dans l’État stratège

La réussite climatique suédoise ne relevait ni du hasard ni d’un simple volontarisme moral. Elle reposait sur des choix structurels opérés dès les années 1970, lorsque le pays, confronté aux chocs pétroliers, engage une transformation de long terme de son système énergétique. L’hydroélectricité, le nucléaire civil et les réseaux de chauffage urbain constituent alors les piliers d’un modèle visant à réduire la dépendance aux hydrocarbures importés.

À partir des années 1990, l’introduction d’une taxe carbone renforce cette architecture. Contrairement à d’autres États, la Suède fait le choix d’un outil fiscal lisible, progressif et relativement stable, permettant aux acteurs économiques d’anticiper. Cette continuité politique favorise l’acceptabilité sociale de la transition et explique, en grande partie, la baisse durable des émissions observée sur plusieurs décennies.

2022 : rupture politique et changement de priorités

L’alternance gouvernementale de 2022 marque un point de bascule. La nouvelle coalition au pouvoir, soutenue au Parlement par une droite nationaliste, assume une redéfinition des priorités publiques. La lutte contre l’inflation, la protection du pouvoir d’achat et la compétitivité industrielle prennent le pas sur les objectifs climatiques intermédiaires.

Dans ce cadre, plusieurs dispositifs structurants sont remis en cause : réduction des aides à l’achat de véhicules électriques, affaiblissement de la fiscalité environnementale, baisse de l’obligation d’incorporation de biocarburants dans les carburants. Présentées comme des mesures de “réalisme économique”, ces décisions traduisent en réalité un arbitrage politique explicite : ralentir la transition pour contenir les tensions sociales à court terme.

Les transports, révélateur du décrochage

Le secteur des transports concentre les effets de ce virage. En abaissant les exigences sur les carburants renouvelables, la Suède a mécaniquement favorisé le retour des carburants fossiles traditionnels. Cette évolution a suffi à inverser, en peu de temps, une dynamique climatique jusque-là maîtrisée.

Ce choix est d’autant plus significatif que les transports constituent, dans l’ensemble des États de l’Union européenne, le principal point de fragilité des stratégies de décarbonation. Là où certains gouvernements durcissent leurs normes ou accélèrent l’électrification, Stockholm opte pour une temporisation qui pèse lourdement sur son bilan climatique global.

Un avertissement pour l’Europe

Les signaux envoyés par les institutions internationales sont clairs. Plusieurs évaluations soulignent un affaiblissement de la fiscalité verte et une perte de cohérence des politiques climatiques suédoises. La perspective d’un non-respect des objectifs intermédiaires à l’horizon 2030, autrefois jugée improbable, est désormais évoquée ouvertement.

Certes, la Suède part d’un niveau d’émissions historiquement bas, ce qui rend toute hausse relative plus visible. Mais cet argument statistique ne suffit pas à masquer une réalité politique : la transition écologique, même lorsqu’elle semble consolidée, demeure réversible.

Une transition politiquement vulnérable

Le cas suédois met en lumière une tension centrale des démocraties occidentales. La transition écologique repose sur des politiques de long terme, tandis que les cycles électoraux privilégient des réponses immédiates aux contraintes économiques et sociales. Lorsque le consensus politique se fissure, les instruments climatiques deviennent des variables d’ajustement.

Pour autant, le soutien de la société suédoise à des politiques environnementales ambitieuses n’a pas disparu. Le débat porte moins sur la finalité que sur le rythme et le coût de la transition. Cette dissociation entre adhésion de principe et arbitrages gouvernementaux constitue l’un des enseignements majeurs du moment suédois.

Au-delà de la Suède, une leçon européenne

La Suède n’est pas un cas isolé, mais un révélateur. Son décrochage souligne les limites d’une transition écologique pensée comme acquise une fois les bons indicateurs atteints. Il rappelle que, sans continuité politique et sans instruments robustes, les avancées climatiques peuvent être rapidement remises en cause.

En ce sens, le recul suédois dépasse largement le cadre national. Il interroge la capacité de l’Union européenne et de ses États membres à inscrire durablement la transition écologique dans des choix politiques contraignants, capables de résister aux alternances et aux chocs économiques. Pour un pays longtemps érigé en modèle, la leçon est sévère : en matière climatique, l’exemplarité ne se décrète pas, elle se maintient.

Celine Dou, pour la boussole-infos

COP30 : ce que révèle réellement le sommet sur l’état de la gouvernance climatique mondiale

Plusieurs jours après la clôture de la COP30, l’heure n’est plus aux annonces politiques mais à l’analyse. Le sommet, marqué par l’incapacité des États à s’accorder sur une « feuille de route » claire pour sortir des énergies fossiles, révèle les limites persistantes de la diplomatie climatique. Derrière les communiqués consensuels, un paysage mondial fragmenté se dessine.

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Loin des déclarations d’intention, la COP30 laisse une impression contrastée : d’un côté, la reconnaissance croissante de l’urgence climatique ; de l’autre, l’impossibilité d’organiser un accord ambitieux dans un contexte de rivalités énergétiques et géopolitiques. Que retenir réellement de ce sommet ?

1. Un multilatéralisme climatique arrivé à saturation

La COP30 confirme un phénomène observable depuis plusieurs années : la difficulté des conférences internationales à produire des engagements contraignants.
Les négociations ont buté sur quelques points centraux :

  • la sortie progressive des énergies fossiles,
  • le financement de la transition pour les pays en développement,
  • le rôle des technologies de capture et stockage du carbone, défendues par plusieurs États exportateurs d’hydrocarbures.

Ces tensions traduisent la crise du multilatéralisme climatique : les États n’avancent plus au même rythme, ni avec les mêmes priorités.

2. La fracture entre modèles énergétiques devient décisive

Le sommet a révélé une opposition désormais frontale entre deux blocs énergétiques :

• Bloc 1 : les partisans d’une trajectoire de sortie des énergies fossiles

Porté notamment par la France, plusieurs pays européens, des États latino-américains et des insulaires particulièrement exposés aux risques climatiques.
Leur position : inscrire une date, même indicative, pour planifier la fin du charbon, du pétrole et du gaz.

• Bloc 2 : les États misant sur la prolongation des hydrocarbures

Ce groupe, mené par plusieurs grands producteurs du Moyen-Orient et d’Asie, défend une transition « réaliste », appuyée sur les technologies dites de « neutralisation » du carbone.
Leur logique : préserver leur modèle économique et éviter un choc énergétique mondial.

La COP30 montre ainsi que la transition énergétique n’est pas seulement une question environnementale, mais une bataille de modèles économiques.

3. Un réveil des pays émergents, devenus pivots de la négociation

Les économies émergentes Inde, Brésil, Indonésie, Afrique du Sud ont joué un rôle clé.
Elles ont refusé de signer des engagements jugés trop contraignants sans garanties de financements additionnels pour soutenir leur transition.

La question du financement demeure le principal obstacle :
sans ressources massives, la transition énergétique restera théorique.
La COP30 n’a pas permis de débloquer ce point.

4. Un déplacement du leadership climatique

La COP30 met également en évidence une recomposition du leadership climatique mondial :

  • L’Union européenne cherche toujours à entraîner les autres États, mais peine à convaincre.
  • Les États-Unis d’Amérique, en période de recomposition politique interne, ont limité leurs engagements.
  • Plusieurs pays du Sud global, dont le Brésil ou les Émirats arabes unis, tentent désormais d’imposer leur vision.

Le résultat est un système international sans chef de file incontesté, ce qui complique toute avancée ambitieuse.

5. Une crise de crédibilité des conférences sur le climat

Le décalage entre l’urgence scientifique et les compromis politiques fragilise la crédibilité des COP.
Pour de nombreux observateurs, la COP30 illustre un paradoxe :
jamais les États n’ont autant parlé de climat, et jamais les avancées n’ont été aussi limitées.

Ce déficit de résultats alimente la perception d’un processus essentiellement déclaratif.

Une COP révélatrice plutôt que transformatrice

En définitive, la COP30 n’a pas produit de rupture majeure.
Mais elle révèle plusieurs réalités structurantes :

  • la transition énergétique est désormais un axe central des rivalités de puissance ;
  • le multilatéralisme climatique atteint ses limites ;
  • les blocs énergétiques divergent davantage qu’ils ne convergent ;
  • sans financements crédibles, aucun accord ne peut mobiliser le Sud global.

Pour La Boussole – infos, la leçon principale est claire :
la gouvernance climatique repose moins sur les grandes conférences que sur des coalitions d’États partageant un même modèle énergétique.
L’avenir des politiques climatiques se jouera probablement dans ces alliances flexibles plutôt que dans les textes finaux des COP.

Celine Dou

Climat et savoirs autochtones : à Londres, le Prince William plaide pour une alliance entre tradition et modernité

L’appel du Prince William à inclure les voix autochtones dans l’action climatique internationale, lancé lors d’un débat de haut niveau dans la capitale britannique, marque une inflexion notable dans les discours institutionnels sur l’écologie mondiale.

Le 26 juin 2025, dans le cadre de la Climate Action Week organisée à Londres, le Prince William a présidé un débat réunissant des décideurs politiques, des philanthropes et des représentants de peuples autochtones. À l’issue de ces échanges, il a appelé à une mobilisation collective urgente pour préserver la planète, en insistant sur l’apport irremplaçable des savoirs traditionnels dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité et le dérèglement climatique.

Cet événement, soutenu par le Earthshot Prize une initiative environnementale lancée par le Prince en 2020 a mis en lumière une question de plus en plus pressante : comment réconcilier les approches scientifiques et les visions culturelles enracinées dans les territoires, souvent marginalisées dans les négociations climatiques internationales ?

Alors que les peuples autochtones représentent environ 5 % de la population mondiale, ils protègent plus de 80 % de la biodiversité restante sur Terre, selon les Nations unies. Ce paradoxe minoritaires en nombre mais essentiels en impact est au cœur des revendications actuelles en faveur d’une gouvernance écologique plus inclusive.

Lors du débat, plusieurs intervenants venus d’Amazonie, d’Afrique, d’Asie du Sud-Est ou encore des régions arctiques ont insisté sur l’importance des connaissances locales, souvent transmises oralement, dans la gestion des écosystèmes. En reconnaissant publiquement cette expertise ancestrale, le Prince William rejoint un mouvement grandissant qui appelle à intégrer les voix autochtones non pas comme simples « témoins » de la crise, mais comme co-constructeurs des solutions.

Les grands sommets sur le climat, à l’image de la COP28 tenue à Dubaï en 2023, ont souvent été critiqués pour leur approche trop technocratique, centrée sur les marchés carbone, les investissements massifs et les modèles occidentaux de transition énergétique. Or, pour de nombreux acteurs issus des peuples racines, cette vision ignore les dimensions sociales, spirituelles et territoriales du rapport à la nature.

« Il ne peut y avoir de justice climatique sans justice culturelle », a déclaré l’un des représentants présents, rappelant les multiples spoliations territoriales subies au nom du « développement durable ». Ces propos font écho aux critiques adressées à certains projets dits « verts » (barrages, parcs solaires, réserves naturelles fermées aux communautés locales), qui reproduisent parfois les logiques extractivistes qu’ils prétendent combattre.

Autre enjeu soulevé lors de cette rencontre : la place des grandes fondations et fonds privés dans le financement des politiques climatiques. Si leur soutien est souvent vital, notamment pour des initiatives locales hors des circuits institutionnels classiques, leur influence peut aussi poser des questions de gouvernance, de priorisation des projets et de rapports de pouvoir Nord-Sud.

Le Prince William, en position de figure médiatrice, semble avoir voulu faire le lien entre ces mondes encore trop cloisonnés : celui des grandes institutions occidentales, des innovateurs technologiques et des communautés enracinées dans des modes de vie bas carbone depuis des siècles.

Si le ton employé par le Prince William marque une avancée sur le plan symbolique, la reconnaissance réelle des peuples autochtones dans les négociations internationales demeure très partielle. À ce jour, ils restent sous-représentés dans les structures décisionnelles, souvent relégués à des « panels consultatifs » sans pouvoir contraignant.

Pourtant, dans un monde confronté à des crises écologiques systémiques, il devient de plus en plus clair que les réponses ne viendront pas uniquement des laboratoires ou des conférences internationales, mais aussi de l’écoute attentive des voix qui parlent depuis la forêt, la savane, la montagne ou les zones côtières.

France | Recours climatique : quand les citoyens rappellent l’État à ses responsabilités

Pluies torrentielles, forêts en flammes, sécheresses à répétition : sur tout le territoire français, les catastrophes liées au dérèglement climatique s’enchaînent. Face à ce qu’ils considèrent comme une défaillance grave de l’État, des citoyens sinistrés et plusieurs organisations ont saisi le Conseil d’État ce 25 juin. Leur objectif : contraindre le gouvernement à agir vite, fort, et de façon concrète.

Le recours déposé par une coalition d’associations environnementales et de victimes de catastrophes naturelles n’est pas seulement symbolique. Il vise à faire reconnaître une carence réelle de l’État français en matière d’adaptation au changement climatique.

Car si l’on parle beaucoup de neutralité carbone, les politiques concrètes de protection des populations, elles, avancent à pas lents. Zones inondables toujours urbanisées, habitants laissés sans relogement après des coulées de boue, services d’urgence débordés par les canicules : pour les requérants, le pays n’est pas préparé ou ne veut pas l’être.

Au cœur de la plainte : le non-respect des engagements inscrits dans la stratégie nationale d’adaptation, censée structurer la réponse de l’État face aux risques climatiques majeurs. Sécheresses, incendies, submersions marines, pénuries d’eau potable : tous ces phénomènes, autrefois qualifiés d’« exceptionnels », sont désormais récurrents.

Mais sur le terrain, les habitants ne voient ni plans de prévention réellement appliqués, ni accompagnement durable. Pour beaucoup, les mêmes erreurs se répètent d’année en année, aggravées par l’urbanisation incontrôlée, la sous-dotation des collectivités locales et l’absence de coordination nationale.

Ce recours n’est pas parisien, ni abstrait. Il vient de citoyens frappés dans leur chair : habitants du Pas-de-Calais noyés par les crues, riverains de la Loire en alerte permanente, agriculteurs en ruine dans le sud-ouest. Derrière les termes juridiques, il y a des visages, des histoires, des foyers détruits.

Et un constat partagé : la vulnérabilité au climat dépend aussi du niveau de vie, du lieu de résidence, du statut social. Ce que réclament les plaignants, c’est donc une adaptation juste, pensée à l’échelle des territoires et des personnes.

Ce n’est pas la première fois que l’État est poursuivi sur la question climatique. L’Affaire du Siècle, en 2021, avait déjà mis en lumière le manque de cohérence entre discours et actes. Mais cette fois, il ne s’agit pas seulement d’émissions de CO₂, mais de la capacité de l’État à protéger ses citoyens des effets visibles et actuels du dérèglement.

Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative du pays, est donc appelé à jouer un rôle inédit : non pas sanctionner un choix politique, mais rappeler que l’adaptation au climat relève du devoir de protection inscrit dans le droit français.

Trop longtemps, l’adaptation a été traitée comme un enjeu secondaire, presque défensif. Pourtant, pour les millions de Français vivant en zones à risques littoral, plaines inondables, territoires ruraux fragilisés, elle est devenue une question de survie.

Ce que souligne ce recours, c’est l’absence d’une vision d’ensemble : manque de relocalisation des logements, retard sur les infrastructures résilientes, sous-financement des agences de bassin, recul de l’ingénierie territoriale. Autant de signaux d’alerte qu’aucun gouvernement n’a réellement pris au sérieux.

En portant l’affaire devant le Conseil d’État, ces citoyens rappellent que l’action climatique ne peut plus être laissée aux bons sentiments ni aux promesses électorales. Elle est désormais une exigence démocratique, une question de justice, une obligation régalienne.

Si le juge leur donne raison, ce recours pourrait faire date, et ouvrir une nouvelle ère dans la gouvernance environnementale française : celle où l’inaction climatique ne sera plus seulement un scandale moral, mais une faute de droit.

Grossesses sous pression climatique : quand la chaleur menace la vie avant la naissance

Le réchauffement climatique n’épargne aucun corps, pas même celui de la femme enceinte. Tandis que les températures mondiales grimpent, les risques liés à la grossesse augmentent : naissances prématurées, stress fœtal, complications maternelles, voire mortalité périnatale. Un enjeu de santé publique encore largement ignoré dans les stratégies climatiques internationales.

Chaque jour un peu plus chaud que le précédent. Chaque saison un peu plus longue, plus sèche, plus suffocante. Dans ce monde en surchauffe, le corps de la femme enceinte devient un terrain fragile, exposé à des agressions physiologiques qu’on commence tout juste à comprendre scientifiquement.

Les chiffres sont éloquents. Selon une méta-analyse récente couvrant 940 villes dans 247 pays, les « jours à risque thermique pour la grossesse » ont doublé en moins de deux décennies. Dans certains pays comme l’Inde ou l’Australie, les femmes enceintes doivent désormais composer avec jusqu’à six semaines supplémentaires de chaleur dangereuse chaque année.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte : l’exposition à des températures supérieures à 35 °C pendant plusieurs jours consécutifs augmente de façon significative le risque de naissance prématurée, de faible poids à la naissance et de mortinatalité. Ces effets ne sont pas théoriques. Ils sont observés, documentés, quantifiés.

Pourquoi la grossesse est-elle si sensible à la chaleur ? Parce que le métabolisme maternel s’intensifie naturellement durant la gestation. Le volume sanguin augmente, le rythme cardiaque s’accélère, la température corporelle est légèrement plus élevée. Ce qui rend les femmes enceintes plus vulnérables à la déshydratation, aux coups de chaleur, et aux troubles de la régulation thermique.

Le stress thermique affecte également le fœtus. Des études menées en Gambie ou en Californie ont montré qu’une simple augmentation de 1 °C suffit à modifier le flux sanguin placentaire, à désynchroniser le rythme cardiaque fœtal, ou à provoquer un accouchement anticipé. En Australie, les femmes exposées à des épisodes de chaleur extrême au troisième trimestre ont deux fois plus de risques de prolongation de grossesse au-delà de 41 semaines, avec les complications que cela entraîne.

À cela s’ajoute la pollution atmosphérique, souvent corrélée aux pics de chaleur. Les particules fines (PM2,5), l’ozone et les oxydes d’azote pénètrent la circulation sanguine, atteignant le placenta, voire le fœtus. Ils sont associés à un risque accru de fausses couches, de retard de croissance intra-utérin et de troubles du développement neurologique.

Cette menace climatique ne frappe pas toutes les femmes de la même manière. Elle accentue les inégalités socio-économiques et géographiques.

Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les femmes enceintes ont moins accès à des systèmes de santé adaptés, à des lieux de travail climatisés ou à un suivi médical régulier.
En milieu rural, notamment en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud, les conditions de travail physique intense (agriculture, marché, portage) exposent les femmes à un stress thermique quotidien, sans possibilité de repli.
Les infrastructures hospitalières sont souvent inadéquates pour gérer les complications obstétricales liées à la chaleur ou aux maladies vectorielles amplifiées par le climat (paludisme, dengue, Zika).

C’est la double peine climatique : être enceinte et pauvre, dans une région chaude.

Malgré les alertes répétées de l’OMS, de l’UNICEF ou du Journal of Global Health, la santé maternelle reste quasiment absente des plans climat nationaux. Moins de 20 % des contributions nationales déterminées (NDC) dans le cadre de l’Accord de Paris mentionnent la vulnérabilité des femmes enceintes. Quant aux financements internationaux, ils privilégient encore les infrastructures ou la transition énergétique, reléguant la santé reproductive au second plan.

Il existe pourtant des solutions :

Mettre en place des systèmes d’alerte thermique adaptés aux femmes enceintes ;
Améliorer l’accès à l’eau potable et à la climatisation dans les maternités ;
Intégrer le suivi obstétrical dans les stratégies d’adaptation climatique ;
Former les sages-femmes et médecins aux nouveaux risques liés à l’environnement.

Au-delà des données médicales, il y a une question civilisationnelle : voulons-nous d’un monde où la grossesse devient un risque environnemental majeur ? Où porter la vie suppose de défier la température ambiante, l’air que l’on respire, la stabilité des saisons ?

Le réchauffement climatique n’est pas un phénomène abstrait. Il modifie la biologie intime des corps. Il touche l’origine même de l’humanité : la gestation. C’est pourquoi sa prise en compte dans les politiques publiques ne peut plus se limiter aux grands discours sur l’atténuation des émissions. Il faut descendre dans les détails, dans les ventres, dans les maternités, dans la vie réelle.

Le droit de naître en sécurité ne peut être dissocié du droit de vivre dans un environnement sain. Protéger la santé maternelle face au dérèglement climatique, c’est défendre à la fois l’avenir des enfants et la dignité des femmes. Cela exige une révolution dans nos priorités sanitaires, écologiques et sociales.