RD Congo : le gouvernement envisage de réinstaurer la peine de mort pour les militaires

Le gouvernement de la RD Congo a fait savoir qu’elle envisage de rétablir la peine de mort pour les militaire. Cette déclaration survient alors que l’armée congolaise fait face à une série de revers contre l’offensive des rebelles du M23 dans l’Est du pays. (Avec « Le Monde » ).

Face à la nouvelle offensive du Mouvement du 23-Mars (M23) dans l’Est, les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) éprouvent des difficultés. Dans ce contexte, le gouvernement envisage de lever le moratoire sur la peine de mort pour les militaires. Cette proposition a été annoncée par Jean-Pierre Bemba, vice-premier ministre chargé de la défense nationale, lors d’un conseil supérieur de la défense présidé par le président Félix Tshisekedi le 5 février. La recommandation, axée sur les cas de trahison au sein des FARDC, a été présentée au conseil des ministres par la ministre de la Justice, Rose Mutombo, quatre jours plus tard. La décision finale revient désormais au chef de l’État.

La peine de mort n’est plus appliquée depuis 2003, mais des condamnations à mort continuent d’être prononcées. En 2022, elles concernaient 800 prisonniers congolais, dont 163 avaient été condamnés dans l’année. « Pour les autorités congolaises, le maintien de cette peine s’est justifié jusqu’à présent par le très haut niveau d’insécurité dans l’Est du pays », explique Bob Kabamba, chercheur sur l’Afrique centrale à l’Université de Liège (Belgique).

Bien que la levée effective du moratoire ne soit pas encore confirmée, le simple fait qu’elle soit évoquée par le gouvernement suscite des inquiétudes parmi les organisations des droits humains. Clément Boursin, responsable Afrique subsaharienne au sein de l’ONG « Action des chrétiens pour l’abolition de la torture » (ACAT-France), exprime sa préoccupation en déclarant que cette mesure semble indiquer que, en période de conflit, les droits humains ont peu de valeur. Pierre Boisselet, directeur des recherches sur la violence au sein de l’institut congolais Ebuteli, estime que c’est avant tout un message adressé à l’armée congolaise. Il souligne les soupçons au sein de l’état-major concernant des officiers collaborant avec l’ennemi, voire leur donnant des ordres favorables.

L’un des objectifs pourrait être de dissuader les soldats de comportements perçus comme peu patriotiques, tels que la retraite par des officiers lorsque la situation semble défavorable. Cependant, il n’y a aucune garantie que le rétablissement de la peine de mort résoudra les problèmes au sein d’une armée mal équipée, mal entraînée, avec des soldats qui rencontrent parfois des difficultés à recevoir leur solde en raison de la corruption généralisée. Pierre Boisselet estime qu’il existe surtout un risque de dérapages et de règlements de comptes, ce qui pourrait fragiliser davantage l’unité de cette armée.

Ce débat intervient alors que Félix Tshisekedi, qui a été réélu en décembre dernier avec 73 % des voix, ne parvient pas à tenir sa promesse faite il y a cinq ans : mettre fin à la guerre dans l’Est, en proie aux conflits armés depuis un quart de siècle. « Entre 2018 et 2023, Félix Tshisekedi a échoué à obtenir les résultats promis. Le conflit, qui lui était largement antérieur, s’est même aggravé et étendu », constate Bob Kabamba.

Depuis le 7 février 2024, la reprise des combats par le M23, soutenu selon les experts des Nations Unies par le Rwanda voisin, met en lumière l’impasse dans laquelle se trouvent les autorités. Malgré le déploiement de militaires burundais et l’arrivée des premiers contingents sud-africains dans le cadre de la mission d’Afrique australe en RDC (SAMIRDC), remplaçant ceux de la force est-africaine jugés trop passifs par Kinshasa, les FARDC continuent de reculer. Actuellement, Goma, la capitale du Nord-Kivu, est menacée, avec les forces rebelles contrôlant les accès Sud, Ouest et Nord de la ville.

« Il y a de la part du pouvoir une nécessité de se montrer proactif et de projeter sa détermination vers l’Est. Près de soixante jours après la réélection de Félix Tshisekedi, les Congolais attendent toujours la nomination d’un nouveau gouvernement. On peut imaginer qu’il s’agit aussi pour Jean-Pierre Bemba de se positionner », analyse Pierre Boisselet. Ancien chef de guerre, condamné pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité par la Cour pénale internationale (CPI) avant d’être acquitté en 2018, le président du Mouvement de libération du Congo (MLC) s’est allié à Félix Tshisekedi en 2020 et est entré au gouvernement en 2023.

Ces derniers jours, le ministre se montre particulièrement actif. Après être allé à Goma le 9 février, il y est retourné mardi pour rassurer les habitants. « La population ne doit avoir aucune inquiétude », a-t-il assuré, alors que les bruits des combats autour de la ville voisine de Saké se faisaient entendre dans la capitale régionale. Face à la durée et au nombre de victimes de ce conflit, la colère des Congolais est vive. Ces derniers jours, elle était dirigée contre les Occidentaux, cibles des slogans de deux manifestations, samedi et lundi, qui les accusaient d’être du côté de « l’ennemi ». L’enjeu pour le gouvernement est que cette exaspération ne se retourne pas contre lui.

Joseph Kouamé

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