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Océans en détresse : à Nice, l’ONU tente de rallumer le phare de la conscience mondiale

Sous le ciel azuréen de la Méditerranée, la ville de Nice accueille cette semaine la troisième Conférence des Nations unies sur les océans (9–13 juin 2025). Un cadre séduisant pour une urgence pourtant alarmante : la santé des océans du globe se détériore à une vitesse telle que l’ONU parle d’un « point de rupture écologique ». Pollutions multiples, surexploitation, réchauffement climatique, acidification des eaux… les signaux d’alarme s’accumulent. Et avec eux, une interrogation de fond : la communauté internationale est-elle prête à faire de la protection des mers une priorité réelle, ou se contentera-t-elle d’annonces sans lendemain ?

Les chiffres sont saisissants. Les océans absorbent 90 % de la chaleur excédentaire liée aux émissions de gaz à effet de serre, et environ 25 % du CO₂ émis par les activités humaines. En d’autres termes, ils sont l’un des principaux régulateurs climatiques de la planète. Mais leur rôle d’« amortisseur écologique » atteint ses limites.

Par ailleurs, 11 millions de tonnes de plastique finissent chaque année dans les océans. D’ici 2040, ce chiffre pourrait presque tripler sans changement radical. Les microplastiques sont désormais présents jusque dans les abysses, menaçant les chaînes alimentaires marines et par ricochet, humaines.

À cela s’ajoute la surpêche massive, qui vide les mers à un rythme insoutenable : plus d’un tiers des stocks halieutiques mondiaux sont exploités au-delà de leur capacité de renouvellement.

Organisée en partenariat avec la France, cette conférence réunit plus de 60 chefs d’État et de gouvernement, des scientifiques, des représentants d’ONG, d’entreprises, et des populations autochtones marines. L’un des objectifs phares est de protéger 30 % des zones marines d’ici 2030, conformément à l’accord mondial sur la biodiversité adopté à Montréal en 2022.

Autre enjeu central : mobiliser au moins 100 milliards de dollars d’engagements financiers pour soutenir la transition vers une économie bleue durable. Mais au-delà des chiffres, le scepticisme demeure. Les précédentes conférences Lisbonne (2022), puis San José (2023) avaient produit des déclarations ambitieuses… sans réel mécanisme de contrainte ni suivi cohérent.

La gouvernance des océans est l’un des sujets les plus complexes de la diplomatie internationale. Les espaces maritimes échappent en grande partie aux juridictions nationales. Le récent Traité sur la haute mer, signé en 2023 à New York, visait à encadrer l’exploitation des zones marines internationales, mais sa ratification demeure lente et son application incertaine.

Les tensions s’exacerbent aussi entre grandes puissances maritimes : exploitation minière en eaux profondes, routes commerciales polaires, militarisation de certaines zones… La mer est un nouvel espace de rivalités. Et comme souvent, les pays du Sud, bien que peu responsables de la dégradation des océans, sont les premiers à en subir les conséquences : érosion des côtes, effondrement des pêches artisanales, migrations climatiques.

Au-delà des discours et des symboles, cette conférence interroge le modèle économique dominant. Peut-on réellement concilier croissance fondée sur l’exploitation des ressources et préservation des équilibres écologiques ? Le mythe d’un océan inépuisable s’effondre, mettant à nu la fragilité du lien entre humanité et nature.

La Méditerranée, en toile de fond de cette rencontre, illustre cette tension : une mer semi-fermée, extrêmement polluée, et surexploitée, mais aussi riche d’une biodiversité unique et de pratiques ancestrales de cohabitation durable. Elle est à la fois un laboratoire et un miroir du reste du monde.

Cette conférence ne sauvera pas à elle seule les océans. Mais elle pourrait marquer un tournant si les annonces sont suivies de mécanismes transparents, de financements effectifs et d’un renforcement du droit international. À l’heure où les nations riches réduisent leur aide au développement (voir nos précédents articles), un engagement fort en faveur des océans serait aussi un engagement en faveur de la justice mondiale.

Protéger les mers, c’est protéger l’avenir de tous et d’abord celui des peuples les plus vulnérables. L’océan est un bien commun : il est temps d’agir en conséquence.

Encadré : Quelques chiffres clés

  • 71 % de la surface terrestre est recouverte par les océans
  • 90 % de la chaleur liée au réchauffement climatique est stockée dans les mers
  • 30 % des espèces marines pourraient disparaître d’ici la fin du siècle sans inflexion
  • 54 % des pêches maritimes se font dans des conditions non durables
  • Objectif 2030 : protéger 30 % des océans

Grossesses sous pression climatique : quand la chaleur menace la vie avant la naissance

Le réchauffement climatique n’épargne aucun corps, pas même celui de la femme enceinte. Tandis que les températures mondiales grimpent, les risques liés à la grossesse augmentent : naissances prématurées, stress fœtal, complications maternelles, voire mortalité périnatale. Un enjeu de santé publique encore largement ignoré dans les stratégies climatiques internationales.

Chaque jour un peu plus chaud que le précédent. Chaque saison un peu plus longue, plus sèche, plus suffocante. Dans ce monde en surchauffe, le corps de la femme enceinte devient un terrain fragile, exposé à des agressions physiologiques qu’on commence tout juste à comprendre scientifiquement.

Les chiffres sont éloquents. Selon une méta-analyse récente couvrant 940 villes dans 247 pays, les « jours à risque thermique pour la grossesse » ont doublé en moins de deux décennies. Dans certains pays comme l’Inde ou l’Australie, les femmes enceintes doivent désormais composer avec jusqu’à six semaines supplémentaires de chaleur dangereuse chaque année.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte : l’exposition à des températures supérieures à 35 °C pendant plusieurs jours consécutifs augmente de façon significative le risque de naissance prématurée, de faible poids à la naissance et de mortinatalité. Ces effets ne sont pas théoriques. Ils sont observés, documentés, quantifiés.

Pourquoi la grossesse est-elle si sensible à la chaleur ? Parce que le métabolisme maternel s’intensifie naturellement durant la gestation. Le volume sanguin augmente, le rythme cardiaque s’accélère, la température corporelle est légèrement plus élevée. Ce qui rend les femmes enceintes plus vulnérables à la déshydratation, aux coups de chaleur, et aux troubles de la régulation thermique.

Le stress thermique affecte également le fœtus. Des études menées en Gambie ou en Californie ont montré qu’une simple augmentation de 1 °C suffit à modifier le flux sanguin placentaire, à désynchroniser le rythme cardiaque fœtal, ou à provoquer un accouchement anticipé. En Australie, les femmes exposées à des épisodes de chaleur extrême au troisième trimestre ont deux fois plus de risques de prolongation de grossesse au-delà de 41 semaines, avec les complications que cela entraîne.

À cela s’ajoute la pollution atmosphérique, souvent corrélée aux pics de chaleur. Les particules fines (PM2,5), l’ozone et les oxydes d’azote pénètrent la circulation sanguine, atteignant le placenta, voire le fœtus. Ils sont associés à un risque accru de fausses couches, de retard de croissance intra-utérin et de troubles du développement neurologique.

Cette menace climatique ne frappe pas toutes les femmes de la même manière. Elle accentue les inégalités socio-économiques et géographiques.

Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les femmes enceintes ont moins accès à des systèmes de santé adaptés, à des lieux de travail climatisés ou à un suivi médical régulier.
En milieu rural, notamment en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud, les conditions de travail physique intense (agriculture, marché, portage) exposent les femmes à un stress thermique quotidien, sans possibilité de repli.
Les infrastructures hospitalières sont souvent inadéquates pour gérer les complications obstétricales liées à la chaleur ou aux maladies vectorielles amplifiées par le climat (paludisme, dengue, Zika).

C’est la double peine climatique : être enceinte et pauvre, dans une région chaude.

Malgré les alertes répétées de l’OMS, de l’UNICEF ou du Journal of Global Health, la santé maternelle reste quasiment absente des plans climat nationaux. Moins de 20 % des contributions nationales déterminées (NDC) dans le cadre de l’Accord de Paris mentionnent la vulnérabilité des femmes enceintes. Quant aux financements internationaux, ils privilégient encore les infrastructures ou la transition énergétique, reléguant la santé reproductive au second plan.

Il existe pourtant des solutions :

Mettre en place des systèmes d’alerte thermique adaptés aux femmes enceintes ;
Améliorer l’accès à l’eau potable et à la climatisation dans les maternités ;
Intégrer le suivi obstétrical dans les stratégies d’adaptation climatique ;
Former les sages-femmes et médecins aux nouveaux risques liés à l’environnement.

Au-delà des données médicales, il y a une question civilisationnelle : voulons-nous d’un monde où la grossesse devient un risque environnemental majeur ? Où porter la vie suppose de défier la température ambiante, l’air que l’on respire, la stabilité des saisons ?

Le réchauffement climatique n’est pas un phénomène abstrait. Il modifie la biologie intime des corps. Il touche l’origine même de l’humanité : la gestation. C’est pourquoi sa prise en compte dans les politiques publiques ne peut plus se limiter aux grands discours sur l’atténuation des émissions. Il faut descendre dans les détails, dans les ventres, dans les maternités, dans la vie réelle.

Le droit de naître en sécurité ne peut être dissocié du droit de vivre dans un environnement sain. Protéger la santé maternelle face au dérèglement climatique, c’est défendre à la fois l’avenir des enfants et la dignité des femmes. Cela exige une révolution dans nos priorités sanitaires, écologiques et sociales.

Incendie à Reims : les morts visibles et les morts invisibles d’un « progrès vert » dévoyé

Dans la nuit du 5 au 6 juin 2025, un incendie foudroyant ravageait un immeuble HLM du quartier Croix-Rouge à Reims. Quatre personnes ont perdu la vie. L’origine du sinistre ? Une trottinette électrique entreposée dans l’un des appartements. L’incendie est officiellement qualifié d’« accidentel ». Mais à bien y regarder, il révèle une réalité autrement plus grave que la défaillance ponctuelle d’un appareil : il pointe l’échec global d’une idéologie écologique occidentale devenue aveugle à ses propres conséquences.

Derrière les fumées de Reims, ce sont des décennies de dégâts lointains, dissimulés sous le vernis d’une transition dite « verte », qui refont surface.

L’un des territoires les plus lourdement sacrifiés sur l’autel de la « révolution écologique » occidentale est la Mongolie-Intérieure, province autonome de Chine, mais aussi la Mongolie indépendante. Depuis les années 1990, les steppes de cette région ancestrale sont méthodiquement éventrées pour en extraire des terres rares ces minerais indispensables à la fabrication de batteries, d’aimants pour moteurs électriques, ou encore d’éoliennes.

L’équation est monstrueuse : jusqu’à 1 000 tonnes de sol doivent être excavées pour produire un seul kilo de terres rares utilisables. L’impact écologique est sans commune mesure : nappes phréatiques polluées, sols rendus stériles, biodiversité effondrée. Les résidus radioactifs issus des bains chimiques nécessaires à la séparation des éléments sont stockés à ciel ouvert, contaminant l’environnement pour des générations.

Mais au-delà de la catastrophe environnementale, c’est une population entière qui est dépossédée. Les communautés nomades mongoles, gardiennes millénaires des steppes, sont expropriées, déplacées, poussées à l’exode par la ruée vers ces minerais du XXIe siècle. Ce saccage, orchestré par de grands groupes industriels et validé par des puissances occidentales au nom de la « neutralité carbone », reproduit les logiques coloniales qui, hier déjà, avaient justifié l’exploitation de l’or dans ces mêmes terres.

Pendant que Paris, Amsterdam ou Oslo se félicitent d’avoir réduit leurs émissions locales, les steppes mongoles se meurent, dans l’indifférence générale. À Reims, une batterie a brûlé un immeuble. En Mongolie, ce sont des écosystèmes entiers, et des peuples, qui brûlent chaque jour à petit feu.

Les défenseurs de ces technologies avancent que l’impact environnemental serait amorti sur la durée de vie des batteries. Or cela relève du mythe.

Pour qu’une voiture électrique compense le coût énergétique et écologique de sa fabrication, il faudrait qu’elle roule au minimum 300 000 kilomètres. Mais la majorité des batteries n’atteignent jamais cette longévité. Leur dégradation progressive due aux cycles de charge, à l’usure thermique, à l’instabilité chimique entraîne leur remplacement bien avant ce seuil.

Et une fois hors d’usage, ces batteries posent un problème de taille : elles ne sont presque jamais recyclées. Démanteler une batterie lithium-ion en toute sécurité exige des équipements sophistiqués, coûteux, que la majorité des casses automobiles et centres de recyclage n’ont pas. Leur démontage, hautement inflammable, est un risque que peu d’opérateurs acceptent d’assumer.

Résultat : la filière verte est une voie à sens unique, dans laquelle les matériaux sont extraits au prix fort, puis jetés sans retour possible. C’est une économie du gaspillage enveloppée dans un discours d’efficacité. L’écologie ne se mesure plus à l’échelle du monde, mais à celle d’un quartier apaisé. La logique est claire : on pollue loin pour respirer ici.

Autre angle aveugle de cette « transition verte » : les comportements des utilisateurs de trottinettes électriques. Depuis leur implantation massive dans les grandes villes occidentales, ces engins ont généré une série quasi-quotidienne de faits divers : collisions avec des piétons, roulage en sens interdit, stationnement anarchique, vitesse excessive sur les trottoirs. La réglementation existe, mais elle est peu appliquée, souvent ignorée.

Pourquoi cette permissivité ? Parce que ces utilisateurs sont perçus, et se perçoivent souvent eux-mêmes, comme appartenant au « camp du bien ». Le simple fait d’avoir troqué une voiture contre une trottinette confère, dans l’imaginaire collectif, une légitimité morale automatique. Peu importe que l’appareil soit abandonné en travers d’un passage piéton, ou qu’il ait été surchargé dans un appartement sans ventilation : le geste est écologiquement correct, donc intouchable.

Or, cette sanctuarisation comportementale est non seulement irresponsable, mais dangereuse. Les fabricants et les opérateurs urbains ne font que peu de pédagogie sur les risques liés aux batteries : surchauffe, inflammation, instabilité. Résultat : un engin entreposé à proximité d’un congélateur peut provoquer un incendie incontrôlable, comme à Reims.

Le feu qui a tué quatre personnes dans un immeuble social français est une tragédie. Mais il est aussi le révélateur d’un mensonge plus large. Car si ces morts sont visibles, combien d’autres restent dans l’ombre ? Combien d’enfants dans les mines congolaises, combien de bergers mongols déplacés, combien de cours d’eau empoisonnés ne figurent dans aucun décompte officiel ?

Le discours dominant sur la transition écologique repose sur une fracture morale : il déplace les coûts hors du champ visible, en naturalisant une répartition inégalitaire du risque. L’idéologie verte dominante ne remet pas en cause les fondements du modèle capitaliste mondialisé ; elle les habille autrement, en promettant que des solutions techniques suffiront à faire disparaître les problèmes politiques.

Le drame de Reims ne doit pas être un simple fait divers. Il doit ouvrir les yeux sur une chaîne de conséquences qui relie l’extraction d’un kilo de néodyme en Mongolie à l’explosion d’un étage d’immeuble en Champagne. L’écologie, si elle veut redevenir un projet éthique, ne peut se contenter d’être propre ici en se salissant ailleurs.