Archives pour la catégorie Sciences

Ouragan Mélissa : les Caraïbes face aux vulnérabilités révélées par la catastrophe

L’ouragan Mélissa, qui a traversé les Caraïbes fin octobre 2025, a frappé avec une intensité exceptionnelle la Jamaïque et Cuba, tandis que Haïti subissait les conséquences indirectes de pluies diluviennes et d’inondations. Au-delà du bilan humain et matériel, cet événement expose les fragilités structurelles et sociales de ces États, ainsi que les limites de leur préparation face aux catastrophes naturelles.

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Formé au large des îles du Cap-Vert le 13 octobre, Mélissa a rapidement gagné en intensité pour atteindre la catégorie 5 au moment où il a touché le sud-ouest de la Jamaïque le 28 octobre. Les vents dépassant les 295 km/h ont provoqué des destructions massives, arasant des quartiers entiers et privant la majorité de la population d’électricité. Les routes et infrastructures de communication ont été lourdement endommagées, tandis que le secteur touristique, pilier de l’économie jamaïcaine, se trouve désormais confronté à un choc sans précédent.

En Haïti, où l’œil de l’ouragan n’est pas passé directement, les fortes précipitations ont provoqué des inondations et des glissements de terrain dans les départements du Sud et de l’Ouest. À Petit-Goâve, plusieurs dizaines de maisons ont été détruites et au moins vingt-cinq personnes ont trouvé la mort, dont de nombreux enfants. Ces pertes viennent s’ajouter à une vulnérabilité structurelle déjà chronique : infrastructures fragiles, accès limité aux services essentiels, précarité économique et insécurité alimentaire persistante. Mélissa révèle à nouveau combien les catastrophes naturelles exacerbent les inégalités et fragilisent les populations déjà vulnérables.

Cuba, pour sa part, a anticipé le passage de l’ouragan et procédé à l’évacuation de plus de 735 000 personnes dans la région orientale. Cette préparation a permis de limiter les pertes humaines, mais les dégâts matériels restent importants. Les cultures de banane et de café ont été endommagées, les réseaux électriques et de communication sont perturbés, et les infrastructures rurales sont lourdement affectées. La reprise économique et la remise en état des services publics s’annoncent longues et coûteuses.

Au-delà des conséquences immédiates, Mélissa met en lumière des vulnérabilités structurelles communes aux trois pays : l’insuffisance des infrastructures face à des phénomènes climatiques extrêmes, la dépendance à des économies locales fragiles, la concentration des populations dans des zones exposées et la difficulté à mobiliser rapidement des moyens de secours adéquats. Les enfants et autres groupes vulnérables sont particulièrement affectés, avec des perturbations dans l’accès à l’éducation, à l’eau potable et aux soins.

L’ouragan s’inscrit également dans une dynamique climatique préoccupante. Le réchauffement des eaux de l’Atlantique favorise l’intensification des cyclones tropicaux et augmente la fréquence des phénomènes extrêmes. Pour des pays aux moyens limités, cette intensification climatique transforme chaque tempête majeure en une catastrophe disproportionnée. Mélissa illustre ainsi la convergence entre risques naturels, vulnérabilité sociale et insuffisance structurelle, soulignant la nécessité d’une approche globale pour la gestion des catastrophes.

Enfin, les implications économiques et géopolitiques seront durables. La reconstruction nécessitera des financements importants, souvent dépendants de l’aide internationale et régionale. Les économies touristiques et agricoles seront affectées sur le moyen terme, tandis que la coordination de l’aide humanitaire reste un défi pour Haïti et la Jamaïque. Cet ouragan rappelle que les États les plus exposés, malgré des préparations parfois efficaces, restent profondément vulnérables face à des catastrophes d’ampleur exceptionnelle.

L’ouragan Mélissa n’est pas seulement un événement météorologique. Il constitue un révélateur des fragilités sociales, économiques et institutionnelles des pays touchés et souligne l’urgence de stratégies de prévention, de renforcement des infrastructures et de soutien international face aux conséquences croissantes du changement climatique.

Celine Dou

Corse du Sud (France) : face à la sécheresse, des habitants soumis à des mesures radicales

Le sud de la Corse traverse un épisode de sécheresse exceptionnel. Les réserves d’eau des communes littorales comme Bonifacio, Porto‑Vecchio ou Figari sont à des niveaux historiquement bas, obligeant les autorités à imposer des restrictions strictes sur l’usage domestique et touristique de l’eau.

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Intelligence Artificielle : Plus de 800 personnalités appellent à encadrer l’IA superintelligente : risques, gouvernance et enjeux sociétaux

Le 22 octobre 2025, le Future of Life Institute (FLI) a lancé un signal d’alarme mondial. Dans une lettre ouverte publiée sur son site et relayée par les médias internationaux, plus de 800 personnalités chercheurs, entrepreneurs, figures culturelles et responsables politiques ont demandé l’interdiction temporaire du développement d’une intelligence artificielle superintelligente (IASI), jusqu’à ce qu’un consensus scientifique et sociétal soit atteint. Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio, figures emblématiques de l’IA, aux côtés de Steve Wozniak, Meghan Markle et du prince Harry, ont choisi de s’associer à cet appel, soulignant l’ampleur et l’urgence du débat.

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Les signataires mettent en garde contre des risques qui dépassent largement la sphère technologique. Selon eux, une IA superintelligente pourrait transformer radicalement les sociétés humaines, entraînant obsolescence des compétences, perturbation économique, perte de contrôle politique et menace directe sur les libertés fondamentales. La lettre évoque même la possibilité, dans des scénarios extrêmes, d’un impact existentiel sur l’humanité. Cette mise en garde illustre que l’innovation ne peut plus être pensée uniquement en termes de productivité ou de compétitivité : elle engage désormais l’équilibre social et la survie politique des nations.

Le débat prend d’autant plus d’importance que la course à l’IA est mondiale et féroce. Les États-Unis, la Chine et l’Union européenne investissent massivement dans des systèmes de plus en plus avancés, et des entreprises comme OpenAI, Google ou Meta rivalisent pour atteindre des capacités cognitives inédites. Dans ce contexte, la gouvernance de l’IA devient un enjeu stratégique, diplomatique et économique. La question n’est plus seulement technologique : elle est politique. Comment encadrer des systèmes qui pourraient échapper au contrôle humain ? Quelle régulation internationale peut assurer sécurité, équité et transparence ? Peut-on créer des garde‑fous efficaces alors que la compétition mondiale pousse à la précipitation ?

L’enjeu dépasse également le champ économique et géopolitique : il est profondément sociétal. La superintelligence pourrait bouleverser l’emploi, redéfinir les hiérarchies sociales et remettre en question le rôle de l’humain dans la production et la décision. L’éducation, les institutions démocratiques, la vie collective et même la notion de liberté pourraient se trouver affectées. La lettre ouverte insiste sur la nécessité d’un débat public global : chaque citoyen, chaque société, doit mesurer les conséquences des choix technologiques actuels sur les générations futures.

Le texte soulève aussi des interrogations éthiques fondamentales. Qui décide de ce qui est acceptable ? Quelle responsabilité assumer face à des machines capables d’apprendre et de s’auto‑améliorer ? L’IA superintelligente pose la question de la place de l’humain dans le monde : elle peut être un instrument de progrès ou devenir un facteur d’aliénation et de dépendance. Les signataires insistent sur le fait que la technologie ne peut se substituer à l’éthique et que toute innovation doit être encadrée par des valeurs humaines clairement définies.

Cependant, cet appel n’est pas sans contestation. Certains chercheurs et entrepreneurs estiment qu’une pause serait irréaliste, que la régulation pourrait freiner des progrès bénéfiques et que l’IA superintelligente reste, pour l’heure, largement théorique. Cette tension entre innovation et précaution illustre une fracture profonde : celle entre la vitesse du développement technologique et la capacité des sociétés à en maîtriser les conséquences.

Loin de se limiter à un débat académique, cette mobilisation témoigne d’une urgence sociale et morale. Elle rappelle que l’IA n’est pas seulement un enjeu technique : elle conditionne l’avenir de l’organisation humaine, la répartition du pouvoir et le rapport de chacun à la technologie. L’initiative du FLI ouvre un espace nécessaire pour réfléchir aux garde‑fous politiques, aux mécanismes de régulation internationale, mais aussi à la sensibilisation des citoyens. Elle pose la question de l’anticipation : vaut‑il mieux freiner une technologie avant qu’elle ne nous échappe, ou courir le risque d’une innovation incontrôlée ?

Le futur de l’IA superintelligente reste incertain, mais le débat qu’elle suscite est déjà une étape cruciale. La communauté scientifique, les gouvernements, l’industrie et la société civile sont désormais confrontés à un choix : laisser l’innovation précéder la réflexion ou instaurer un cadre rigoureux qui protège l’humain tout en permettant un progrès maîtrisé. Cette réflexion n’est pas seulement technique : elle est politique, éthique et profondément sociétale. Dans cette perspective, l’appel lancé par ces 800 personnalités constitue un jalon essentiel dans la définition du rapport futur de l’humanité à ses créations les plus puissantes.

Celine Dou

Sibérie : des céramiques inédites révèlent une culture inconnue de l’Âge du bronze

Dans la vaste étendue de la steppe de Baraba, à l’ouest de la Sibérie, le site de Tartas‑1 continue de livrer ses secrets, plus de vingt ans après sa découverte initiale. Une équipe de l’Académie des sciences de Russie, dirigée par Vyacheslav Molodin, y a récemment mis au jour des fragments de céramique vieilles de quelque 6 000 ans, dont les formes et motifs défient toutes les classifications connues pour la région.

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Les bols découverts se distinguent par leur fond plat et des décorations complexes, évoquant une texture tissée directement dans la glaise. « Ce sont des poteries totalement atypiques, qui ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît en Sibérie », affirme Vyacheslav Molodin. Ces objets ne correspondent ni aux productions de la culture locale d’Ust‑Tartas (5000‑3000 avant J.-C.), ni à aucune autre tradition identifiée dans l’Âge du bronze eurasiatique.

La découverte soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. S’agit-il d’une évolution stylistique des Ust‑Tartas, ou de la manifestation d’un groupe humain jusque-là inconnu ? Les motifs géométriques et texturés pourraient indiquer un savoir-faire artisanal sophistiqué et suggérer l’existence d’échanges culturels inédits dans cette région. Le site, encore largement inexploré, pourrait receler d’autres vestiges éclairant l’organisation sociale et économique de ces populations oubliées.

Pour les chercheurs, cette trouvaille offre une opportunité rare de mieux comprendre l’histoire eurasiatique. Les analyses ADN et les datations au carbone 14 prévues permettront peut-être de relier ces céramiques à un groupe humain spécifique et de préciser leur place dans la chronologie locale. Elles contribueront également à reconstituer les réseaux d’influence et les savoir-faire techniques de l’époque, souvent méconnus dans la préhistoire sibérienne.

Au-delà de l’intérêt scientifique, cette découverte illustre l’importance de la steppe de Baraba comme un carrefour d’innovation et de contacts culturels à l’âge du bronze. Elle rappelle que l’histoire humaine est encore largement à redécouvrir, et que des cultures entières peuvent demeurer invisibles jusqu’à ce que de nouvelles fouilles ou technologies permettent de les révéler.

Celine Dou

Inde : la pluie artificielle à New Delhi, un pari scientifique pour conjurer une crise environnementale durable

L’Inde vient de franchir une étape symbolique et controversée dans la lutte contre la pollution atmosphérique : le 24 octobre, les autorités de New Delhi ont procédé à un premier essai de pluie artificielle, en ensemençant les nuages afin de dissiper le brouillard toxique qui étouffe la capitale depuis plusieurs jours. L’expérience, menée en collaboration avec l’Institut indien de technologie de Kanpur, mobilise un avion Cessna équipé de fusées d’iodure d’argent pour provoquer des précipitations censées « nettoyer » l’air.

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Cette tentative traduit moins un triomphe scientifique qu’un aveu d’impuissance collective face à une crise environnementale désormais chronique. Chaque hiver, la mégapole de plus de trente millions d’habitants figure parmi les villes les plus polluées du monde : les particules fines y atteignent parfois soixante fois le seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la santé. Entre émissions industrielles, trafic automobile et brûlis agricoles, la capitale indienne s’enferme dans un smog persistant que ni les interdictions de feux d’artifice ni les restrictions de circulation ne parviennent à endiguer.

Une fuite en avant technologique

Inventée dans les années 1940, la technique d’ensemencement des nuages consiste à introduire dans l’atmosphère des substances comme l’iodure d’argent ou le chlorure de sodium afin de favoriser la condensation de la vapeur d’eau. Elle a déjà été utilisée en Chine, aux Émirats arabes unis ou encore aux États-Unis d’Amérique, pour stimuler la pluie, réduire la grêle ou limiter les incendies. Mais son efficacité demeure incertaine et variable selon les conditions météorologiques, et son impact écologique n’est pas neutre.

En recourant à cette méthode, l’Inde s’inscrit dans un mouvement plus large de géo-ingénierie climatique, où la technologie prétend compenser les dérèglements qu’elle a souvent contribué à engendrer. Ces initiatives traduisent une volonté d’agir vite, mais elles posent des questions fondamentales : jusqu’où l’humanité peut-elle « corriger » les déséquilibres qu’elle a provoqués ? Et à quel coût environnemental, social et éthique ?

Un miroir des contradictions du développement

La pluie artificielle révèle les paradoxes des puissances émergentes. L’Inde, qui ambitionne de devenir la troisième économie mondiale, reste prisonnière d’un modèle de croissance intensif en énergie fossile, tandis que des millions d’Indiens subissent directement les conséquences sanitaires de cette pollution : affections respiratoires, maladies cardiovasculaires, baisse de l’espérance de vie.

Cette situation illustre le dilemme des pays du Sud : comment concilier essor économique et survie écologique, dans un système mondial encore dominé par les logiques productivistes héritées du Nord ? New Delhi, en cherchant à “faire pleuvoir” pour respirer, incarne cette tension entre modernité et fragilité.

Une réponse de court terme à un problème structurel

Les spécialistes de l’environnement s’accordent : seule une transformation profonde du modèle énergétique et urbain permettra de réduire durablement la pollution. La pluie artificielle, aussi spectaculaire soit-elle, ne traite pas la source du mal. Elle disperse un symptôme sans guérir la maladie.

Derrière le geste scientifique, se dessine ainsi une interrogation plus vaste : la technologie peut-elle vraiment réparer ce que l’homme dérègle ? Ou n’est-elle qu’un palliatif provisoire à une crise que seule une conversion écologique mondiale pourrait résoudre ?

Celine Dou

Antilles françaises : les vestiges amérindiens de Sainte-Anne remettent en question le récit colonial

Le 25 octobre 2025, Mediapart a révélé la découverte de nombreux vestiges amérindiens à Sainte-Anne, sur la côte sud de la Martinique. Ces trouvailles archéologiques, effectuées sur le site du futur complexe hôtelier du Club Med, permettent de revisiter l’histoire précoloniale de l’île et interrogent la manière dont les civilisations locales ont été représentées dans le récit colonial traditionnel.

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Une mémoire archéologique méconnue

Les fouilles ont mis au jour des traces significatives de l’occupation amérindienne, révélant une société structurée, aux pratiques culturelles et économiques développées bien avant l’arrivée des colons européens. Des outils, des céramiques et des vestiges d’habitat témoignent de l’organisation complexe de ces communautés et de leur maîtrise de l’espace et des ressources naturelles.

Pour les spécialistes, ces découvertes contradissent l’idée longtemps entretenue d’une île « vide » ou « peu civilisée » avant la colonisation, rappelant que l’histoire des Antilles ne commence pas avec l’arrivée des Européens.

Un chantier touristique au cœur des débats

Le site concerné, au sud de Sainte-Anne, devait accueillir cinquante nouvelles chambres pour le Club Med, un projet reporté de près de deux ans en raison des fouilles archéologiques. Le conflit entre développement économique et préservation du patrimoine illustre la difficulté de concilier modernité et mémoire historique.

Pour de nombreux chercheurs et acteurs culturels locaux, cette situation pose une question éthique majeure : comment protéger et valoriser le patrimoine amérindien alors que le tourisme demeure une ressource économique essentielle pour l’île ?

Remise en question du récit colonial

Au-delà de l’archéologie, cette découverte invite à réfléchir sur la manière dont l’histoire des Antilles françaises a été écrite et transmise. Les vestiges amérindiens mettent en lumière une richesse culturelle souvent éclipsée par le récit colonial centré sur l’arrivée des Européens et l’esclavage.

En soulignant l’existence de sociétés autochtones complexes, les archéologues et historiens encouragent une réécriture plus équilibrée de l’histoire martiniquaise, intégrant les contributions et les modes de vie des peuples premiers de l’île.

Un enjeu identitaire et patrimonial

Cette découverte n’est pas seulement académique : elle touche directement à l’identité et à la mémoire collective. Dans un contexte où les débats sur la reconnaissance des cultures autochtones et la décolonisation des savoirs s’intensifient, ces vestiges deviennent un outil de réflexion et de dialogue pour la société martiniquaise.

Ils rappellent que la connaissance de l’histoire ne se limite pas aux archives coloniales, mais se nourrit également des traces matérielles laissées par ceux qui ont vécu sur l’île bien avant l’arrivée des Européens.

Celine Dou

Réchauffement climatique et biodiversité : l’Islande découvre ses premiers moustiques

Pour la première fois, des moustiques ont été observés en Islande, un territoire jusque-là exempt de ces insectes. Ce phénomène inédit illustre la rapidité du réchauffement climatique et ses effets inattendus sur la biodiversité des régions jusqu’ici préservées.

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1. Un phénomène inédit

Début octobre 2025, dans la vallée glaciaire de Kjós, à une trentaine de kilomètres au nord de Reykjavik, trois moustiques ont été capturés : deux femelles et un mâle. Ils ont été identifiés comme appartenant à l’espèce Culiseta annulata, connue pour sa capacité à résister à des températures basses. Cette observation, confirmée par l’Institut islandais d’histoire naturelle le 20 octobre 2025, marque un tournant pour un territoire jusque-là considéré comme l’un des rares bastions mondiaux sans moustiques.

Jusqu’à présent, le climat rigoureux et l’absence de zones propices à la reproduction rendaient l’Islande inhospitalière pour ces insectes. L’arrivée de Culiseta annulata est donc un signal fort des transformations environnementales en cours.

2. Réchauffement climatique : moteur du changement

L’Islande se réchauffe à un rythme quatre fois supérieur à la moyenne mondiale, selon les données climatiques récentes. Cette accélération entraîne la fonte des glaciers et l’apparition de nouvelles zones humides qui offrent désormais des habitats favorables à certaines espèces jusque-là absentes.

Les scientifiques soulignent que ce phénomène n’est pas isolé : il s’inscrit dans un contexte global de migration d’espèces vers des latitudes et altitudes plus élevées. L’apparition des moustiques en Islande constitue ainsi un indicateur avancé des impacts du réchauffement climatique.

3. Impact sur la biodiversité et les écosystèmes

Culiseta annulata possède une remarquable capacité d’adaptation : elle peut survivre pendant l’hiver dans des structures telles que les granges et se reproduire dès le retour des températures plus clémentes. Cette faculté pourrait lui permettre de s’établir durablement en Islande.

L’introduction d’une nouvelle espèce peut perturber les chaînes alimentaires locales, affecter la faune indigène et modifier la biodiversité de l’île. Les chercheurs islandais observent déjà les premiers impacts potentiels sur les écosystèmes aquatiques et terrestres.

4. Santé publique et risques potentiels

Pour l’instant, Culiseta annulata n’est pas connue pour transmettre de maladies graves. Néanmoins, l’apparition de moustiques dans une région jusque-là exempte d’insectes piqueurs pose de nouveaux défis pour la santé publique et la gestion environnementale.

L’évolution de la situation nécessitera un suivi attentif, afin d’anticiper l’impact éventuel sur la population humaine et sur les pratiques agricoles locales.

5. Perspective internationale

Ce phénomène islandais s’inscrit dans une tendance observée dans d’autres régions nordiques ou subarctiques, comme l’Alaska ou certaines parties de la Scandinavie, où le réchauffement climatique favorise la migration et l’adaptation d’espèces jusque-là confinées à des climats plus tempérés.

Il illustre également la rapidité avec laquelle les écosystèmes peuvent se transformer et rappelle que les effets du changement climatique ne se limitent pas aux événements extrêmes, mais touchent également la biodiversité et la répartition des espèces.

L’arrivée des moustiques en Islande symbolise la fragilité des derniers bastions naturels face au réchauffement climatique. Ce phénomène inédit incite à observer de près l’évolution de la faune et de la flore dans les régions arctiques, et souligne la nécessité d’anticiper les transformations écologiques à l’échelle globale.

Celine Dou

Gouverner la vie sauvage à l’ère du génie génétique : quand la conservation se heurte aux intérêts biotechnologiques

Lors du Congrès mondial de la nature 2025, tenu à Abou Dhabi, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a pris une décision qui pourrait marquer un tournant dans la gouvernance mondiale de la biodiversité. Une motion appelant à un moratoire sur la dissémination d’organismes sauvages génétiquement modifiés a été rejetée, tandis qu’une politique cadre encadrant l’usage de la biologie synthétique dans la conservation a été adoptée.

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Ce choix met en lumière un dilemme central : faut-il exploiter les technologies de modification génétique pour restaurer ou protéger les écosystèmes, ou privilégier la prudence face à des interventions dont les effets restent largement inconnus ?

I. Un vote révélateur des fractures internationales

La motion 133, soutenue par une centaine d’ONG et de scientifiques, demandait un moratoire global sur les modifications génétiques appliquées aux espèces sauvages dans leur environnement naturel. Les arguments étaient clairs : risques écologiques imprévisibles, irréversibilité des interventions, menace pour les savoirs autochtones et principes éthiques de conservation.

Malgré ces mises en garde, la motion a été rejetée, tandis que la motion 087, définissant une politique cadre pour l’usage de la biologie synthétique, a été adoptée avec environ 88 % des voix. Ce résultat illustre une fracture internationale : les pays industrialisés, moteurs de la recherche biotechnologique, soutiennent l’expérimentation encadrée, tandis que les pays en développement, moins impliqués mais directement exposés aux impacts, prônent prudence et réserve.

II. Biologie synthétique : promesses et risques

La biologie synthétique permet de concevoir ou de modifier des organismes vivants pour répondre à des objectifs précis. Dans le domaine de la conservation, les applications sont multiples :

  • Afrique : des projets pilotes ont utilisé des moustiques génétiquement modifiés pour réduire la transmission de la malaria en Ouganda et au Burkina Faso. Ces interventions suscitent espoirs sanitaires, mais aussi critiques sur l’impact écologique sur les populations d’insectes et la chaîne alimentaire.
  • Amériques : aux États-Unis et au Brésil, la biologie synthétique est explorée pour lutter contre les espèces invasives. Par exemple, des rats génétiquement modifiés ont été testés sur certaines îles pour protéger les populations d’oiseaux menacées. Les projets soulèvent des questions éthiques et de responsabilité : comment mesurer les effets à long terme sur les écosystèmes insulaires ?
  • Asie et Pacifique : en Australie, des coraux génétiquement adaptés à la hausse des températures sont expérimentés pour restaurer la Grande Barrière de corail. Ces initiatives illustrent la tension entre innovation et prudence, car la dissémination des gènes modifiés dans les populations sauvages reste un terrain peu connu.
  • Europe : la France, le Royaume-Uni et la Suisse soutiennent des recherches sur la modification de populations d’insectes pollinisateurs pour accroître leur résilience face aux parasites et aux changements climatiques. Les débats y portent moins sur l’efficacité scientifique que sur la législation et la gouvernance transfrontalière, en particulier pour les espèces capables de se déplacer entre pays.

III. Une gouvernance mondiale encore incomplète

L’adoption de la politique cadre révèle la fragilité de la régulation internationale. Si elle prévoit des évaluations scientifiques et des consultations, son application repose largement sur l’adhésion volontaire des États et organisations. Les pays du Sud, souvent les plus exposés aux impacts écologiques et sociaux, restent peu représentés dans la prise de décision et pourraient subir les conséquences sans contrôle ni mécanisme de compensation.

Cette asymétrie soulève des questions de justice environnementale et de souveraineté biologique. Les populations locales, détenteurs de savoirs traditionnels et premières victimes des modifications du vivant, sont souvent exclues du processus décisionnel.

IV. Une nouvelle ère pour la conservation

Le vote du Congrès ouvre une nouvelle étape dans la conservation, où l’intervention technologique pourrait devenir systématique. La frontière entre conservation et expérimentation devient floue : la nature n’est plus seulement protégée, elle est activement modifiée par l’homme.

Les questions soulevées sont multiples : qui décide de l’usage de ces technologies ? Quels mécanismes garantissent équité, transparence et sécurité écologique ? Jusqu’où l’humanité peut-elle intervenir sur le vivant pour le « protéger » ?

Le Congrès de 2025 montre que la conservation, longtemps perçue comme un domaine consensuel, est désormais un champ de tensions entre innovation scientifique, prudence écologique et justice environnementale, avec des enjeux globaux de pouvoir et de souveraineté sur le vivant.

Celine Dou

Nubie préhistorique : que révèlent les squelettes féminins sur la division du travail et la vie sociale

Une étude récente publiée dans le Journal of Anthropological Archaeology et relayée par GEO.fr apporte un éclairage inédit sur la vie quotidienne dans la Nubie préhistorique, il y a environ 3 500 ans. Les chercheurs ont analysé les squelettes de femmes découverts dans la nécropole d’Abu Fatima, au Soudan, afin de mieux comprendre la division du travail et les pratiques physiques des sociétés Kerma, qui occupaient cette région stratégiquement située entre le Nil et le désert nubien.

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Les résultats sont particulièrement révélateurs : les os des femmes présentent des marques caractéristiques de portage de charges lourdes à l’aide de sangles frontales, dites « tumplines ». Ces marques se manifestent par des déformations au niveau des vertèbres cervicales et du crâne, indiquant que ces femmes exerçaient des tâches physiques soutenues sur une base quotidienne. Ce constat illustre que le travail féminin ne se limitait pas aux activités domestiques : il incluait des fonctions logistiques essentielles au fonctionnement des communautés, telles que le transport de matériaux ou de récoltes, probablement sur de longues distances.

Cette étude contredit les représentations traditionnelles de la préhistoire, centrées sur l’homme comme principal acteur des activités physiques et de subsistance. Elle met en évidence une organisation sociale où la division du travail était fonctionnelle, partagée et adaptée aux besoins collectifs, et où les femmes jouaient un rôle indispensable dans l’économie et la survie du groupe.

Au-delà de la dimension anthropologique, ces découvertes permettent de mieux comprendre la société Kerma dans son ensemble. La Nubie préhistorique, correspondant aujourd’hui au nord du Soudan et au sud de l’Égypte, était un carrefour de circulation culturelle et commerciale. Le rôle actif des femmes dans la vie quotidienne reflète non seulement la complexité sociale de cette civilisation, mais aussi les stratégies économiques qui ont permis à ces sociétés de prospérer dans un environnement exigeant.

Cette recherche illustre également l’importance de l’archéologie biologique : les corps conservent une mémoire silencieuse des activités et des rôles sociaux, souvent invisibles dans les sources matérielles traditionnelles. En reconnaissant la contribution physique et organisationnelle des femmes, cette étude contribue à une relecture des stéréotypes de genre dans l’histoire ancienne et à une meilleure compréhension de la diversité des expériences humaines au sein des sociétés africaines préhistoriques.

En conclusion, l’analyse des squelettes féminins d’Abu Fatima ne révèle pas seulement des pratiques corporelles : elle documente un aspect central de la vie sociale et économique de la Nubie préhistorique, en rappelant que l’histoire humaine doit être appréhendée dans sa complexité, en tenant compte de tous les acteurs, hommes et femmes, qui ont façonné les sociétés anciennes.

Celine Dou

Les îles Salomon et l’héritage explosif de la Seconde Guerre mondiale : quand la « guerre moderne » blesse les vivants pendant des siècles

Les plages et la jungle des îles Salomon portent encore les cicatrices matérielles d’une guerre qui s’est déroulée il y a plus de huit décennies. Mais ce ne sont pas seulement des monuments ou des ruines : ce sont des explosions qui n’ont pas eu lieu. Des obus, des grenades, des bombes et des sous-munitions, enfouis ou immergés depuis 1942–1945, continuent d’être découverts et parfois d’exploser faisant des morts, blessés et paralysant le développement. Ce phénomène n’est pas l’exception, il est la règle des conflits armés « modernes » : là où l’on a utilisé des engins explosifs, des générations futures paieront la facture.

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Une menace quotidienne, pas un vestige historique

Les opérations de déminage menées dans l’archipel notamment l’opération multinationale dite Operation Render Safe et les équipes locales de déminage ont permis d’éliminer des milliers d’engins ces dernières années. Pourtant, les ONG spécialisées et les autorités locales insistent : les découvertes restent fréquentes et imprévisibles. Des enfants ramènent parfois des grenades trouvées dans leurs jardins ; des chantiers se heurtent à des projectiles enterrés ; des pêcheurs récupèrent des munitions sous-marines en posant leurs filets. Ces scénarios montrent que l’UXO (Unexploded Ordnance munitions non explosées) n’est pas un patrimoine historique, mais un danger actif qui prive des communautés de terres, d’écoles et d’infrastructures.

Les guerres « modernes » laissent des pièges pour des siècles

L’expérience la plus documentée de ce phénomène vient d’autres régions le Laos, le Cambodge ou certaines parties de l’ex-Yougoslavie où les restes explosifs continuent d’entraver le développement rural et urbain, des décennies après la fin des hostilités. Les études montrent que l’impact n’est pas seulement humain : l’UXO réduit la superficie cultivable, ralentit l’accès à l’éducation (écoles fermées par crainte des engins), et freine la reconstruction économique. Dans de nombreux cas, il faudra des générations sinon des siècles pour mettre au jour et neutraliser l’ensemble des munitions dispersées par la guerre.

Les bombes à sous-munitions : produire la terreur à retardement

Au-delà des obus isolés, il existe des armes conçues précisément pour semer le danger à long terme. Les bombes à sous-munitions (cluster munitions) dispersent des dizaines, parfois des centaines, de petites charges des « bomblets » sur une large surface. Nombre d’entre elles n’explosent pas immédiatement et se comportent ensuite comme des mines antipersonnel, tuant et mutilant des civils longtemps après la fin des combats. C’est pourquoi la Convention sur les bombes à sous-munitions (2008) cherche à interdire leur production, leur transfert et leur usage. Malgré cela, un nombre non négligeable d’États et d’acteurs industriels continuent de produire ou de développer de telles munitions, ou revendiquent le droit de les produire, rendant fragile l’architecture internationale de protection humanitaire.

Qui fabrique encore ces armes ? La réalité géopolitique

Les rapports de suivi montrent que plusieurs États continuent de produire, d’acheter ou de réserver le droit d’utiliser des sous-munitions. La liste des pays producteurs et des acteurs étatiques qui n’ont pas adhéré à l’interdiction comprend des puissances régionales et des fabricants de l’industrie d’armement. Cette réalité a deux conséquences directes : d’une part, elle prolonge le risque d’emploi de ces armes sur des populations civiles ; d’autre part, elle fragilise les normes internationales qui tentaient depuis deux décennies d’éradiquer ces pratiques.

Coûts humains et sociaux : blessures, handicaps et stigmates

Les victimes d’UXO et de sous-munitions subissent souvent des mutilations graves (amputation, perte de vision), un traumatisme psychologique durable, et une marginalisation socio-économique. Les systèmes de santé locaux, déjà fragiles dans de nombreux pays touchés, peinent à fournir les soins chirurgicaux, la rééducation et l’accompagnement social nécessaires. À cela s’ajoute un coût collectif : familles privées d’un soutien économique, terres inutilisables, écoles et infrastructures remises en cause. Les ONG spécialisées rappellent qu’il ne suffit pas de détruire des munitions : il faut aussi assister les victimes sur le long terme.

Déminage : progrès technique, limites pratiques

Le progrès des techniques de détection et d’intervention (interventions EOD, plongées pour munitions sous-marines, cartographie par drones, coopération internationale) a permis d’accélérer l’élimination d’engins dans des zones jusqu’alors inaccessibles. Néanmoins, ces opérations sont coûteuses, dangereuses et longues. Les forêts denses, le littoral, les sols marécageux et l’étendue des surfaces contaminées multiplient les défis. Par ailleurs, la cartographie historique des champs de bataille est souvent lacunaire : sans archives fiables, les équipes doivent procéder par repérage terrain, ce qui retarde le travail et accroît les risques.

Responsabilité, prévention et normes internationales

Sur le plan juridique et moral, plusieurs questions persistantes : responsabilité des États producteurs, obligations de réparation envers les victimes et les États touchés, renforcement des conventions internationales (Convention sur les bombes à sous-munitions, Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel). Les reculs ou les hésitations récentes de certains gouvernements à ratifier ou à maintenir ces conventions fragilisent la prévention. Sans un engagement politique et financier durable des États et des industriels, la lutte contre les armes à impact à long terme restera incomplète.

Que faire ? Trois pistes concrètes

  1. Renforcer la coopération internationale : financer des programmes de dégagement, partager l’expertise technique et cartographier systématiquement les zones à risque. Les opérations multinationales comme Operation Render Safe montrent que la coopération produit des résultats, mais elle doit être soutenue et pérenne.
  2. Assistance aux victimes : prévoir des fonds pour soins, prothèses, réhabilitation psychologique et insertion socio-économique des blessés. La réponse humanitaire doit être globale et durable.
  3. Renforcer les normes et la transparence : pression diplomatique sur les producteurs et exportateurs de sous-munitions, suivi indépendant de l’application des conventions, et promotion de l’interdiction universelle. Les avancées techniques ne suffisent pas sans volonté politique.

Les îles Salomon sont un miroir local d’un problème global : les armes de l’ère moderne ne se contentent pas de frapper au moment des hostilités ; elles déposent des pièges pour les générations futures. Tant que la communauté internationale tolérera la production, le stockage et l’emploi d’armes laissant des résidus explosifs, des êtres innocents continueront d’en payer le prix. Déminer, soigner, prévenir, et imposer des normes contraignantes à la production de ces armes sont des impératifs éthiques et politiques non des options.

Celine Dou