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Écosexualité : décryptage d’un phénomène culturel qui interpelle plus qu’il ne convainc

Popularisé récemment par plusieurs médias occidentaux, le mouvement dit « écosexuel » intrigue autant qu’il déroute. Né dans le milieu artistique états-unien, il entend réinventer la relation de l’être humain à la nature à travers des gestes symboliques ou intimes. La Boussole – infos propose une analyse rigoureuse de ce phénomène, de ses origines à sa portée réelle, loin des interprétations simplificatrices.

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Derrière les images spectaculaires souvent relayées embrassades d’arbres, rituels nus ou performances érotiques en pleine nature se dessine une question plus fondamentale : pourquoi certaines franges des sociétés occidentales recherchent-elles de nouveaux modes de rapport au vivant, au moment même où la crise environnementale atteint une intensité inédite ?

1. Aux origines : un mouvement issu de la performance artistique

L’écosexualité apparaît au début des années 2000, principalement sous l’impulsion d’Annie Sprinkle et d’Elizabeth Stephens, deux artistes états-uniennes mêlant pratiques performatives, activisme et réflexions issues des études queer. Leur ambition première n’est pas d’élaborer une doctrine écologique, mais de proposer une expérience artistique critique, destinée à interroger la manière dont l’être humain instrumentalise la nature.

Les premières performances prennent la forme de « mariages » symboliques avec des éléments naturels montagnes, cours d’eau, forêts ainsi que de rituels destinés à personnifier la Terre. Cette dimension performative constitue le cœur originel du mouvement.

2. Une diffusion amplifiée par l’ère numérique

Durant les années 2010, l’écosexualité gagne en visibilité grâce aux réseaux sociaux, aux festivals de performances et à quelques reportages documentaires. La circulation d’images parfois décontextualisées contribue à fixer l’idée d’un mouvement transgressif, alors que la majorité des pratiques relèvent d’expérimentations symboliques ou artistiques.

Cette médiatisation crée un décalage : un courant à l’audience réduite se trouve projeté dans l’espace public comme une tendance émergente, sans qu’il existe pour autant de structure militante, de revendication politique ou d’objectif environnemental clairement formulé.

3. Motivations et discours : entre quête de sens et critique de la modernité

Les personnes qui se réclament de l’écosexualité invoquent des motivations variées :

  • Réhabiliter le corps dans le rapport à la nature, perçu comme distendu par la vie urbaine et numérique ;
  • Explorer des formes alternatives de spiritualité dans des sociétés où les cadres religieux traditionnels déclinent ;
  • Proposer une critique des normes sociales, notamment en matière de sexualité et de rapport au vivant ;
  • Créer un sentiment d’appartenance à la Terre, conçue non comme un simple environnement mais comme un partenaire symbolique.

Ces discours témoignent d’un bouillonnement culturel, davantage que d’une démarche structurée autour de l’écologie scientifique ou de la préservation des écosystèmes.

4. Réactions publiques : entre scepticisme et interrogation sociologique

La réception du phénomène est majoritairement sceptique. Les pratiques les plus marginales notamment les mises en scène à caractère érotique dominent les commentaires, souvent au détriment des dimensions artistiques ou critiques initiales.

Pour autant, plusieurs chercheurs en sociologie et en anthropologie considèrent l’écosexualité comme révélatrice d’un contexte sociétal précis :

  • la montée d’individualismes spirituels,
  • la valorisation de l’expérience sensible,
  • la recherche de nouvelles formes de rituels dans des sociétés désymbolisées,
  • la difficulté, pour une partie des citoyens occidentaux, à appréhender la crise environnementale autrement qu’à travers des récits émotionnels.

5. Une portée écologique quasi nulle mais un éclairage culturel significatif

Aucune donnée ne permet d’affirmer que l’écosexualité influence la protection de la biodiversité, les comportements de consommation ou les politiques environnementales. Le mouvement n’a ni programme, ni structure, ni revendication mesurable.

En revanche, il éclaire plusieurs phénomènes contemporains :

  • La fragmentation des engagements écologiques, entre actions institutionnelles, mobilisations militantes structurées et expérimentations symboliques.
  • Le rôle des émotions dans la perception de la crise climatique, au détriment parfois des solutions techniques ou politiques.
  • L’hypervisibilité médiatique de pratiques marginales, souvent amplifiée par les logiques de viralité numérique.

Ainsi, l’écosexualité est moins une réponse à l’urgence climatique qu’un symptôme culturel des transformations occidentales face au vivant.

L’écosexualité ne constitue ni un mouvement écologique, ni un courant militant, ni un projet politique. Elle s’inscrit dans un registre symbolique et artistique qui interroge, à sa manière, la place de la nature dans les sociétés contemporaines. Sa pertinence écologique demeure faible ; sa valeur analytique, en revanche, réside dans ce qu’elle révèle des tensions identitaires, spirituelles et culturelles qui traversent les sociétés occidentales.

En choisissant de traiter ce phénomène sans ironie ni sensationnalisme, La Boussole – infos rappelle que comprendre le monde contemporain exige d’examiner aussi ses marges, ses expérimentations et ses questionnements même lorsqu’ils dérangent ou semblent insolites.

Celine Dou

En Suisse, la discorde des langues : quand le modèle du plurilinguisme s’essouffle face à l’uniformisation mondiale

Longtemps considérée comme un laboratoire d’équilibre linguistique et culturel, la Suisse voit aujourd’hui son modèle fragilisé par une querelle qui dépasse ses frontières. À l’heure où plusieurs cantons germanophones repoussent ou réduisent l’enseignement du français à l’école primaire, la cohésion d’un pays fondé sur le respect des différences semble vaciller. Une évolution symptomatique d’une époque où la logique d’efficacité globale menace la diversité linguistique jusque dans les sociétés qui l’avaient érigée en principe fondateur.

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Le multilinguisme, pilier d’une identité helvétique

Quatre langues nationales cohabitent officiellement sur le territoire suisse : l’allemand, le français, l’italien et le romanche. Ce plurilinguisme n’est pas un simple héritage historique : il constitue l’architecture même de la Confédération. Depuis 1848, le pacte fédéral repose sur un équilibre subtil entre autonomie cantonale et unité nationale, chaque région cultivant sa langue, sa culture et son mode de vie.

Mais cet équilibre repose sur une condition : la volonté politique d’apprendre et de comprendre l’autre. Dès l’école primaire, les enfants germanophones apprennent traditionnellement le français, et les romands, l’allemand. Ce principe a longtemps symbolisé la confiance mutuelle entre régions. Or, depuis une décennie, la mécanique s’enraye.

Quand l’anglais supplante les langues sœurs

Dans plusieurs cantons alémaniques Saint-Gall, Thurgovie, Zurich des réformes éducatives ont repoussé l’enseignement du français à un stade plus tardif du cursus scolaire, privilégiant l’apprentissage précoce de l’anglais.
Les autorités locales justifient ce choix par un argument pragmatique : l’anglais, lingua franca des affaires et d’Internet, serait plus « utile » dans le monde globalisé.
Mais dans la Suisse romande, cette orientation passe mal. Le gouvernement du canton de Vaud a dénoncé une « rupture du contrat fédéral tacite » qui liait les régions par le bilinguisme scolaire.

Pour les francophones, ce recul du français n’est pas anodin : il traduit une mutation culturelle profonde, où la logique économique prend le pas sur la conscience identitaire. La Confédération helvétique, symbole d’équilibre et de respect mutuel, semble glisser vers une forme de standardisation anglo-saxonne que l’on observe ailleurs en Europe.

Le dilemme du fédéralisme éducatif

La Suisse n’a pas de ministère central de l’Éducation. Chaque canton fixe son programme, ses langues d’enseignement, ses priorités. Ce fédéralisme éducatif, autrefois garant de liberté, se retourne aujourd’hui contre l’idéal d’unité linguistique.
Faut-il imposer, au niveau fédéral, un socle commun garantissant l’apprentissage d’une seconde langue nationale dès le primaire ?
La question divise. Les cantons germanophones défendent leur autonomie, tandis que les francophones rappellent qu’il en va de la survie du lien confédéral.

Le Conseil fédéral s’efforce d’arbitrer sans heurter les sensibilités. Une proposition de loi, discutée en 2024, visait à rendre obligatoire l’enseignement d’une langue nationale dans les premières années de scolarité, mais elle se heurte à la résistance des cantons qui y voient une ingérence fédérale.

Un symptôme européen : le recul du plurilinguisme

La querelle suisse ne se réduit pas à un désaccord local : elle illustre un malaise européen plus vaste.
Partout sur le continent, l’anglais progresse au détriment des langues nationales. En Allemagne, l’apprentissage du français recule depuis dix ans ; en Scandinavie, le bilinguisme traditionnel s’efface devant la domination de l’anglais dans les médias et les entreprises.
Même au sein des institutions de l’Union européenne, la langue de Shakespeare s’impose, alors que le Royaume-Uni n’en fait plus partie.

La Suisse, qui se veut modèle de diversité, se retrouve donc en première ligne d’un conflit culturel global : celui d’un monde qui sacrifie la pluralité sur l’autel de l’efficacité.

Entre cohésion et uniformisation : le choix d’un modèle

L’enjeu dépasse la simple question scolaire. Derrière les manuels et les programmes se joue une philosophie du vivre-ensemble.
Le plurilinguisme suisse n’est pas une coquetterie institutionnelle : c’est un pilier de la démocratie consensuelle helvétique.
S’il venait à s’effriter, c’est une part du génie politique suisse cette capacité à faire tenir ensemble des communautés différentes sans les fondre dans un moule unique qui serait menacée.

Les querelles linguistiques de 2025 ne sont donc pas une simple anecdote éducative. Elles questionnent la capacité des nations démocratiques à préserver leur diversité à l’heure de la mondialisation. Et peut-être, au-delà du cas suisse, renvoient-elles à une interrogation universelle :
peut-on encore défendre la pluralité des voix dans un monde qui tend à parler d’une seule ?

Analyse : Celine Dou

Julian McMahon, mort d’un homme libre : quand l’industrie du divertissement perd l’un de ses visages ambigus

Décédé à l’âge de 56 ans, l’acteur australo-états-unien s’était imposé dans les années 2000 comme un symbole des fictions télévisées de transition. Sa disparition éclaire, en creux, une époque marquée par la tension entre séduction, violence et quête d’identité.

Julian McMahon est mort le 2 juillet 2025 à Clearwater, en Floride, à l’âge de 56 ans, des suites d’un cancer qu’il avait choisi de combattre dans la discrétion. L’information, confirmée par son épouse Kelly McMahon, a suscité une pluie d’hommages dans les milieux du cinéma et de la télévision. Mais au-delà de l’émotion, le parcours de cet acteur discret interroge la manière dont le petit écran a mis en scène, pendant plus de deux décennies, des figures masculines troubles, ambivalentes, et profondément modernes.

Né à Sydney le 27 juillet 1968, Julian Dana William McMahon est le fils de Sir William McMahon, éphémère Premier ministre australien au début des années 1970. L’héritage politique, cependant, ne sera pas le sien. Très tôt, Julian McMahon choisit la voie du mannequinat, avant de s’orienter vers la comédie, d’abord dans les séries australiennes, puis aux États-Unis, où il s’installe durablement au tournant des années 1990.

C’est dans des rôles de plus en plus marquants qu’il se forge une notoriété : Profiler, Another World, puis surtout Charmed (où il incarne Cole Turner, mi-homme mi-démon, entre 2000 et 2005), et Nip/Tuck, série médicale corrosive dans laquelle il campe le chirurgien Christian Troy. Ce dernier rôle, salué par une nomination aux Golden Globes, impose son visage comme l’un des emblèmes d’une télévision postmoderne, en quête de récits sulfureux et de protagonistes tiraillés entre pulsion et rédemption.

Loin du héros linéaire, McMahon a souvent incarné des hommes en conflit avec eux-mêmes, séduisants mais instables, volontaires mais insaisissables. Une posture qui épouse celle des années 2000 : époque de remise en cause des figures d’autorité classiques, mais aussi de fascination pour le chaos intérieur. En incarnant tour à tour des êtres démoniaques, des esthètes cyniques ou des puissants ambivalents (Doctor Doom dans Fantastic Four, 2005 et 2007), il devient sans le dire un révélateur : celui des contradictions de l’Occident en quête de repères après la fin du XXe siècle.

Cette tension est encore visible dans ses choix récents : Marvel’s Runaways, FBI: Most Wanted, ou The Residence, série Netflix dans laquelle il interprète ironie du sort un Premier ministre australien, comme en écho tardif à ses origines familiales.

Sa dernière apparition publique, en mars 2025 au festival SXSW pour présenter le film The Surfer aux côtés de Nicolas Cage, n’avait rien d’un adieu. On y voyait un homme amaigri mais énergique, habité par son rôle et toujours proche de ses partenaires. C’est peut-être là le paradoxe Julian McMahon : une star sans tapage, un acteur populaire resté en marge des grands circuits hollywoodiens, préférant les séries aux blockbusters, les personnages tordus aux archétypes.

Le fait qu’il ait choisi de mener sa lutte contre le cancer dans l’intimité n’étonne guère. Son épouse a simplement évoqué « un effort courageux pour vaincre la maladie », sans chercher à médiatiser l’épreuve. À l’heure où l’exposition médiatique est souvent érigée en preuve d’authenticité, McMahon aura préféré le retrait, la pudeur, la trace laissée dans les mémoires plus que les plateaux de talk-shows.

Les réactions de ses anciens partenaires de jeu ont été à la mesure de l’homme : sobres, mais sincères. Alyssa Milano (Charmed) a salué « son intelligence tranquille et sa présence singulière », Holly Marie Combs a évoqué « un collègue toujours à l’écoute, même dans les scènes les plus dures », tandis que Nicolas Cage a souligné « son intensité calme et son art du doute ».

Au fond, Julian McMahon aura incarné un pan entier de la culture télévisuelle mondiale, celle qui, à la charnière des XXe et XXIe siècles, ne savait plus très bien qui étaient les héros, et où les monstres portaient parfois costume trois-pièces.

Julian McMahon laisse derrière lui un vide discret, à l’image de son parcours. Ni géant du box-office, ni révolutionnaire de la scène, il fut ce que l’époque avait de plus troublant à offrir : un homme en mouvement, libre, jamais tout à fait là où on l’attendait.

Willy Chavarría crée la controverse à la semaine de la mode de Paris en mettant en scène les détenus du Salvador

Un défilé du créateur Willy Chavarría, présenté lors de la semaine de la mode à Paris, a provoqué une vive réaction du gouvernement salvadorien. Mettant en scène des mannequins inspirés des détenus d’une prison de haute sécurité du Salvador, l’événement est accusé de « glorifier » des criminels responsables de décennies de violence. L’affaire illustre les tensions entre expression artistique, mémoire collective et justice pénale.

La mode, espace de création par excellence, peut-elle tout dire, tout représenter ? C’est la question soulevée par le défilé du styliste américano-mexicain Willy Chavarría, organisé à Paris lors de la semaine de la mode printemps-été 2026. Le créateur y a mis en scène une collection radicalement politique : des mannequins au crâne rasé, vêtus de tenues blanches, agenouillés ou marchant en file, évoquant visiblement les images marquantes du Centro de Confinamiento del Terrorismo (CECOT), la prison de haute sécurité construite par le gouvernement salvadorien pour y enfermer des membres présumés de gangs. Ce choix esthétique a immédiatement suscité la colère des autorités de San Salvador.

Willy Chavarría, dont le travail interroge depuis plusieurs années les stéréotypes liés à la masculinité, à l’identité et à la marginalité, a revendiqué un message clair : dénoncer la déshumanisation des migrants originaires d’Amérique centrale, fréquemment accusés d’appartenir à des gangs et expulsés des États-Unis d’Amérique sans procédure équitable. Le styliste a expliqué s’être inspiré de la manière dont ces jeunes sont arrêtés, enfermés, parfois exhibés comme des trophées dans les prisons de masse de leur pays d’origine.

Mais dans ce jeu de représentation, la frontière entre dénonciation et provocation s’est révélée particulièrement fine.

C’est sur X (ex-Twitter) que Nayib Bukele, président du Salvador, a d’abord réagi. Moqueur, il a proposé d’« envoyer ces criminels en France » si le gouvernement français était prêt à les accueillir. Au-delà de la formule sarcastique, l’exécutif salvadorien accuse la semaine de la mode parisienne d’avoir « glorifié des individus responsables d’innombrables morts, disparitions, extorsions et destructions de familles entières ». Le porte-parole du gouvernement a évoqué une insulte à la mémoire des victimes des gangs salvadoriens.

Cette dénonciation ne se comprend pleinement qu’en replaçant l’événement dans le contexte politique du pays : depuis mars 2022, Nayib Bukele mène une politique de sécurité extrêmement offensive. Sous un régime d’exception renouvelé depuis plus de deux ans, plus de 86 000 personnes ont été arrêtées, souvent sur simple soupçon d’appartenance à un gang. Si le taux d’homicide a fortement chuté, les organisations de défense des droits humains dénoncent des arrestations arbitraires, des décès en détention et une justice d’exception. Le Cecot, la prison évoquée dans le défilé, est le symbole même de cette lutte à la fois saluée pour son efficacité et critiquée pour ses dérives.

Le cas Chavarría met en lumière un dilemme profond : comment concilier engagement artistique et respect des sensibilités collectives ? Si l’intention du créateur était de dénoncer l’inhumanité de certaines politiques migratoires, la forme adoptée très proche de l’imagerie carcérale officielle salvadorienne a suscité un effet inverse. Elle a ravivé chez certains Salvadoriens le traumatisme des années de violence, où les gangs faisaient régner la terreur dans les quartiers populaires.

Ce malaise souligne l’ambiguïté d’une scène artistique mondialisée qui, parfois, instrumentalise des souffrances locales sans véritable ancrage dans leur complexité historique. Le paradoxe est d’autant plus flagrant que le défilé, présenté à Paris devant un public international, s’est tenu sans consultation ni dialogue avec les sociétés directement concernées.

Au-delà du Salvador, cette controverse met en lumière les failles d’une mondialisation culturelle où l’esthétique des périphéries est souvent recyclée sans considération pour son enracinement politique. Alors que la mode contemporaine se veut de plus en plus consciente, éthique et engagée, elle court aussi le risque d’une superficialité militante, où la provocation prend le pas sur l’intelligence du réel.

En cela, le défilé de Willy Chavarría, et les réactions qu’il a suscitées, posent une question cruciale : peut-on dénoncer la violence sans la représenter au risque de la magnifier ? Et qui a légitimité à parler, au nom de qui et de quoi ?

Encadré – CECOT, la prison aux deux visages

  • Inauguré en 2023, le Centro de Confinamiento del Terrorisme est présenté comme la plus grande prison d’Amérique latine.
  • Construit pour accueillir jusqu’à 40 000 détenus, il symbolise la stratégie de tolérance zéro menée par Bukele contre les maras.
  • Les images de prisonniers en slip, alignés au sol, les mains sur la nuque, ont circulé largement sur les réseaux sociaux et dans la presse mondiale.
  • Ce dispositif, encensé par une partie de la population salvadorienne épuisée par l’insécurité, est aussi critiqué pour son opacité et les violations des droits fondamentaux.

Afrique du Sud : à Soweto, une Journée nationale de prière face aux fractures encore béantes de l’après-Apartheid

Hier dimanche, à Soweto, hauts lieux de la mémoire sud-africaine, des milliers de citoyens se sont rassemblés pour la Journée nationale de prière, placée sous le thème explicite : « Confronter le passé, bâtir une société réconciliée ». Derrière les hymnes et les supplications, c’est tout un pays qui, une fois de plus, a été contraint de regarder en face ses blessures profondes, héritées du régime d’Apartheid.

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Sport féminin : Martina Navratilova dénonce l’inclusion des athlètes transgenres au nom de l’équité

Figure historique du tennis mondial et militante de longue date des droits des femmes et des minorités sexuelles, Martina Navratilova fait aujourd’hui entendre une voix discordante dans le débat brûlant sur la place des personnes transgenres dans le sport féminin. Au nom de l’équité biologique, elle appelle à une séparation stricte entre sport féminin et participation des athlètes ayant vécu une puberté masculine.

Interrogée par la journaliste états-unienne Kara Swisher, Navratilova a défendu une ligne claire :

« Une compétition féminine équitable doit reposer sur le sexe biologique, sinon elle cesse d’être juste. »

Pour la championne aux 18 titres du Grand Chelem, les femmes trans ayant traversé une puberté masculine bénéficient d’un avantage physique irréductible, qu’aucun traitement hormonal ne peut totalement annuler. Gabarit osseux, densité musculaire, capacité respiratoire : autant d’éléments qui, selon elle, faussent la donne dans les disciplines de force, d’endurance ou de vitesse.

Navratilova ne remet pas en cause les droits civils des personnes transgenres dans la société civile. Elle plaide même pour leur reconnaissance dans la vie quotidienne. Mais selon elle, le sport de haut niveau constitue une exception, car il repose sur des critères objectifs de performance.

« Ce n’est pas une question de haine ou d’exclusion. C’est une question d’équité. »

Sa position lui a valu l’exclusion du conseil consultatif d’Athlete Ally, organisation de défense des minorités LGBTQ dans le sport. Elle est désormais régulièrement taxée de « transphobie » par les cercles militants. Pourtant, plusieurs études scientifiques confortent ses arguments : elles établissent que la puberté masculine confère des avantages significatifs dans certaines disciplines, même après des années de transition.

La controverse s’inscrit dans un contexte plus large. Depuis 2022, de nombreuses fédérations internationales (World Athletics, FINA, UCI, etc.) ont décidé d’exclure les femmes transgenres ayant connu une puberté masculine des compétitions féminines élite. Certaines explorent la création d’une catégorie « open » ou « mixte », dans une tentative d’inclusion sans atteinte à l’intégrité des compétitions féminines.

Cette évolution traduit un virage prudent : le sport mondial cherche à préserver l’équité sans sombrer dans l’idéologie, alors que certains activismes exigent l’effacement de toute distinction fondée sur le sexe biologique.

Dans les milieux féministes, les positions se fracturent. Certaines militantes, comme Navratilova, affirment qu’un féminisme cohérent ne peut éluder les réalités biologiques. D’autres, au contraire, estiment que cette ligne de défense dissimule des logiques d’exclusion.

Mais pour de nombreuses sportives de haut niveau, la question est moins théorique que concrète : peuvent-elles concourir dans des conditions équitables si des concurrentes biologiquement masculines leur sont opposées ? La réponse, de plus en plus souvent, est non

Au fond, cette affaire révèle le divorce croissant entre données scientifiques, revendications identitaires et cadre légal. Alors que certaines législations encouragent une autodétermination libre du genre, d’autres domaines, comme le sport, continuent d’imposer des bornes biologiques strictes.

Martina Navratilova incarne ce dilemme : ancienne icône du progressisme, elle est aujourd’hui perçue comme une dissidente voire une hérétique par les courants qu’elle a jadis soutenus.

En résumé

Martina Navratilova exige que le sport féminin reste fondé sur le sexe biologique.
Elle est soutenue par certaines fédérations et figures scientifiques, mais critiquée par les militants LGBTQ.
Le débat cristallise les tensions entre science, inclusion et équité, dans un monde occidental de plus en plus polarisé.
Le sport, en tant qu’espace d’objectivation corporelle, devient un champ de bataille idéologique.

Sly Stone est mort : le funk perd l’un de ses architectes les plus radicaux

Le 9 juin 2025, Sylvester Stewart alias Sly Stone s’est éteint à Los Angeles à l’âge de 82 ans. Derrière les paillettes psychédéliques et les grooves effervescents, ce pionnier états-unien du funk laisse une empreinte culturelle et politique d’une rare densité.

Il fut l’un des artistes les plus novateurs du XXe siècle. Fondateur du groupe Sly and the Family Stone, Sly Stone a profondément transformé le paysage musical mondial, au croisement du funk, de la soul, du rock et de la contre-culture. Le musicien est décédé des suites d’une maladie pulmonaire chronique, entouré de ses proches. Si la nouvelle de son décès bouleverse la scène musicale mondiale, elle offre aussi une occasion de revisiter un legs artistique qui déborde largement du champ du divertissement.

Né au Texas en 1943 et élevé en Californie dans une famille religieuse, Sly Stone se forme très tôt à la musique gospel. Multi-instrumentiste surdoué, il devient producteur et animateur radio avant de fonder, en 1966, un groupe qui ne ressemble à aucun autre : Sly and the Family Stone. Un collectif mixte, tant sur le plan racial que genré fait rare, voire révolutionnaire à l’époque, où Noirs et Blancs, hommes et femmes, partagent la scène et la création. Le choix est hautement politique, en plein contexte de luttes pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique.

À travers des titres comme Everyday People, Family Affair ou Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin), le groupe impose une esthétique nouvelle. Le groove est tendu, syncopé, électrisant. Le message est clair : la musique est un vecteur de transformation sociale. Si James Brown a codifié le funk, Sly Stone en a démultiplié les possibilités harmoniques, narratives et spirituelles. Le genre devient un moyen de résistance, d’affirmation identitaire et d’utopie collective.

Au tournant des années 1970, le succès du groupe est fulgurant. There’s a Riot Goin’ On (1971) marque un virage plus sombre, lucide sur la désillusion post-hippie et la violence raciale persistante. L’album anticipe, par son ton grave et son tempo ralenti, l’émergence d’un funk introspectif, quasi crépusculaire. Prince, George Clinton, D’Angelo, Dr. Dre ou encore Public Enemy y puiseront une large part de leur inspiration.

Mais la trajectoire personnelle de Sly Stone bascule. Reclus, en proie à des addictions, il sombre progressivement dans l’oubli. Des décennies durant, l’architecte du funk moderne disparaît de la scène, au point de devenir une figure quasi mythique, entre errance et culte underground. Ce n’est qu’en 2023 qu’il refait surface avec la parution de ses mémoires, Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin), saluées pour leur sincérité et leur intelligence narrative. Le documentaire Sly Lives!, produit par Questlove, en a récemment ravivé l’éclat.

Le décès de Sly Stone suscite une vague d’hommages à travers le monde. Au-delà de la nostalgie, c’est une œuvre profondément actuelle que redécouvre le public. L’insistance sur l’unité dans la diversité, la critique des hiérarchies raciales, la valorisation des identités collectives et hybrides, autant de thèmes qui résonnent fortement avec les débats contemporains.

Dans un contexte international marqué par la montée des crispations identitaires et les fractures sociales, la musique de Sly Stone apparaît comme un antidote. Son funk ne prônait pas le repli, mais la fusion. Sa vision, à la fois exigeante et joyeuse, s’adressait à une humanité plurielle.

Sly Stone ne fut jamais un simple amuseur. Il fut un expérimentateur, un passeur, un prophète musical. Son influence traverse les frontières culturelles et géographiques, bien au-delà des États-Unis d’Amérique. Elle rappelle que la musique peut servir à autre chose qu’au divertissement : elle peut inventer des futurs désirables.

En 2025, dans un monde où la quête de sens se confronte à des mutations accélérées, cette disparition n’est pas une fin. C’est un rappel. Celui que certaines œuvres, et certains artistes, continuent à vivre dans la mémoire collective comme autant de repères dans la tempête.

Malia Obama devient Malia Ann : identité choisie, héritage assumé ?

En décidant de signer ses projets artistiques sous le nom de Malia Ann, la fille aînée de l’ancien président des États-Unis d’Amérique Barack Obama s’extrait volontairement, mais discrètement, de l’ombre de l’un des patronymes les plus puissants de la planète. Ce choix, présenté comme artistique, a pourtant toutes les apparences d’un acte profondément politique. Il raconte quelque chose de plus vaste : une époque où les enfants d’icônes mondiales cherchent à se réinventer dans un monde qu’ils n’ont pas choisi, mais dont ils héritent avec tout le poids symbolique que cela implique.

C’est au festival de Deauville en septembre 2024 que le grand public découvre officiellement Malia Ann, réalisatrice d’un court-métrage intime et poétique intitulé The Heart, récompensé par le prix « Young Spirit ». Mais c’est à Sundance, quelques mois plus tôt, que cette mue identitaire s’opère. En signant ses œuvres de son deuxième prénom « Ann », hérité de sa grand-mère maternelle, Malia Obama trace une ligne de démarcation. Non pas une rupture violente, mais une volonté de se définir autrement.

La démarche n’a rien d’un simple caprice de célébrité. Elle traduit un besoin fondamental d’émancipation : celui de ne pas être assignée à un rôle d’héritière éternelle, ou de figure secondaire dans le récit politique d’un père devenu mythe. Dans une Amérique où les noms résonnent comme des slogans, se rebaptiser, c’est revendiquer le droit de se nommer soi-même.

Michelle Obama, interrogée lors d’un podcast récemment, a salué la décision de sa fille comme une marque de « conscience personnelle » et « d’authenticité ». « Elle veut que ses idées soient jugées sur leur valeur, pas sur son nom de famille », a-t-elle confié. Barack Obama, lui, a rapporté une anecdote éclairante : lorsqu’il dit à sa fille que les gens sauront de toute façon qui elle est, celle-ci lui aurait répondu : « Je veux qu’ils découvrent le film avant de me reconnaître. »

Cette quête d’invisibilité volontaire pourrait paraître paradoxale, venant d’une jeune femme qui a grandi sous les projecteurs. Mais c’est précisément pour cela que sa démarche est saluée comme lucide. Elle n’efface pas son origine ; elle en redéfinit le sens.

Le cas de Malia Obama ne saurait être réduit à une anecdote familiale. Il illustre les nouvelles modalités de transmission symbolique dans les démocraties occidentales : le pouvoir se perpétue désormais non seulement par les urnes, mais aussi par l’image, la culture, la narration.

En devenant Malia Ann, la jeune femme ne fuit pas le politique elle le reformule. Elle quitte les sphères institutionnelles pour investir le champ de la création, de l’émotion, de l’intime. Et ce faisant, elle perpétue, malgré elle peut-être, un certain soft power états-unien : celui qui passe désormais par les séries, les films indépendants, les récits personnels universalisables. L’héritière de l’homme le plus puissant du monde ne devient pas présidente ; elle devient conteuse.

La démarche de Malia Obama rejoint celle d’une génération qui refuse l’assignation. Dans les milieux de la culture comme dans ceux du militantisme, nombre de jeunes héritiers de dynasties politiques ou économiques cherchent à se redéfinir hors de la ligne officielle. Certains empruntent des pseudonymes, d’autres se font discrets, d’autres encore contestent l’héritage parental ouvertement.

Mais tous ont en commun un malaise face à une société où les noms sont devenus des marques, et où les marques écrasent les individus. Le changement de nom de Malia Ann est donc aussi une critique silencieuse de la société du spectacle politique. Elle refuse que son nom devienne une étiquette, une caution, ou une vitrine.

Reste la question : peut-on vraiment échapper à un nom comme « Obama » ? Dans un monde hyperconnecté, où l’identité numérique précède souvent la personne, le choix de Malia Ann semble avant tout symbolique. Car les spectateurs savent. Les médias rappellent. Les cercles de production restent conscients de qui elle est.

Mais ce n’est peut-être pas un échec. Le simple fait d’avoir posé ce geste, d’avoir dit « je veux exister autrement », est déjà un acte fondateur. Un refus de l’évidence. Un signal d’indépendance.

En choisissant de devenir Malia Ann, la fille de Barack et Michelle Obama n’efface pas son passé ; elle écrit un présent différent. Un présent où l’héritage n’est pas un destin. Un présent où l’on peut naître dans un palais présidentiel et décider de raconter des histoires dans l’ombre d’un projecteur, plutôt qu’à la tribune d’un congrès.

Et si c’était cela, désormais, le vrai pouvoir : celui de se réécrire ?