Face à la montée des témoignages d’adultes brisés par des enfances violentes ou négligées, le Sénat français examine une proposition de loi qui pourrait bouleverser un des piliers du droit civil : l’obligation alimentaire envers ses parents.
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« Hors de question de payer pour quelqu’un qui a brisé mon enfance ». Ces mots, durs mais récurrents, traduisent le ras-le-bol de nombreuses personnes en France confrontées à une exigence juridique qui leur semble moralement insoutenable : devoir financièrement assister un parent qui les a abandonnés, maltraités ou rejetés.
Portée par le sénateur Xavier Iacovelli, la proposition de loi n°349, déposée le 17 février 2025, entend permettre à tout adulte âgé de 18 à 30 ans de renoncer par acte notarié à cette obligation alimentaire, lorsque le parent concerné s’est montré défaillant dans ses devoirs. L’acte, une fois enregistré, pourrait être contesté dans les six mois par le parent, mais la charge de la preuve pèserait alors sur ce dernier, tenu de démontrer qu’il a assumé avec bienveillance ses responsabilités éducatives.
En France, l’obligation alimentaire découle du principe de solidarité familiale inscrit dans le Code civil. Chaque enfant majeur est censé participer, selon ses moyens, à l’entretien de ses parents dans le besoin. Ce principe, issu d’une vision patriarcale et catholique de la famille, a longtemps été considéré comme intangible. Mais l’évolution des mœurs et la reconnaissance juridique des violences intra-familiales viennent bousculer cet héritage.
Depuis la loi dite « Bien vieillir » de 2024, certains cas d’exonération sont déjà prévus : enfants retirés de leur famille par décision judiciaire, condamnation d’un parent pour violences graves ou manquements caractérisés. Toutefois, la proposition Iacovelli va plus loin, en conférant aux victimes la possibilité d’agir directement, sans passer par une longue procédure judiciaire.
Les médias français ont relayé de nombreux récits d’adultes sommés par la justice d’aider financièrement un parent qui les avait pourtant abandonnés. Ces affaires ont provoqué un débat moral : la solidarité familiale doit-elle être automatique ?
Pour les associations de protection de l’enfance, cette réforme constitue une forme de reconnaissance. « Pendant des décennies, on a parlé de devoir filial sans jamais évoquer la dette morale des parents », estime une juriste interrogée par France 3.
À l’inverse, certains juristes craignent un glissement vers une société où le lien filial deviendrait contractuel, au risque de fragiliser l’esprit même de la solidarité intergénérationnelle.
Si le débat se déroule en France, il interroge des valeurs partagées bien au-delà de ses frontières. En Afrique, notamment, la solidarité familiale reste une valeur cardinale, mais les transformations sociales et urbaines bousculent également ce socle. De plus en plus de jeunes adultes, confrontés à des histoires d’abandon ou de maltraitance, s’interrogent sur les limites du devoir filial.
Cette proposition de loi, si elle venait à être adoptée, pourrait donc inspirer d’autres législations dans les pays confrontés aux mêmes tensions entre devoir de mémoire et besoin de justice individuelle.
Outre la possibilité de renoncer à l’obligation alimentaire, le texte prévoit la perte automatique des droits successoraux à l’égard du parent concerné. Un geste lourd de conséquences, mais aussi de sens : rompre le lien matériel pour mieux se libérer du lien de souffrance.
Le Sénat doit examiner la proposition dans les prochaines semaines. Si elle est adoptée, la France deviendra l’un des rares pays à permettre une émancipation légale de l’obligation parentale, une mesure qui résonne puissamment avec les luttes contemporaines pour la reconnaissance des traumatismes d’enfance.
Cette initiative parlementaire s’inscrit dans une évolution plus large du droit occidental, où la famille n’est plus seulement un espace sacré, mais aussi un lieu de responsabilité partagée. Entre solidarité et justice, la société française cherche à redéfinir les contours du lien filial à l’aune de la dignité individuelle.
Celine Dou