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Astérix en Lusitanie : les Portugais réagissent à l’hommage et aux clichés français

Le 23 octobre 2025, le 41ᵉ album des aventures d’Astérix, Astérix en Lusitanie, signé Fabcaro (scénario) et Didier Conrad (dessin), a été publié. Pour la première fois, les héros gaulois voyagent jusqu’en Lusitanie, correspondant à l’actuel Portugal. L’événement n’est pas seulement attendu par les amateurs de bande dessinée : il révèle également des tensions culturelles et identitaires, mises en lumière par les réactions des lecteurs et de la presse portugaise.

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Entre hommage et clichés : la perception portugaise

La réception au Portugal se caractérise par une ambivalence notable. Le critique José Marmeleira, dans le quotidien Público, exprime une forte déception : l’album apparaît davantage comme un produit économique que comme une œuvre humoristique et narrative. Selon lui, Astérix est devenu moins un héros qu’une marque, et les références portugaises du fado aux pastéis de nata, en passant par Viriate, le “Vercingétorix portugais” sont jugées stéréotypées et peu vivantes, incapables de restituer la richesse culturelle lusitanienne.

Pour d’autres observateurs, ces mêmes éléments constituent un hommage culturel : l’intégration du Portugal dans l’univers d’Astérix met en avant son histoire, ses traditions et ses paysages, et le soin apporté à l’iconographie et aux décors est salué. Ces réactions contrastées illustrent une tension universelle : la visibilité culturelle peut séduire tout en provoquant débat et questionnement lorsqu’elle repose sur des clichés ou des images simplifiées.

Au-delà de la simple réception, Astérix en Lusitanie illustre comment les grandes licences françaises participent au rayonnement international de la culture française, ou soft power. Les bandes dessinées populaires, de Tintin à Astérix, façonnent l’image de la France à l’étranger et diffusent certains imaginaires culturels.

L’album portugais met en lumière les défis de cette influence douce : tout en valorisant la culture lusitanienne, il montre que la perception locale peut diverger, certains lecteurs percevant l’œuvre comme réductrice ou exotisante, malgré l’intention d’hommage. La bande dessinée devient ainsi un outil de dialogue culturel, révélateur des différences de regard et des sensibilités historiques.

Un débat révélateur des enjeux culturels contemporains

L’album dépasse sa fonction de simple divertissement pour devenir un objet de réflexion sur la représentation interculturelle. Il illustre plusieurs enjeux contemporains :

  • La difficulté de représenter une culture étrangère sans tomber dans les clichés ;
  • La complexité des relations culturelles européennes, où humour et identité se mêlent ;
  • Le rôle des œuvres populaires dans le rayonnement et l’influence culturelle française, parfois perçus comme imposés ou simplifiés.

En combinant humour, aventure et références culturelles, Astérix en Lusitanie révèle la *mfragilité du consensus culturel : ce qui constitue un hommage pour certains peut être interprété comme une simplification pour d’autres. Le débat portugais autour de cet album illustre ainsi les enjeux actuels de la création culturelle internationale : entre visibilité, influence et respect des identités locales.

Celine Dou

Portugal : la gauche dénonce, la droite légifère quand l’égalité des sexes devient un champ idéologique

Le Parlement portugais a adopté, vendredi 17 octobre 2025, une loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public. Le texte, porté par le parti d’extrême droite Chega et soutenu par les formations du centre-droit, a été rejeté par l’ensemble des partis de gauche. Derrière ce vote clivant, une contradiction idéologique saute aux yeux : les partisans autoproclamés de l’égalité entre hommes et femmes refusent une loi qui, selon ses défenseurs, la garantit dans l’espace public tandis que la droite, souvent accusée de conservatisme, se fait paradoxalement championne d’une visibilité féminine imposée.

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Une loi sur la visibilité, adoptée par la droite

Le texte adopté à Lisbonne interdit à quiconque de se dissimuler le visage dans les lieux publics. Officiellement, il s’agit de préserver l’égalité, la sécurité et le civisme. Dans les faits, la mesure vise surtout le port du niqab et de la burqa, symboles d’un effacement du visage féminin dans l’espace commun.

Le projet, proposé par André Ventura, chef du parti Chega, a reçu le soutien du Partido Social Democrata (PSD) et d’autres formations de droite. Il prévoit des amendes de 200 à 4 000 euros pour toute infraction, et jusqu’à trois ans de prison pour quiconque contraint une femme à se voiler intégralement.

Lors du débat, Ventura a invoqué la défense des femmes portugaises :

« Aujourd’hui, nous protégeons vos filles, nos filles, pour qu’elles ne soient jamais forcées de porter la burqa dans ce pays. »

À l’opposé, le Partido Socialista (PS), le Bloco de Esquerda (BE), le Partido Comunista Português (PCP) et le mouvement Livre ont voté contre. Leur argument : la loi serait stigmatisante, discriminatoire et contraire à la liberté religieuse.

Le paradoxe idéologique de la gauche portugaise

Le refus des partis de gauche surprend. Depuis des décennies, ces formations se présentent comme les gardiennes de la laïcité, de la liberté des femmes et de la neutralité de l’État face aux religions. Leur discours s’oppose régulièrement à l’influence du catholicisme dans la sphère publique. Pourtant, lorsque la question touche à l’islam, la posture change : la laïcité devient suspecte, l’émancipation féminine relativisée.

Il est dès lors légitime de s’interroger : peut-on défendre l’égalité des sexes tout en tolérant qu’une partie de la population féminine vive voilée jusqu’au visage ?
Les militants de gauche répondent que la liberté de se couvrir relève d’un choix individuel, et qu’interdire ce choix serait une nouvelle forme d’oppression.
Mais la question de fond demeure : comment concilier liberté individuelle et valeurs civiques partagées, parmi lesquelles la visibilité du visage condition première du lien social ?

Une mesure de civisme plus que de religion

L’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public n’est pas une invention de l’extrême droite. En France, en Belgique, au Danemark ou en Autriche, des lois similaires ont été adoptées depuis plus d’une décennie, souvent au nom du vivre-ensemble. Le principe repose sur un fait simple : dans une société démocratique, la reconnaissance mutuelle passe par la visibilité du visage.
Ne pas montrer son visage, c’est refuser à autrui la possibilité d’évaluer son attitude, d’entrer en relation, de construire la confiance réciproque base élémentaire du civisme.

Ce rappel semble aujourd’hui presque naïf tant le débat est devenu passionnel. Pourtant, il y a quelques années encore, l’idée même de se présenter à visage découvert allait de soi dans les espaces communs. L’effacement du visage, qu’il soit religieux ou non, traduit un recul du lien social plus qu’un progrès de la liberté.

La droite, entre principe d’ordre et récupération identitaire

Il serait toutefois illusoire de voir dans le vote de la droite portugaise un acte purement humaniste. Derrière le discours sur l’égalité se profile un agenda politique : celui de la défense d’une identité nationale perçue comme menacée par l’immigration et la diversité religieuse.
En d’autres termes, la droite agit au nom de l’égalité, mais par souci d’ordre. La gauche, elle, s’y oppose au nom de la liberté quitte à se contredire sur le plan de la cohérence morale.

Ce clivage révèle moins une divergence sur les valeurs que sur leur hiérarchie :

  • La droite place la visibilité et la norme commune au-dessus de la liberté individuelle.
  • La gauche érige la liberté de conscience en principe absolu, même lorsque celle-ci conduit à un effacement de soi dans l’espace public.

Une question européenne

Au-delà du Portugal, ce vote réactive un vieux débat européen : celui de savoir si l’égalité doit être imposée ou choisie.
L’Europe libérale moderne tend à confondre liberté et neutralité, oubliant que la laïcité ne consiste pas à effacer toute norme, mais à fixer un cadre commun où chacun peut exister en égal.
Dans cet esprit, la loi portugaise ne devrait même pas prêter à controverse : montrer son visage dans l’espace public est l’un des fondements mêmes du vivre-ensemble démocratique.

Un symbole plus qu’une mesure

Les observateurs notent enfin que le port du voile intégral reste extrêmement marginal au Portugal. Le débat dépasse donc la simple application pratique de la loi. Il révèle un choc culturel entre deux conceptions de la liberté :

  • celle, universaliste, qui considère l’égalité comme condition première de la dignité ;
  • et celle, individualiste, qui voit la liberté comme absolue, y compris lorsqu’elle conduit à l’auto-effacement.

L’interdiction du voile intégral au Portugal met en lumière une inversion symbolique : c’est la droite qui légifère au nom de l’égalité, et la gauche qui s’y oppose au nom de la liberté.
Ce renversement ne dit pas seulement quelque chose du Portugal : il illustre une crise plus profonde de la pensée politique occidentale, où les mots « égalité », « liberté » et « laïcité » ne recouvrent plus les mêmes réalités.
Au bout du compte, la vraie question n’est peut-être pas religieuse mais sociale : quelle société voulons-nous ? Une société du visage découvert, du lien visible, de l’égalité des présences ? Ou une société du pluralisme absolu, quitte à ce que certains disparaissent du regard des autres ?

Celine Dou