La culture hassanie, issue du Sahara occidental et forgée par des siècles de nomadisme, de poésie orale et de traditions tribales sahariennes, vit aujourd’hui une double trajectoire géopolitique. D’un côté, elle est inscrite dans la Constitution marocaine de 2011 comme composante essentielle de l’identité nationale. De l’autre, elle demeure confinée, marginalisée, voire niée dans les camps de Tindouf, en territoire algérien. Derrière cette divergence se joue un affrontement plus large : celui du récit, du droit culturel et de la souveraineté.
Les Hassanis, descendants des tribus arabes Maqil ayant migré vers le Sud marocain au XIIIe siècle, ont façonné une culture singulière. Langue, musique, poésie, habits, rites religieux : tout dans leur expression porte la marque d’un espace transfrontalier entre le Sahara occidental, le sud du Maroc, la Mauritanie, et une frange sud-ouest de l’Algérie.

Or, depuis la création des camps de réfugiés de Tindouf en 1975 sous l’égide du Front Polisario, des dizaines de milliers de Sahraouis vivent dans une situation politique figée. À cette réalité s’ajoute un oubli plus insidieux : l’effacement progressif de leur culture dans le discours officiel algérien.
Aucune reconnaissance institutionnelle, aucun programme éducatif en hassaniya, aucune représentation dans les institutions culturelles d’État. La culture sahraouie y est tolérée comme folklore marginalisé, jamais comme patrimoine vivant. « Un ghetto culturel dans un désert politique », résume un universitaire sahraoui vivant en exil à Rabat.
En contrepoint, le Royaume du Maroc a intégré la culture hassanie dans l’article 5 de sa Constitution, affirmant qu’elle constitue « un patrimoine culturel marocain authentique, partie intégrante de l’identité nationale unifiée et diversifiée ». Cette reconnaissance ne relève pas seulement de la diplomatie culturelle : elle s’incarne dans des festivals sahariens subventionnés, des programmes audiovisuels en langue hassanie, et un soutien aux artistes, poètes ou musiciens du Sud.

Il serait naïf d’y voir une seule volonté patrimoniale. Pour Rabat, il s’agit aussi de légitimer son ancrage au Sahara occidental par la reconnaissance des habitants sahraouis non comme « réfugiés » mais comme citoyens à part entière. À l’international, cette stratégie s’inscrit dans la quête de reconnaissance du plan d’autonomie marocain, soutenu aujourd’hui par de nombreux États.
À Tindouf, la culture hassanie ne trouve ni école, ni statut juridique, ni écho politique. Les populations sahraouies qui y vivent depuis cinquante ans parfois d’origine marocaine, parfois non sont entretenues dans une situation d’assistanat permanent, sans réelle liberté de création, de mouvement ni de parole.
Le paradoxe est cruel : l’Algérie, fervente défenseuse de l’autodétermination au Sahara occidental, refuse dans le même temps à ses propres ressortissants sahariens toute reconnaissance culturelle ou représentation politique spécifique. Certains chercheurs évoquent même un « processus d’assimilation silencieuse » dans lequel l’identité hassanie est progressivement diluée.
L’entretien de camps fermés où toute expression culturelle est filtrée par les organes du Front Polisario participe, selon plusieurs observateurs, à une stratégie de contrôle idéologique. Musiciens et poètes dissidents y sont marginalisés ou poussés à l’exil.

Un autre point sensible vient renforcer cette lecture : la composition démographique des camps. Le dernier recensement indépendant, réalisé par des ONG internationales, estime que près de 80 % des habitants des camps ne sont pas originaires du territoire du Sahara occidental, mais des régions sahariennes d’Algérie. Pourtant, l’Algérie continue d’exiger l’organisation d’un référendum d’autodétermination sur la base du recensement espagnol de 1974, aujourd’hui largement obsolète.
Ce flou démographique alimente une contradiction majeure : en cas de résolution politique du conflit, que deviendront ces populations ? Seront-elles rapatriées dans une Algérie qui les a ignorées, ou intégrées à un État sahraoui improbable ?
Au-delà des rivalités bilatérales entre Rabat et Alger, l’histoire de la culture hassanie rappelle une vérité fondamentale : le droit à la culture est un pilier de la dignité humaine. En niant aux peuples leur langue, leurs traditions et leur expression artistique, on nie leur humanité. Le Sahara ne se résume pas à une question de tracé territorial ou de contrôle stratégique : il est aussi, et peut-être d’abord, une question de reconnaissance.
Dans un monde de plus en plus polarisé, où la mémoire est utilisée comme arme diplomatique, l’exemple hassani nous confronte à cette question centrale : qu’est-ce qu’un peuple sans voix ? Et que vaut une identité que l’on enferme ou que l’on instrumentalise ?
À retenir
- La culture hassanie est constitutionnellement reconnue au Maroc, mais effacée en Algérie.
- Les camps de Tindouf sont des zones de non-droit culturel, sous contrôle idéologique du Polisario.
- La reconnaissance des droits culturels, au-delà des frontières, est un enjeu crucial pour toute sortie de crise.
Mohamed Elghet Malainine
Chercheur en politiques culturelles & Vice-président du Centre marocain pour la diplomatie parallèle et le dialogue des civilisations
نشكركم أستاذ ماع العينين على هذا التوضيح القيم الذي يعرف كثير منا بمعاناة اخواننا الحسانيين بمخيمات الخزي والعار .
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