La poésie comme instrument de mémoire et de reconstruction dans un pays fragilisé
Au Théâtre national de Mogadiscio, des poètes somaliens se sont réunis début décembre 2025 pour raviver une tradition littéraire essentielle à l’identité du pays. Dans un contexte marqué par l’insécurité et la fragilité des institutions culturelles, ces artistes tentent de restaurer une mémoire collective mise à mal par trois décennies de conflits.
Lire la suite: Somalie : des poètes se mobilisent pour préserver une tradition culturelle menacéeLongtemps considérée comme un pilier central de la société somalienne, la poésie revient aujourd’hui au premier plan grâce à une mobilisation croissante d’artistes et de structures culturelles. Leur objectif : empêcher la disparition progressive d’un patrimoine transmis oralement depuis des siècles.
Années 1960–1990 : l’âge d’or puis l’effondrement
Le Théâtre national de Mogadiscio, inauguré en 1967, constitue longtemps le cœur de la création culturelle somalienne. Il accueille pièces, récitals et festivals. L’éclatement de la guerre civile en 1991 interrompt brutalement cette dynamique. Le bâtiment est abandonné, les artistes se dispersent et la transmission orale familiale devient le principal refuge de la poésie.
2012 : première réouverture symbolique
Après plus de vingt ans d’abandon, le Théâtre national rouvre partiellement en 2012. Cette initiative s’inscrit dans un effort plus large de reconstruction institutionnelle, mais les attaques et l’insécurité freinent immédiatement les activités artistiques.
2021 : structuration de la sauvegarde culturelle
La création de l’initiative « Home of Somali Poetry », soutenue par le Programme des Nations unies pour le développement, marque une étape importante. Ce projet vise à archiver la poésie somalienne, numériser les œuvres, encourager les jeunes auteurs et organiser des prix littéraires.
2025 : reprise des récitals publics
Début décembre 2025, des poètes de plusieurs générations se réunissent de nouveau au Théâtre national pour réciter leurs œuvres devant un public élargi. Parmi eux, Hassan Barre, figure emblématique de la poésie somalienne, offre un texte exaltant la paix, l’unité et la responsabilité civique.
Une mémoire fragile dans un pays en reconstruction
La poésie occupe en Somalie une fonction qui dépasse le cadre artistique : elle conserve l’histoire des clans, exprime les tensions sociales et accompagne les événements marquants. La fragilisation des institutions culturelles a fait peser un risque réel sur cette mémoire vivante, particulièrement dans un pays où l’écrit n’a jamais été majoritaire.
Une rupture intergénérationnelle préoccupante
Si les anciens poètes demeurent très actifs, la transmission aux jeunes générations reste incertaine. L’influence des réseaux sociaux, l’urbanisation rapide et l’émigration ont contribué à distendre le lien entre la jeunesse et la poésie traditionnelle, dont la maîtrise linguistique est exigeante. Les initiatives de sauvegarde tentent de combler ce fossé, mais les moyens restent limités.
La diaspora comme relais culturel majeur
Dans les villes où s’est installée une importante communauté somalienne Londres, Toronto, Dubaï, des festivals littéraires, des lectures publiques et des plateformes numériques prolongent cette tradition. Ces espaces transnationaux jouent un rôle déterminant dans la préservation d’une identité culturelle éclatée par les migrations.
Une fonction civique persistante
Dans un pays où l’espace public demeure fragile, la poésie continue d’offrir un cadre d’expression relativement sûr. Certains poèmes prennent des accents politiques, d’autres prônent la réconciliation ou dénoncent les injustices. Le récital de décembre 2025, caractérisé par son appel à la paix, illustre la dimension civique de cet art.
Un art qui résiste à l’érosion du temps
Les rassemblements de poètes au Théâtre national de Mogadiscio témoignent d’une volonté profonde de sauvegarder un patrimoine menacé mais essentiel à la cohésion de la société somalienne. Si la poésie ne bénéficie pas des mêmes investissements que la sécurité ou les infrastructures, elle demeure pourtant un vecteur de mémoire, de transmission et d’espérance.
Son renouveau fragile marque peut-être une étape supplémentaire dans la lente reconstruction culturelle du pays.
Celine Dou, pour la boussole-infos