Les discours sur la transition écologique se multiplient. Mais en Afrique, un constat demeure : sans transformation des compétences, le virage vert restera un mirage. Alors que le continent fait face à une double pression celle de l’urgence climatique et celle d’un chômage structurel des jeunes un expert international a appelé ce 12 juin à un basculement rapide et coordonné des systèmes éducatifs et professionnels vers les green skills, ces « compétences durables » désormais indispensables pour affronter les mutations économiques, sociales et environnementales du XXIe siècle.
L’expression « green skills » désigne l’ensemble des savoir-faire nécessaires pour exercer un métier dans une économie bas carbone, résiliente et soucieuse des ressources naturelles. Cela va bien au-delà des seuls emplois dans les énergies renouvelables ou la gestion des déchets : agriculture régénérative, bâtiment éco-conçu, numérique éco-responsable, transport propre, aménagement du territoire durable… les champs sont vastes.
Mais en Afrique, la formation professionnelle reste souvent figée dans des logiques héritées de l’ère postcoloniale, peu connectées aux enjeux contemporains. L’enseignement général, quant à lui, peine à intégrer les connaissances climatiques, l’éducation à la durabilité ou les pratiques circulaires. Résultat : un fossé se creuse entre les besoins du marché et les compétences disponibles.
Avec plus de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, l’Afrique détient une ressource humaine considérable. Mais cette « manne démographique » peut se transformer en bombe sociale si elle n’est pas accompagnée d’une montée en compétence adaptée. D’après l’Organisation internationale du travail (OIT), le secteur de l’économie verte pourrait générer jusqu’à 14 millions d’emplois en Afrique d’ici 2030. Encore faut-il que ces postes soient pourvus par des jeunes formés, et non par des compétences importées.
L’expert, invité dans le cadre d’une conférence panafricaine sur l’éducation durable organisée à Nairobi, a pointé « l’inaction stratégique » des gouvernements africains dans l’alignement des politiques éducatives sur les objectifs climatiques. Il a également dénoncé l’effet d’aubaine de certains partenariats internationaux, qui s’emparent du sujet des green skills sans réelle volonté de structuration locale.
Loin d’être un luxe des pays riches, les compétences vertes sont un enjeu vital pour les pays africains, confrontés de plein fouet à l’insécurité climatique : sécheresses, désertification, crises hydriques, montée des eaux… Autant de phénomènes qui frappent les agricultures, déplacent les populations et alimentent les conflits. Dans ce contexte, ne pas investir massivement dans les green skills revient à hypothéquer la souveraineté du continent sur sa propre transition.
Car les grandes puissances, elles, avancent : l’Union européenne a inscrit les compétences vertes dans son agenda 2030 ; les États-Unis d’Amérique financent massivement la reconversion de leurs secteurs industriels via l’Inflation Reduction Act. Et l’Afrique ? Elle reste souvent cantonnée au rôle de pourvoyeuse de minerais critiques ou de main-d’œuvre bon marché pour les filières de recyclage.
Former à des métiers verts, oui. Mais il ne s’agit pas seulement d’accompagner une mutation technologique. Il s’agit aussi d’intégrer les principes de justice sociale : garantir que la transition bénéficie aux femmes, aux populations rurales, aux jeunes sans diplôme ; éviter que les emplois verts reproduisent les logiques de précarité déjà à l’œuvre dans l’économie informelle ; faire en sorte que les savoirs autochtones soient reconnus, et non balayés par un « verdissement » technocratique et importé.
L’expert a ainsi plaidé pour une approche holistique : adapter les curricula scolaires dès le primaire, soutenir la recherche locale sur les pratiques durables, créer des centres d’excellence régionaux, mais aussi offrir des passerelles entre l’éducation informelle, les savoirs communautaires et les certifications professionnelles.
Au fond, la question posée est simple : l’Afrique veut-elle être actrice ou spectatrice de la transition mondiale ? Le continent dispose de ressources exceptionnelles soleil, vent, biodiversité, jeunesse mais sans stratégie éducative ambitieuse, ces atouts resteront sous-exploités.
Il ne suffit plus de tenir des discours à la COP ou de parapher des accords climatiques. Il faut changer l’école, réformer l’apprentissage, valoriser l’intelligence locale. C’est à cette condition que l’Afrique pourra bâtir un modèle de développement durable, adapté à ses réalités, et non calqué sur des recettes extérieures.
La transition verte ne se fera pas sans l’Afrique. Mais elle ne se fera pas non plus sans les Africains.