La fin d’un régime n’efface pas les logiques qu’il a créées. En Syrie, la chute de Bachar el-Assad n’a pas détruit l’économie du Captagon ; elle l’a libérée.
Lire la suite: Syrie post-Assad : la guerre est finie, le commerce de la drogue continue
Lorsque le régime Assad s’est effondré, beaucoup ont cru à la fin d’une ère de violence et de prédation. Mais la Syrie post-Assad révèle une vérité plus dérangeante : la guerre ne meurt pas avec les armes, elle se prolonge dans les circuits économiques qu’elle a engendrés. Le Captagon, cette amphétamine jadis fabriquée pour financer l’effort de guerre, est devenu le symbole de cette mutation : la transformation d’un État militarisé en archipel criminel.
Un pays sans État, mais avec un système
Sous Assad, le Captagon servait à contourner les sanctions, à acheter des loyautés et à financer les opérations militaires. Ce n’était pas un simple trafic : c’était une économie politique du pouvoir, un outil de survie d’un régime assiégé.
Mais en s’effondrant, le régime a légué ses réseaux, ses savoir-faire, et ses logiques de rente à une multitude d’acteurs milices locales, anciens officiers, tribus frontalières, groupes armés étrangers.
Loin de disparaître, le système s’est décentralisé. Le pouvoir s’est dilué, mais la logique de prédation a survécu. Le Captagon est devenu la colonne vertébrale d’un nouvel ordre : un ordre sans État, mais structuré par la continuité du profit et du contrôle.
De la guerre économique à l’économie du désordre
Le Captagon n’est pas qu’une drogue syrienne : c’est le produit d’un vide international. Les puissances régionales Arabie saoudite, Turquie, Iran tolèrent ou exploitent le commerce pour maintenir leurs zones d’influence.
L’Europe, focalisée sur la question migratoire, réagit par saisies sporadiques mais sans stratégie globale.
Résultat : un marché mondial estimé à plusieurs milliards de dollars par an, qui prospère sur la faillite de la reconstruction.
Là où l’on attendait la paix, c’est l’économie de guerre qui a survécu, mais sous une autre forme : celle du commerce illicite. Le Captagon incarne cette transition perverse, où la fin du conflit ne débouche pas sur la stabilisation, mais sur la privatisation du chaos.
Le Captagon comme métaphore géopolitique
La Syrie post-Assad est moins un État qu’un territoire circulatoire : un hub du désordre mondial.
Les routes de la drogue croisent celles des réfugiés, des armes et des capitaux. Chaque cargaison reflète une dynamique plus large : la dérégulation du monde.
Le Captagon devient ainsi la métaphore chimique d’un ordre global sans souveraineté un monde où la guerre, la finance et le crime convergent.
La paix sans reconstruction : une illusion
La communauté internationale parle de « stabilisation », mais comment stabiliser un pays dont la survie économique repose sur le trafic ?
Le Captagon révèle un paradoxe cruel : la paix n’existe pas sans justice économique. Tant que les populations n’auront d’autre horizon que l’économie de la poudre, la Syrie restera un espace de guerre déguisée.
Le Captagon n’est pas une dérive post-Assad, mais la continuité d’un modèle : celui d’une gouvernance par la rente, de la survie par le crime et du silence international.
Il démontre que dans le monde contemporain, la guerre n’est plus un accident politique, mais une condition économique.
Celine Dou