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Cannes, entre paillettes et hypocrisie climatique : les jets privés des vedettes suscitent l’indignation

Le Festival de Cannes s’est refermé sur son tapis rouge, ses récompenses et ses controverses. Parmi celles-ci, une indignation persistante : le recours massif aux jets privés et yachts de luxe par certaines figures médiatiques, en contradiction flagrante avec leurs discours publics sur la justice climatique.

La 78e édition du Festival de Cannes a, comme chaque année, attiré son lot de célébrités, de créateurs, de financiers et de figures du monde du divertissement. Mais cette fois, le faste habituel a laissé place à une colère froide dans certains cercles de la société civile et chez de nombreux citoyens : la manière dont les invités les plus médiatisés sont arrivés à Cannes en jet privé pour les uns, en yacht de 127 mètres pour d’autres suscite une vague d’indignation.

Parmi les cas les plus commentés : Lauren Sánchez, fiancée du milliardaire états-unien Jeff Bezos, a accosté en Méditerranée à bord du Koru, le yacht personnel du fondateur d’Amazon, pour recevoir un prix célébrant son « engagement pour la justice climatique ». Ce geste, à lui seul, a cristallisé une contradiction de plus en plus insupportable aux yeux de l’opinion : comment dénoncer l’inaction écologique tout en incarnant, dans les faits, un modèle de consommation ultracarbonée ?

Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, de nombreuses personnalités engagées dans la cause environnementale continuent d’user de moyens de transport extrêmement polluants pour se rendre à des événements où elles appellent à la sobriété. Mais cette édition du festival semble avoir marqué un tournant dans la perception publique.

Selon des données compilées par plusieurs ONG environnementales, plusieurs dizaines de jets privés ont atterri à l’aéroport de Nice pendant la durée du festival. À cela s’ajoutent les nombreuses traversées en hélicoptère et en yacht autant de symboles d’une déconnexion croissante entre certaines élites culturelles et les contraintes climatiques vécues par la majorité des populations.

Au-delà de la seule question environnementale, cette polémique renvoie à un débat plus vaste : celui de la cohérence entre les discours moraux et les pratiques sociales des classes dirigeantes ou influentes. Ce décalage n’est pas propre à Cannes, ni au monde du cinéma, mais s’inscrit dans une dynamique plus globale, où les appels à « changer le monde » cohabitent avec des modes de vie ostentatoires et énergivores.

Pour certains observateurs, ce double langage alimente un clivage de crédibilité, minant la portée des plaidoyers pour la transition écologique. À mesure que les populations du Sud global y compris en Afrique subissent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique, le spectacle des privilèges occidentaux en haute définition devient de plus en plus difficile à tolérer.

Cette controverse révèle aussi l’échec partiel de ce que l’on pourrait appeler la « diplomatie culturelle verte » : l’idée que l’art, le cinéma ou la musique pourraient être des vecteurs de transformation sociale tout en s’extirpant des logiques d’opulence. Or, sans exemplarité dans les pratiques, les messages portés par ces sphères sont fragilisés, voire disqualifiés.

La question dépasse donc le simple cadre du Festival de Cannes. Elle interpelle sur la capacité des élites médiatiques, économiques et culturelles qu’elles soient états-uniennes, union-européennes ou africaines à s’aligner, concrètement, avec les engagements qu’elles revendiquent. Autrement dit : peut-on défendre la planète sans remettre en cause ses propres privilèges ?