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Afrique du Sud : 26 milliards de dollars engagés pour une transition énergétique sous haute surveillance

L’Afrique du Sud concentre aujourd’hui les regards de la communauté internationale en matière de transition énergétique. Avec plus de 26 milliards de dollars de financements mobilisés depuis 2021, le pays se trouve au cœur d’une expérience inédite visant à accompagner un basculement progressif vers des énergies plus propres, tout en préservant sa stabilité économique et sociale. Cette transition s’annonce toutefois longue, complexe et semée de nombreux défis.

L’Afrique du Sud figure parmi les plus gros producteurs mondiaux de charbon. Encore aujourd’hui, près de 80 % de son électricité est produite à partir de cette ressource. Cette dépendance énergétique, héritée d’une politique industrielle construite sur l’abondance de ressources fossiles, place le pays dans une situation délicate à l’heure des engagements internationaux contre le changement climatique.

En parallèle, le vieillissement des infrastructures, les difficultés de gestion du géant public Eskom et les fréquentes coupures d’électricité (« load-shedding ») ont exposé les limites du modèle énergétique sud-africain. Face à ces difficultés, la nécessité d’une transition devient à la fois un impératif environnemental et un enjeu de survie économique.

En novembre 2021, lors de la COP26 à Glasgow, l’Afrique du Sud a signé avec cinq partenaires internationaux un accord baptisé Just Energy Transition Partnership (JETP). Ce programme inédit regroupe les États-Unis d’Amérique, l’Union européenne, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, autour d’un engagement initial de 8,5 milliards de dollars, depuis porté à 9,3 milliards par l’arrivée de nouveaux partenaires.

L’objectif affiché du JETP est double :

  • Réduire les émissions sud-africaines de CO₂, parmi les plus élevées par habitant dans le monde ;
  • Garantir une transition « juste », c’est-à-dire socialement acceptable, en particulier pour les centaines de milliers de travailleurs dépendants de l’industrie charbonnière.

Outre les financements bilatéraux, d’autres institutions multilatérales ont renforcé leur soutien. En juin 2025, la Banque mondiale a accordé un prêt de 1,5 milliard de dollars destiné à financer des réformes structurelles d’Eskom, la modernisation du réseau électrique et le développement des énergies renouvelables.

L’Union européenne, de son côté, via son programme Global Gateway, a annoncé en mars 2025 un nouveau financement de 4,4 milliards d’euros (environ 4,8 milliards de dollars), visant notamment le développement du solaire, de l’éolien et de l’hydrogène vert.

L’Agence française de développement (AFD) a également octroyé un prêt de 400 millions d’euros, spécifiquement orienté vers le volet social de la transition, en soutenant les formations professionnelles et la reconversion des travailleurs affectés par la fermeture des mines et centrales à charbon.

Malgré ces engagements massifs, la transformation reste lente et semée d’embûches. Les difficultés structurelles d’Eskom endetté à hauteur de 20 milliards de dollars et l’état vétuste des centrales électriques compliquent la sécurisation de la fourniture électrique. L’Afrique du Sud continue de connaître des coupures d’électricité quasi quotidiennes, aggravant le mécontentement social.

Paradoxalement, ces difficultés ont amené les autorités à prolonger temporairement l’activité de certaines centrales à charbon, au grand dam des défenseurs de l’environnement. La question de la coordination des fonds internationaux, de leur bonne gestion et de la transparence des projets financés reste aussi un sujet d’inquiétude croissant au sein de la société civile sud-africaine.

Au-delà des aspects techniques et économiques, la transition énergétique sud-africaine s’inscrit dans un contexte politique délicat. Les élections générales de mai 2024 ont vu l’ANC, parti au pouvoir depuis 1994, enregistrer une perte historique de sa majorité absolue. Le gouvernement de coalition dirigé par Cyril Ramaphosa doit composer avec une société de plus en plus polarisée, où les inégalités sociales alimentent la défiance envers les projets perçus comme imposés par des intérêts étrangers.

Le succès ou l’échec de la transition énergétique pourrait ainsi peser lourd dans les équilibres politiques à moyen terme. D’autant plus que les populations des bassins miniers, notamment dans la région du Mpumalanga, craignent des pertes massives d’emploi, malgré les promesses de reconversion et de formation.

L’Afrique du Sud est aujourd’hui un laboratoire observé bien au-delà de ses frontières. Son expérience pourrait servir de modèle (ou de contre-exemple) pour d’autres économies émergentes confrontées aux mêmes dilemmes : sortir des énergies fossiles sans provoquer de fractures sociales insurmontables.

Les institutions financières internationales, de la Banque mondiale à la Banque africaine de développement, suivent de près l’avancement des projets. La réussite de cette transition conditionne en partie la crédibilité des dispositifs globaux de soutien à la décarbonation des pays du Sud, dans un contexte où les fractures entre Nord et Sud sur le climat restent vives.

En définitive, l’Afrique du Sud ne manque ni de soutiens financiers, ni de volonté politique affichée. Mais la réussite de sa transition énergétique dépendra de sa capacité à :

  • Moderniser rapidement ses infrastructures électriques ;
  • Soutenir effectivement les travailleurs affectés ;
  • Assurer une gestion transparente des fonds internationaux ;
  • Préserver sa stabilité sociale et politique.

Le pari sud-africain est à haut risque. Il pourrait néanmoins, s’il réussit, préfigurer les futures trajectoires énergétiques de nombreuses économies émergentes confrontées au même dilemme.

Incendie à Reims : les morts visibles et les morts invisibles d’un « progrès vert » dévoyé

Dans la nuit du 5 au 6 juin 2025, un incendie foudroyant ravageait un immeuble HLM du quartier Croix-Rouge à Reims. Quatre personnes ont perdu la vie. L’origine du sinistre ? Une trottinette électrique entreposée dans l’un des appartements. L’incendie est officiellement qualifié d’« accidentel ». Mais à bien y regarder, il révèle une réalité autrement plus grave que la défaillance ponctuelle d’un appareil : il pointe l’échec global d’une idéologie écologique occidentale devenue aveugle à ses propres conséquences.

Derrière les fumées de Reims, ce sont des décennies de dégâts lointains, dissimulés sous le vernis d’une transition dite « verte », qui refont surface.

L’un des territoires les plus lourdement sacrifiés sur l’autel de la « révolution écologique » occidentale est la Mongolie-Intérieure, province autonome de Chine, mais aussi la Mongolie indépendante. Depuis les années 1990, les steppes de cette région ancestrale sont méthodiquement éventrées pour en extraire des terres rares ces minerais indispensables à la fabrication de batteries, d’aimants pour moteurs électriques, ou encore d’éoliennes.

L’équation est monstrueuse : jusqu’à 1 000 tonnes de sol doivent être excavées pour produire un seul kilo de terres rares utilisables. L’impact écologique est sans commune mesure : nappes phréatiques polluées, sols rendus stériles, biodiversité effondrée. Les résidus radioactifs issus des bains chimiques nécessaires à la séparation des éléments sont stockés à ciel ouvert, contaminant l’environnement pour des générations.

Mais au-delà de la catastrophe environnementale, c’est une population entière qui est dépossédée. Les communautés nomades mongoles, gardiennes millénaires des steppes, sont expropriées, déplacées, poussées à l’exode par la ruée vers ces minerais du XXIe siècle. Ce saccage, orchestré par de grands groupes industriels et validé par des puissances occidentales au nom de la « neutralité carbone », reproduit les logiques coloniales qui, hier déjà, avaient justifié l’exploitation de l’or dans ces mêmes terres.

Pendant que Paris, Amsterdam ou Oslo se félicitent d’avoir réduit leurs émissions locales, les steppes mongoles se meurent, dans l’indifférence générale. À Reims, une batterie a brûlé un immeuble. En Mongolie, ce sont des écosystèmes entiers, et des peuples, qui brûlent chaque jour à petit feu.

Les défenseurs de ces technologies avancent que l’impact environnemental serait amorti sur la durée de vie des batteries. Or cela relève du mythe.

Pour qu’une voiture électrique compense le coût énergétique et écologique de sa fabrication, il faudrait qu’elle roule au minimum 300 000 kilomètres. Mais la majorité des batteries n’atteignent jamais cette longévité. Leur dégradation progressive due aux cycles de charge, à l’usure thermique, à l’instabilité chimique entraîne leur remplacement bien avant ce seuil.

Et une fois hors d’usage, ces batteries posent un problème de taille : elles ne sont presque jamais recyclées. Démanteler une batterie lithium-ion en toute sécurité exige des équipements sophistiqués, coûteux, que la majorité des casses automobiles et centres de recyclage n’ont pas. Leur démontage, hautement inflammable, est un risque que peu d’opérateurs acceptent d’assumer.

Résultat : la filière verte est une voie à sens unique, dans laquelle les matériaux sont extraits au prix fort, puis jetés sans retour possible. C’est une économie du gaspillage enveloppée dans un discours d’efficacité. L’écologie ne se mesure plus à l’échelle du monde, mais à celle d’un quartier apaisé. La logique est claire : on pollue loin pour respirer ici.

Autre angle aveugle de cette « transition verte » : les comportements des utilisateurs de trottinettes électriques. Depuis leur implantation massive dans les grandes villes occidentales, ces engins ont généré une série quasi-quotidienne de faits divers : collisions avec des piétons, roulage en sens interdit, stationnement anarchique, vitesse excessive sur les trottoirs. La réglementation existe, mais elle est peu appliquée, souvent ignorée.

Pourquoi cette permissivité ? Parce que ces utilisateurs sont perçus, et se perçoivent souvent eux-mêmes, comme appartenant au « camp du bien ». Le simple fait d’avoir troqué une voiture contre une trottinette confère, dans l’imaginaire collectif, une légitimité morale automatique. Peu importe que l’appareil soit abandonné en travers d’un passage piéton, ou qu’il ait été surchargé dans un appartement sans ventilation : le geste est écologiquement correct, donc intouchable.

Or, cette sanctuarisation comportementale est non seulement irresponsable, mais dangereuse. Les fabricants et les opérateurs urbains ne font que peu de pédagogie sur les risques liés aux batteries : surchauffe, inflammation, instabilité. Résultat : un engin entreposé à proximité d’un congélateur peut provoquer un incendie incontrôlable, comme à Reims.

Le feu qui a tué quatre personnes dans un immeuble social français est une tragédie. Mais il est aussi le révélateur d’un mensonge plus large. Car si ces morts sont visibles, combien d’autres restent dans l’ombre ? Combien d’enfants dans les mines congolaises, combien de bergers mongols déplacés, combien de cours d’eau empoisonnés ne figurent dans aucun décompte officiel ?

Le discours dominant sur la transition écologique repose sur une fracture morale : il déplace les coûts hors du champ visible, en naturalisant une répartition inégalitaire du risque. L’idéologie verte dominante ne remet pas en cause les fondements du modèle capitaliste mondialisé ; elle les habille autrement, en promettant que des solutions techniques suffiront à faire disparaître les problèmes politiques.

Le drame de Reims ne doit pas être un simple fait divers. Il doit ouvrir les yeux sur une chaîne de conséquences qui relie l’extraction d’un kilo de néodyme en Mongolie à l’explosion d’un étage d’immeuble en Champagne. L’écologie, si elle veut redevenir un projet éthique, ne peut se contenter d’être propre ici en se salissant ailleurs.