Depuis la capitale du Tigré, Mekele, Solomon Hagos suit avec inquiétude l’escalade des tensions dans la région. « Les gens sont terrifiés à l’idée que si un nouveau conflit éclate, il soit encore plus dévastateur que le précédent », confie-t-il. Ces derniers jours, un vent de panique souffle sur le Tigré, avec des retraits massifs d’argent et des stocks de nourriture constitués à la hâte. Les habitants redoutent la reprise de la guerre, deux ans et demi après la fin d’un conflit sanglant qui a fait plus de 600 000 morts.
La situation s’est aggravée à la suite de tensions internes au sein du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui gouverne la région. Un différend majeur oppose le chef du TPLF, Debretsion Gebremichael, à un haut responsable du parti, Getachew Reda, à propos des retards dans la mise en œuvre de l’accord de paix signé à Pretoria en 2022. Ces tensions ont ravivé la peur d’un retour à la guerre.
« Les gens se ruent dans les banques pour effectuer des retraits de peur qu’ils ne soient bientôt suspendus », explique Solomon Hagos. En janvier, il a pu retirer une grande partie de ses économies pour préparer l’éventualité d’une nouvelle crise. L’inflation galopante contribue à la panique générale.
Dans la ville d’Aksoum, Zenawi Asegdom, un père de famille, a pu retirer 7 000 birrs (environ 50 euros) pour faire des provisions. « Nous avons peur de l’inconnu », déclare-t-il, inquiet des conséquences d’une guerre potentielle.
La population du Tigré, qui compte environ six millions d’habitants, se sent prise au piège des luttes de pouvoir entre deux factions rivales du TPLF. Cette situation, combinée à un regain de tensions avec l’Érythrée voisine, fait craindre une nouvelle guerre dans une région déjà dévastée par le conflit de 2020-2022. Ce dernier avait opposé les forces fédérales éthiopiennes, soutenues par l’armée érythréenne et des milices locales, aux rebelles tigréens, causant des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés.
Dans la ville d’Adigrat, deuxième plus grande du Tigré, des hommes armés proches de Debretsion Gebremichael ont pris le contrôle de la municipalité, évinçant l’administrateur intérimaire nommé par le gouvernement fédéral. À Adi-Gudem, une autre ville, la situation est également tendue. Mercredi soir, la prise du contrôle par cette faction a fait plusieurs blessés lors de tentatives des forces armées de s’emparer d’un bâtiment gouvernemental.
Les tensions entre les factions rivales du TPLF ont commencé à s’intensifier depuis octobre 2023, lorsque Getachew Reda, ancien chef du gouvernement intérimaire, a été exclu du parti par Debretsion Gebremichael, déclenchant un conflit interne au sein du TPLF. En réponse, Reda a suspendu plusieurs commandants militaires qu’il accuse de soutenir la faction de Gebremichael.
Le gouvernement intérimaire du Tigré a demandé une intervention urgente des autorités fédérales pour éviter que la situation ne dégénère. Dans un communiqué, Getachew Reda a mis en garde contre les risques d’une nouvelle guerre civile et a appelé la communauté internationale, qui a joué un rôle clé dans l’accord de paix de Pretoria, à surveiller de près l’évolution de la situation.
Les tensions avec l’Érythrée, exacerbées par la guerre du Tigré, contribuent également à la montée des inquiétudes. Fin février, Asmara a accusé l’Éthiopie de mener une « campagne intense de dénigrement », ravivant les tensions entre les deux pays. De plus, des informations font état de convois d’armes se dirigeant vers le nord de l’Afar, région éthiopienne proche de la frontière avec l’Érythrée, augmentant encore la crainte d’une confrontation.
« Notre population est épuisée, notre économie est dévastée. Une guerre dans ces conditions est intenable », déclare Solomon Hagos, soulignant l’impossibilité de supporter un autre conflit alors que la région est déjà en ruine. En effet, le Tigré continue de faire face à des défis humanitaires énormes, avec des pénuries alimentaires sévères et une économie en déclin, exacerbée par les sanctions et les ruptures d’approvisionnement.
Le Tigré appelle donc à l’aide, espérant une intervention internationale pour éviter une nouvelle catastrophe. Le gouvernement intérimaire souligne la nécessité d’une surveillance accrue de la part des garants de l’accord de paix de Pretoria, notamment l’Union africaine et les Nations Unies, pour empêcher l’effritement total de l’accord et l’éclatement d’un nouveau conflit dévastateur dans la région.
Joseph Kouamé