Le 17 juin marque, chaque année, la « Journée mondiale de la lutte contre la désertification et la sécheresse ». L’occasion de braquer les projecteurs sur une crise environnementale souvent éclipsée par des phénomènes climatiques plus spectaculaires, mais qui affecte, lentement et inexorablement, les équilibres alimentaires, économiques, sociaux et géopolitiques de la planète entière.
À la différence des catastrophes soudaines qui captent l’attention médiatique inondations, tempêtes, canicules la désertification agit avec lenteur et persistance. Pourtant, ses effets n’en sont pas moins dévastateurs. Selon la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), plus de 1,5 milliard d’hectares de terres sont aujourd’hui dégradés. Près de 40 % des terres émergées de la planète seraient exposées à une dégradation accélérée.
Le phénomène touche aussi bien les zones arides d’Afrique, les steppes d’Asie centrale, les grandes plaines agricoles états-uniennes, les terres méditerranéennes d’Europe, que certaines régions d’Amérique latine ou d’Australie. La déforestation, le surpâturage, la surexploitation des nappes phréatiques, les pratiques agricoles intensives non durables, combinés aux effets du changement climatique global, en constituent les principaux moteurs.
L’un des impacts les plus immédiats de la désertification est la menace sur la sécurité alimentaire mondiale. À mesure que les terres perdent leur fertilité, les rendements agricoles chutent, exacerbant la pression sur les systèmes de production déjà fragilisés par l’accroissement démographique et les chocs climatiques. Dans certaines régions, la désertification entraîne une spirale de pauvreté rurale, de famines chroniques et de migrations internes.
En Afrique subsaharienne, au Sahel, dans la Corne de l’Afrique, mais également au Moyen-Orient, en Amérique centrale et dans certaines régions d’Asie du Sud, l’érosion des ressources agricoles pousse des millions de personnes à l’exode rural, alimentant les flux migratoires vers les centres urbains et, parfois, au-delà des frontières.
Au-delà de ses dimensions environnementales et sociales, la désertification possède désormais une portée géopolitique. Les tensions autour de l’accès à l’eau et aux terres arables deviennent des facteurs de conflits dans des zones déjà fragiles. Les bassins partagés Nil, Mékong, Tigre et Euphrate, Indus, Colorado concentrent de plus en plus les risques de tensions interétatiques liées au partage de ressources devenues critiques.
La désertification est ainsi identifiée par plusieurs organisations internationales comme un « multiplicateur de menaces » susceptibles d’alimenter l’instabilité sécuritaire, de renforcer les rivalités économiques et de fragiliser la gouvernance dans les régions exposées.
La CNULCD et plusieurs initiatives régionales tentent depuis plusieurs années d’enrayer cette dynamique. En Afrique, la Grande Muraille Verte vise ainsi à restaurer un corridor végétal de 8 000 kilomètres à travers le Sahel, symbole de résilience et d’adaptation. Des projets similaires émergent en Asie centrale, en Amérique latine et dans certaines régions méditerranéennes.
Cependant, le rythme des actions reste en deçà des objectifs fixés. Les engagements financiers des grandes puissances sont souvent en retard, les transferts technologiques vers les pays du Sud limités, et les politiques foncières nationales peinent à intégrer des logiques de durabilité à long terme. De nombreuses organisations non gouvernementales et scientifiques plaident pour une refonte plus ambitieuse des politiques agricoles mondiales, qui restent dominées par des logiques productivistes court-termistes.
Face à une crise aussi diffuse qu’inéluctable, les solutions ne peuvent se limiter à des adaptations locales. C’est l’ensemble des modèles agricoles, énergétiques et industriels qui devront être réexaminés. La restauration des terres dégradées, la gestion durable des ressources hydriques, le développement d’une agriculture régénératrice et sobre en intrants chimiques sont désormais des priorités internationales.
Les prochaines décennies s’annoncent déterminantes. Car si la désertification reste souvent invisible à l’œil nu, elle mine progressivement les bases de la stabilité mondiale. L’enjeu dépasse les seules régions arides du Sud : la capacité des États du Nord à repenser leurs propres systèmes de consommation et de production pèsera lourd dans l’équilibre écologique global.
En ce 17 juin, la Journée mondiale de la lutte contre la désertification et la sécheresse nous rappelle crûment cette réalité : la crise silencieuse des terres appauvries n’épargne aucun continent. Sa résolution exige une mobilisation politique et financière au moins égale aux grands efforts consentis pour le climat et la biodiversité. Car, in fine, il s’agit bien de la même bataille pour l’avenir.