Abdullah (Al-Fateh) Idris, plus connu sous le nom de guerre « Abu Lulu », est devenu en quelques jours l’un des visages les plus effroyables des massacres qui ont suivi la prise d’Al-Fashir (El-Fasher) par les Forces de soutien rapide (RSF). Les images et vidéos qui lui sont attribuées dans lesquelles il apparaît en uniforme en train d’exécuter des civils et de se vanter d’un bilan de victimes ont provoqué une vague d’indignation internationale et ravivé les traumatismes de Darfour. Selon la RSF elle-même, il a été arrêté le 30 octobre.
Les faits rapportés
Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent un homme présenté comme « Abu Lulu » mettant à mort des personnes détenues et se félicitant de ces actes. Dans une séquence devenue virale, il se vante « d’avoir tué 2 000 innocents en une seule journée », affirme s’être « trompé dans le compte » et menace de recommencer pour « corriger son erreur » des propos qui ont été largement relayés et dénoncés par les médias. Ces images ont poussé des plateformes à retirer certains comptes et contenus pour violation de leurs règles.
Des enquêtes journalistiques et des analyses d’images/vidéos montrent que, depuis l’entrée des RSF à El-Fashir (fin octobre), des exécutions sommaires, des incendies de quartiers entiers et des déplacements massifs de population ont eu lieu. Des organisations locales et internationales estiment que le nombre de civils tués est élevé et que les bilans disponibles sont très probablement sous-estimés, du fait notamment du black-out des communications et de l’accès restreint aux zones touchées.
Réponse des autorités et réactions internationales
Face à l’onde de choc mondiale, la RSF a annoncé l’arrestation de « Abu Lulu » le 30 octobre et la création d’une commission d’enquête interne, diffusant des images le montrant apparemment derrière des barreaux. Les déclarations de la milice semblent viser à limiter les dommages à sa réputation et à répondre à la pression extérieure ; de nombreux observateurs restent toutefois sceptiques quant à l’ampleur réelle de l’enquête et à son indépendance.
Les Nations unies et des experts en droits humains ont condamné les événements à El-Fashir, décrivant des « exécutions de masse », des opérations ciblées contre certaines communautés et un déferlement de violences à caractère ethnique qui rappelle, pour certains spécialistes, les pires épisodes de Darfour. L’ONU a demandé l’ouverture d’enquêtes indépendantes et un accès humanitaire immédiat pour protéger les civils et documenter les crimes.
Contexte : Darfour et la logique des RSF
Les RSF sont nées d’une transformation des milices Janjawid dans les années 2010 ; elles ont été accusées à plusieurs reprises, historiquement, de violences à caractère ethnique en Darfour. La chute d’Al-Fashir dernier bastion de l’armée régulière dans l’ouest du pays a constitué un tournant calamiteux : des populations déplacées, des pillages, des exécutions et des incendies de quartiers ont été signalés pendant et après l’offensive, nourrissant les craintes d’une nouvelle campagne d’épuration. Des analystes et ONG humanitaires qualifient déjà les événements d’Al-Fashir d’« atroce » et disent craindre une escalade similaire à des violences de masse antérieures dans la région.
Quelles suites judiciaires ? responsabilité pénale et obstacles
Les actes filmés et partagés constituent des éléments potentiels de preuve mais leur utilisation devant des tribunaux internationaux pose des défis : authentification des vidéos, identification formelle des auteurs et des victimes, accès sécurisé aux scènes de crime et protection des témoins. Plusieurs pistes existent :
•enquêtes indépendantes menées par l’ONU ou des mandats internationaux (OHCHR / mission d’enquête) ;
•procédures devant des juridictions nationales si l’État compétent mène des poursuites effectives ;
•recours à la Cour pénale internationale (CPI) si les critères (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre) sont réunis et si les preuves sont consolidées.
Toutefois, la fragmentation du pouvoir au Soudan, la politisation des forces armées et paramilitaires, et le risque d’impunité rendent ces poursuites incertaines à court terme.
Enjeux humanitaires et éthiques
Les victimes et les déplacés ont un besoin urgent d’assistance abris, nourriture, soins alors que la communauté humanitaire alerte sur des risques d’épidémie et une détérioration rapide des conditions de vie. Sur le plan éthique, la diffusion massive de vidéos d’exécutions pose un dilemme : documenter les crimes est essentiel pour la mémoire et la justice, mais la diffusion non filtrée peut revictimiser les familles et servir de propagande aux auteurs. Plusieurs médias et ONG ont choisi de ne pas republier les images les plus choquantes par respect pour les victimes.
Conclusion — Entre soulagement circonspect et nécessité d’action
L’arrestation annoncée d’« Abu Lulu » est perçue par certains comme un signal, mais elle ne suffit pas à dissiper l’ampleur du crime ni à garantir la justice pour les milliers de victimes présumées d’Al-Fashir. La communauté internationale et les mécanismes de droits humains doivent exiger des enquêtes transparentes, indépendantes et rapides appuyées par une protection réelle des témoins et un accès humanitaire pour que cette affaire ne devienne pas seulement une opération de communication mais un pas vers la responsabilité et la réparation.