Comme chaque jour, retrouvez l’essentiel de l’actualité sur le conflit en République Démocratique du Congo.
Le M23 s’installe à Bukavu malgré la résistance des FARDC.
La situation sécuritaire en République démocratique du Congo (RDC) continue de se détériorer. Ce dimanche 16 février, des combattants du M23, soutenus par l’armée rwandaise, ont pénétré dans le centre de Bukavu, la deuxième plus grande ville de l’est du pays. Cette avancée stratégique, après la prise de Goma fin janvier, inquiète la communauté internationale et met en lumière l’impuissance des forces armées congolaises (FARDC).
Selon plusieurs sources locales et sécuritaires, les rebelles ont été aperçus dans plusieurs quartiers de la ville. Un porte-parole du M23, Willy Ngoma, a confirmé leur présence dans un message téléphonique, tandis qu’un témoin local a déclaré à Reuters : « Je suis chez moi et je vois de mes propres yeux le M23 entrer dans notre ville. »
Dans la commune de Kadutu, des scènes de pillage ont été rapportées, notamment dans le grand marché. Une partie du marché a été incendiée, tandis que des habitants terrifiés fuyaient vers la frontière rwandaise. Les quartiers environnant le camp militaire Saio et la place Major Vangu, dans la commune d’Ibanda, ont également été le théâtre de violents affrontements.
L’armée congolaise n’a pas encore fait de déclaration officielle sur la situation. Cependant, des sources sécuritaires affirment que les FARDC, dépassées par l’armement des rebelles, ont opéré un repli stratégique en direction de Kavumu, à une trentaine de kilomètres au nord de Bukavu.
Tshisekedi accuse Kabila d’être derrière le M23
Alors que Bukavu tombait entre les mains des rebelles, le président Félix Tshisekedi, en déplacement en Allemagne pour la Conférence de Munich sur la sécurité, a lancé une accusation explosive contre son prédécesseur, Joseph Kabila.
« Je n’ai absolument pas l’impression que l’opposition qui a pris les armes, qui a fomenté avec le Rwanda ce coup contre la République, est dans son bon droit. D’ailleurs, les vrais commanditaires se cachent. Et le vrai commanditaire de cette opposition, c’est mon prédécesseur, c’est Joseph Kabila », a déclaré Tshisekedi.
Ces propos ont immédiatement provoqué une vive réaction du camp Kabila. Ferdinand Kambere, secrétaire exécutif du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a dénoncé une diversion politique face à la crise sécuritaire.
« Monsieur le Chef de l’État, en accusant Joseph Kabila, vous perdez toute l’attention de la nation, alors que vous avez appelé à la solidarité pour faire face à cette guerre du Rwanda », a-t-il réagi. Il s’interroge également sur les véritables intentions du président congolais : « Cette guerre de l’Est n’est donc plus une agression rwandaise contre la RDC, mais un conflit entre lui et son prédécesseur ? »
La France et l’UE exigent le retrait du M23 et des forces rwandaises
Face à l’aggravation du conflit, la diplomatie internationale tente de réagir. Ce samedi 15 février, le ministère français des Affaires étrangères a exigé « l’arrêt immédiat de l’offensive du M23 et le retrait sans délai des forces rwandaises du territoire congolais ».
La France menace également d’imposer de nouvelles sanctions contre tout acteur contribuant à l’instabilité à l’est de la RDC. « Nous sommes très préoccupés par la situation humanitaire désastreuse en RDC », a déclaré un porte-parole du Quai d’Orsay.
L’Union européenne (UE) a également durci son ton. Anouar El Anouni, porte-parole de l’UE pour les Affaires étrangères, a dénoncé la violation continue de l’intégrité territoriale de la RDC et a annoncé que l’UE « examine en urgence toutes les options à sa disposition ».
Une crise humanitaire en pleine aggravation
La prise de Bukavu pourrait provoquer un désastre humanitaire. L’ONU estime que près de 4 000 militaires rwandais sont impliqués dans le conflit, aggravant le risque d’un embrasement régional.
Des milliers d’habitants de Bukavu fuient vers la frontière rwandaise et burundaise, cherchant désespérément à échapper aux violences. Oxfam et d’autres ONG alertent sur une aggravation rapide de la crise humanitaire. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a confirmé que son entrepôt à Bukavu a été pillé, mettant en péril l’approvisionnement en nourriture des populations vulnérables.
Un sommet africain sous haute tension
À Addis-Abeba, où se tient le sommet de l’Union africaine (UA), la crise congolaise est au centre des discussions. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a mis en garde contre une « escalade régionale » et insisté sur le respect de la souveraineté de la RDC.
La Première ministre congolaise, Judith Suminwa, qui représente Félix Tshisekedi au sommet, a refusé de figurer sur la photo officielle. « Hors de question de s’afficher aux côtés de l’agresseur », a déclaré son entourage, en référence à la présence du président rwandais Paul Kagame.
De plus, plusieurs membres de la délégation congolaise ont été empêchés de quitter leur hôtel par les services de sécurité éthiopiens. L’ambassadeur congolais à Addis-Abeba a dû intervenir pour leur permettre d’assister aux discussions. « C’est de la discrimination envers la RDC », s’est indignée une source diplomatique congolaise.
Un Conseil de paix et de sécurité électrique
Lors de la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, la tension était palpable. Kinshasa a réclamé une condamnation explicite du Rwanda, mais n’a pas obtenu de consensus.
« C’était électrique », confie un participant. Le communiqué final devrait s’aligner sur les conclusions du sommet de Dar es Salaam : appel à un cessez-le-feu, respect de l’intégrité territoriale de la RDC et dialogue entre toutes les parties, y compris entre le M23 et Kinshasa.
Le président rwandais Paul Kagame et le médiateur angolais João Lourenço ont quitté la réunion précipitamment après un aparté tendu.
Vers une impasse diplomatique ?
Alors que la communauté internationale multiplie les appels au dialogue, la situation sur le terrain reste critique. Kinshasa réclame des sanctions contre Kigali, mais se heurte à des résistances au sein de l’UA.
La RDC, de plus en plus isolée sur la scène diplomatique, pourrait être contrainte de négocier directement avec le M23. Pendant ce temps, Bukavu sombre dans l’incertitude, et l’avenir du pays reste plus que jamais suspendu à l’issue de ce conflit.
Joseph Kouamé