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CROYANCES DÉVOYÉES, JUSTICE RÉAFFIRMÉE : QUAND LE SACRÉ DEVIENT PRÉTEXTE À MANIPULATION OU À PERSÉCUTION

Deux affaires récentes, survenues en Italie et en Algérie, illustrent de manière saisissante la manière dont certaines formes de religiosité populaire peuvent dériver vers la fraude ou la violence. L’une met en scène une pseudo-voyante italienne organisant de faux miracles ; l’autre, une femme franco-algérienne agressée pour avoir simplement lu le Coran en public. Dans les deux cas, c’est la justice civile ou ecclésiastique qui a dû rétablir les faits. Analyse d’un double symptôme de notre époque.

EN ITALIE, LA FABRICATION CYNIQUE DU MIRACLE

L’affaire a suscité autant de ferveur que de trouble. Pendant plusieurs mois, à Trevignano Romano, au nord de Rome, une femme connue sous le nom de Gisella Cardia (de son vrai nom Maria Giuseppa Scarpulla) affirmait recevoir des apparitions mariales. Elle organisait des rassemblements devant une statue de la Vierge censée pleurer du sang, affirmait porter des stigmates, et prétendait même avoir assisté à des « multiplications » de pizzas et de gnocchi.

Les analyses scientifiques ont depuis balayé la mystification : les prétendues larmes de sang provenaient de Gisella Cardia elle-même, comme l’ont confirmé les tests ADN. Le Vatican, par le biais du diocèse de Civita Castellana, a conclu à l’absence totale de caractère surnaturel. Une enquête judiciaire est en cours pour escroquerie, la « voyante » ayant fondé une association qui récoltait des dons auprès de fidèles crédules.

Loin d’un simple folklore religieux, cette affaire révèle une instrumentalisation consciente de la foi, avec des techniques de manipulation émotionnelle proches de celles observées dans certaines sectes. Elle témoigne aussi d’une vulnérabilité persistante à la mise en scène religieuse dès lors qu’elle répond à un besoin collectif de réconfort ou de merveilleux.

EN ALGÉRIE, LA VIOLENCE NÉE DE LA SUSPICION

À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la ville algérienne d’El Eulma, une femme franco-algérienne a été victime d’un déchaînement d’hostilité fondé sur une lecture erronée du religieux. Assise près d’une piscine, vêtue d’un niqab, elle lisait des versets du Coran, accompagnés de traductions personnelles en français. Des passants, croyant à des pratiques occultes ou de sorcellerie, l’ont entourée, insultée, filmée, et lui ont arraché son voile. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention tardive des autorités.

Loin d’être isolée, cette agression révèle un climat social où les amalgames entre pratique religieuse, méconnaissance linguistique et superstition peuvent générer des actes de violence injustifiés. La justice algérienne a toutefois agi avec fermeté : huit individus ont été condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans de prison ferme, assorties d’amendes.

La victime, profondément marquée, a renoncé à des dommages financiers, ne demandant qu’un dinar symbolique. Un choix qui souligne à la fois sa dignité et sa volonté de ne pas attiser davantage les tensions.

ENTRE FOI POPULAIRE ET DÉRIVES CONTEMPORAINES

Ces deux cas, bien que distincts dans leur nature, révèlent un même trouble : la place de la croyance dans des sociétés en perte de repères rationnels. En Italie comme en Algérie, le sacré devient l’écran de projections sociales multiples : attente de miracle dans un monde désenchanté, peur de l’irrationnel, suspicion de l’Autre, confusion entre foi et magie.

Ils montrent aussi la manière dont certaines figures féminines voyante charismatique ou femme pieuse peuvent cristalliser, à tort ou à raison, les tensions religieuses et symboliques. Dans les deux cas, ce sont des femmes qui se trouvent au cœur de l’événement, l’une manipulatrice, l’autre victime.

LA JUSTICE COMME DIGUE CONTRE L’OBSCURANTISME

Heureusement, les deux systèmes judiciaires italien et algérien ont joué leur rôle. L’Église catholique a su, malgré la pression médiatique, rejeter le caractère surnaturel des faits de Trevignano. La justice algérienne, quant à elle, a sanctionné une chasse aux sorcières moderne, confirmant que nul ne peut se faire justicier au nom d’une interprétation personnelle du sacré.

Ces affaires rappellent l’importance, pour toute société, de séparer clairement ce qui relève du religieux, du juridique et du fantasme. Elles montrent aussi la nécessité d’une éducation religieuse rigoureuse, et d’un enseignement critique, pour prévenir tant la manipulation que la persécution.

UNE ÉPOQUE AVIDE DE SENS, MAIS VULNÉRABLE

Il serait tentant de lire ces histoires comme des anomalies. Elles sont, au contraire, des symptômes. Symptomatiques d’un besoin collectif de sens, dans un monde traversé par l’incertitude, la précarité et le désenchantement. Mais ce besoin, mal canalisé, devient le terreau de toutes les dérives.

En cela, le travail des institutions religieuses, éducatives, judiciaires et médiatiques reste crucial : pour protéger, instruire, démystifier. Car si la foi peut inspirer, elle ne doit jamais justifier la fraude ni la violence

Jeunes et consommation : l’alcool délaissé au profit du cannabis, un choix à hauts risques

En France et dans plusieurs pays européens, une évolution notable s’observe dans les habitudes de consommation des jeunes : ils troquent progressivement l’alcool pour le cannabis. Si cette tendance peut s’inscrire dans une volonté de recherche d’alternatives perçues comme moins nocives, elle n’est pas sans conséquences pour la santé publique, surtout dans une tranche d’âge où le cerveau est en pleine maturation.

Des études récentes montrent une baisse régulière de la consommation d’alcool chez les adolescents et jeunes adultes, accompagnée d’une hausse de l’usage du cannabis, qu’ils considèrent parfois comme une substance « plus douce » ou plus « naturelle » (Santé publique France, 2024).

Cette substitution apparente masque toutefois une réalité complexe : le cannabis reste une drogue psychoactive dont l’impact sur le développement neurologique et psychique est particulièrement préoccupant chez les jeunes. En outre, cette tendance se fait dans un contexte où l’accès à des produits de cannabis de plus en plus puissants s’est développé, avec une concentration accrue en THC.

Le cerveau humain poursuit sa maturation jusqu’à l’âge de 25 ans environ, période durant laquelle les connexions neuronales se restructurent et se spécialisent. Une consommation régulière de cannabis à l’adolescence peut perturber ce processus, affectant notamment la mémoire, l’attention et les fonctions exécutives.

Des recherches scientifiques ont documenté que les jeunes consommateurs fréquents de cannabis présentent des troubles cognitifs persistants, une diminution des performances scolaires, et une vulnérabilité accrue aux troubles psychiatriques, dont certains peuvent s’avérer chroniques ([Institut national de santé publique du Québec, 2023).

La consommation précoce et régulière de cannabis est associée à une augmentation du risque de psychoses, dont la schizophrénie, surtout chez les individus génétiquement prédisposés. Par ailleurs, des troubles anxieux et dépressifs sont plus fréquents chez les usagers réguliers.

Sur le plan physique, les effets respiratoires, notamment bronchiques, ne sont pas négligeables, sans compter les risques accrus d’accidents liés à la conduite sous influence.

La consommation simultanée d’alcool et de cannabis, dite polyconsommation, est fréquente chez les jeunes et pose des risques aggravés. L’association des deux substances peut majorer les effets psychoactifs, altérer le jugement, et accroître la probabilité d’accidents ou de comportements à risque.

L’environnement festif et social joue un rôle déterminant dans ces usages. La banalisation du cannabis dans certains milieux et la perception erronée d’un risque faible conduisent à une moindre vigilance.

Face à cette évolution, les autorités de santé publique déploient des campagnes de sensibilisation ciblées, notamment via des initiatives comme « C’est la base », qui vise à informer les jeunes sur les dangers réels liés à la consommation de substances psychoactives et à promouvoir des comportements responsables.

L’enjeu est aussi sociétal : il s’agit d’accompagner les jeunes dans leurs choix, de lutter contre la stigmatisation tout en éclairant sur les risques, pour éviter que la substitution à une substance ne devienne un piège aux conséquences lourdes.

Cette mutation des comportements de consommation illustre une transformation culturelle plus large, où la jeunesse réinterroge ses rapports à l’alcool, souvent perçu comme un facteur de violence ou de perte de contrôle, au profit du cannabis, présenté à tort comme une alternative inoffensive.

Pour autant, la vigilance reste de mise. L’impact sur la santé mentale, les parcours scolaires et l’insertion sociale est réel et documenté. Les politiques publiques devront conjuguer information, prévention, mais aussi soutien thérapeutique, afin d’enrayer cette tendance aux effets potentiellement dévastateurs.

Séduire ou s’effacer : la crise de la masculinité à l’origine de la dérive incel

Alors que la France vient de déjouer un projet d’attentat fomenté par un jeune homme de 18 ans se revendiquant de la mouvance “incel”, la justice antiterroriste s’est saisie du dossier. C’est une première. Mais au-delà du choc sécuritaire, cette affaire révèle un malaise plus profond, où la solitude masculine, la mutation des rapports entre les sexes et les dérives idéologiques se conjuguent dans un climat social fragmenté.

Le 27 juin 2025, un adolescent a été interpellé dans la région de Saint-Étienne alors qu’il s’apprêtait, selon les autorités, à attaquer des femmes à l’arme blanche. Il se revendiquait de la communauté “incel” (involuntary celibate, célibataire involontaire), et nourrissait une haine manifeste à l’égard des femmes. Le Parquet national antiterroriste a pris l’affaire en main, marquant un tournant dans le traitement judiciaire de cette mouvance. C’est la première fois que le “terrorisme misogyne” entre ainsi dans le champ d’action du droit antiterroriste en France.

Le phénomène “incel” est né à la fin des années 1990 dans des forums anglophones comme un espace de parole pour des hommes (et à l’origine, aussi des femmes) en détresse affective et sexuelle. Mais au fil des années, et surtout depuis les années 2010, ces communautés ont glissé vers une radicalisation idéologique, teintée de misogynie, de ressentiment social, et parfois de suprémacisme.

La figure la plus connue est celle d’Elliot Rodger, auteur d’un attentat meurtrier en Californie en 2014, qui laissa derrière lui un manifeste rempli de haine envers les femmes. Depuis, plusieurs attaques violentes au Canada, aux États-Unis d’Amérique et en Europe ont été commises par des individus se revendiquant du même univers mental.

Le succès de ces discours ne tombe pas du ciel. Il s’ancre dans un malaise réel : l’isolement croissant d’une partie de la jeunesse masculine, notamment dans les sociétés occidentales. Les mutations économiques, les transformations du modèle familial, la fragilisation de la transmission intergénérationnelle et l’essor d’une culture numérique centrée sur l’apparence ont contribué à déstabiliser de nombreux jeunes hommes.

Des études sur les sites de rencontres montrent en effet que la majorité des femmes se concentrent sur une minorité d’hommes jugés attirants selon les standards contemporains : beauté physique, succès professionnel, statut social. Ce mécanisme, observé notamment aux États-Unis et en Europe, crée une compétition exacerbée où beaucoup d’hommes se sentent “invisibles” ou rejetés.

Dans cet univers, les réseaux sociaux jouent un rôle central. Ils imposent une norme esthétique très élevée, souvent inatteignable, tant pour les hommes que pour les femmes. Pour les jeunes hommes, cela alimente un sentiment d’exclusion, doublé d’un discours selon lequel ils ne seraient plus autorisés à aborder les femmes, au risque d’être accusés de harcèlement sexuel.

Si certaines lois comme en France encadrent désormais le harcèlement de rue, la drague ordinaire n’est en aucun cas pénalisée par la loi lorsqu’elle est respectueuse et ponctuelle. Cependant, dans la perception sociale, un flou s’est installé, que certains mouvements idéologiques exploitent pour alimenter la rancœur.

C’est là que la dérive s’opère. La souffrance intime, au lieu d’être accompagnée ou sublimée, est canalisée dans des discours violents. Sur des forums comme 4chan, Reddit, ou Telegram, on retrouve des récits d’humiliation, des tableaux de hiérarchisation des sexes, une hostilité de plus en plus explicite envers les femmes, accusées d’hypergamie et de superficialité.

Certains vont plus loin : ils réclament la fin de l’égalité, l’instauration d’un marché sexuel régulé, ou même l’accès garanti à la pornographie et à la prostitution subventionnées, afin de “calmer” les hommes frustrés. Ce type de propositions, bien que marginal, circule dans des milieux numériques radicaux. Elles reflètent un désespoir social habillé en programme politique, avec des conséquences potentiellement meurtrières.

Le dossier incel échappe aux catégories habituelles : ni simple fait divers, ni idéologie politique structurée, ni pathologie psychiatrique au sens classique. Il s’agit d’un croisement explosif entre solitude affective, virilité blessée, anomie sociale et emprise algorithmique. Une bombe à retardement pour les sociétés qui n’offrent plus de rites d’entrée dans l’âge adulte, ni de repères stables pour construire son identité.

Les États, pour l’heure, oscillent entre surveillance sécuritaire et silence institutionnel. Peu de dispositifs éducatifs, psychologiques ou sociaux s’adressent aux garçons en souffrance. Cette absence nourrit un cercle vicieux : plus les institutions ignorent ce malaise, plus les idéologies extrêmes gagnent du terrain.

La réponse ne peut être seulement sécuritaire. Elle passe par une reconstruction du lien social, une meilleure éducation à la relation (des deux côtés), et une visibilisation du mal-être masculin sans tomber dans la haine antiféministe.

Le féminisme, dans sa forme humaniste, peut être un partenaire de cette transformation, à condition qu’il n’exclue pas la parole masculine légitime sur la solitude, l’échec affectif ou l’anxiété sexuelle. Il faut distinguer entre la critique des excès idéologiques et le rejet des femmes en tant que groupe, ce que le mouvement incel ne sait plus faire.

Le passage à l’acte du jeune homme de Saint-Étienne n’est pas un épiphénomène. Il est le reflet d’un échec collectif : celui de sociétés qui valorisent l’individualisme et la performance, mais laissent sur le bord de la route ceux qui ne répondent pas aux normes dominantes.

L’affaire incel ne doit pas devenir une simple affaire de police. C’est un signal faible d’un déséquilibre profond, à la croisée de la culture numérique, des inégalités affectives, du vide spirituel et de l’atomisation du lien social. Pour éviter que la frustration ne devienne haine, il faudra autre chose que des arrestations : une véritable refondation du vivre-ensemble.

Quand ChatGPT ampute la pensée : inquiétudes sur la santé cognitive de la jeunesse

Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) vient de publier une étude qui ravive un débat fondamental : l’impact des intelligences artificielles génératives, telles que ChatGPT, sur nos capacités cognitives. Les chercheurs mettent en lumière une possible baisse d’activité neuronale et de mémoire profonde chez les utilisateurs intensifs. Loin des promesses souvent dithyrambiques sur les bienfaits des IA dans la productivité et l’éducation, les conclusions soulèvent des interrogations sérieuses, en particulier pour les jeunes générations.

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France : vers une redéfinition du viol centrée sur le non-consentement

La France s’apprête à faire évoluer l’une des notions juridiques les plus sensibles de son Code pénal : celle de viol. Mardi 18 juin, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi redéfinissant cette infraction pénale à partir du seul critère du non-consentement. Une avancée juridique saluée par une large partie de la société civile, qui place désormais l’Hexagone dans le sillage de plusieurs pays ayant déjà réformé leur droit en ce sens. Mais ce tournant symbolique soulève aussi des interrogations sur les modalités d’application concrète.

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Journée de l’enfant africain : de Soweto 1976 à aujourd’hui, une mémoire vive et des défis toujours brûlants

Le 16 juin 1976 à Soweto, des enfants tombaient sous les balles pour avoir réclamé leur droit à apprendre dans leur langue. Presque un demi-siècle plus tard, la Journée de l’enfant africain reste un miroir cru des défis éducatifs que le continent peine encore à relever. Entre conflits, pauvreté, choix politiques contestables et débats toujours vifs sur la langue d’enseignement, l’éducation africaine demeure un combat inachevé mais vital pour l’avenir du continent.

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Belgique : un tiers des arrestations pour projet d’attentat terroriste concernent des mineurs; Une alerte sur la radicalisation juvénile en Europe

En Belgique, la menace terroriste prend un visage de plus en plus juvénile. Désormais, près d’un tiers des arrestations pour projet d’attentat concernent des mineurs. Ce glissement silencieux vers une radicalisation précoce interroge profondément nos sociétés : que révèle-t-il de l’état psychique, social et idéologique de la jeunesse ? Et surtout, que dit-il de nos politiques éducatives, numériques et sécuritaires, confrontées à l’effondrement des repères chez les plus vulnérables ?
À travers cette enquête belge, c’est un miroir tendu à l’ensemble des démocraties européennes comme africaines que La Boussole – infos vous propose d’explorer.

La Belgique fait face à un constat glaçant : près d’un tiers des individus arrêtés pour projet d’attentat terroriste au cours des dernières années sont des mineurs. Ce chiffre, issu du dernier rapport de l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM), révèle une dynamique inquiétante : l’ancrage progressif de la radicalisation chez les plus jeunes, dans un climat marqué par les conflits internationaux, les fragilités sociales et la pénétration idéologique via les réseaux numériques.

Le phénomène n’est pas marginal : selon les autorités belges, près de 30 jeunes de moins de 18 ans figurent désormais dans la base T.E.R. (Terrorist Entities Register). Dans la majorité des cas, ces adolescents n’ont aucun passé criminel ou parcours connu dans les milieux extrémistes. Leur basculement vers des logiques violentes intervient souvent en quelques semaines seulement, via des canaux numériques opaques, des forums extrémistes, ou des groupes cryptés sur des messageries chiffrées.

67 % de ces jeunes seraient des « loups solitaires », opérant en marge de réseaux structurés, mais inspirés par des discours radicaux islamistes ou d’extrême droite. D’autres évoluent dans de petites cellules, parfois improvisées mais capables d’élaborer des scénarios meurtriers crédibles.

Le rapport de l’OCAM révèle aussi la nature des cibles envisagées dans ces projets déjoués. Environ 15 % visaient explicitement des lieux fréquentés par des membres de la communauté juive, dans un contexte où le conflit israélo-palestinien, ravivé depuis octobre 2023, continue de polariser les esprits. Mais d’autres plans concernaient des écoles, des institutions publiques ou des figures symboliques du pouvoir.

Les autorités précisent que sur les 287 signalements traités en 2024, 12 % représentaient une menace sérieuse, 31 % une menace moyenne, et 57 % restaient de faible niveau. Ce taux, bien qu’inférieur à ceux observés à l’apogée des années Daech (2015–2017), reste significatif. Le niveau d’alerte global demeure à 3 sur 4 en Belgique.

Les experts de la sécurité et de la santé mentale convergent : cette radicalisation accélérée chez les mineurs traduit une crise éducative et civilisationnelle. Les jeunes ciblés sont souvent en situation de décrochage scolaire, de rupture familiale ou d’exclusion sociale. Les discours de haine, simplificateurs et manichéens, rencontrent alors un terrain fertile.

Le phénomène est aggravé par la faible régulation des plateformes sociales, où circulent des contenus violents, conspirationnistes ou antisémites, souvent traduits ou sous-titrés dans des langues accessibles aux adolescents européens.

Face à cette nouvelle configuration de la menace, les autorités belges ont mis en place une coopération renforcée entre police, justice, services sociaux, écoles et structures de santé mentale. Les plans de prévention de la radicalisation (RAN) ont été élargis aux établissements scolaires, et des cellules psychopédagogiques spécialisées interviennent dès les premiers signaux.

Mais les spécialistes avertissent : la réponse purement sécuritaire est insuffisante. Elle doit être complétée par une stratégie éducative et culturelle, ancrée dans une revalorisation du lien social, de l’esprit critique et de la compréhension des enjeux géopolitiques contemporains.

Le cas belge illustre une tendance plus large qui touche l’ensemble de l’Union européenne et au-delà. La jeunesse, fragilisée par les crises multiples (climatiques, économiques, culturelles), devient la cible d’idéologies violentes qui exploitent leur quête de sens et leur besoin d’appartenance.

Le défi n’est donc pas uniquement sécuritaire : il est civilisationnel. Il s’agit de préserver l’intégrité mentale, sociale et politique de la jeunesse, en lui offrant des repères solides, des espaces de débat, et des alternatives à la violence comme réponse aux injustices réelles ou perçues.

Les États d’Afrique francophone, souvent confrontés à des problématiques similaires, notamment dans les régions sahéliennes ou côtières exposées à l’islamisme radical, pourraient tirer des leçons de l’approche belge à condition d’y adjoindre une lecture contextuelle propre à leurs réalités sociales et historiques.

La Belgique alerte sur une tendance lourde : la radicalisation terroriste touche désormais des adolescents, de plus en plus jeunes, en quête d’idéal et exposés à des discours destructeurs. Derrière chaque arrestation se profile une double urgence : empêcher l’attentat, mais surtout prévenir la fracture sociale et psychologique qui conduit à ces dérives.

Maroc : Rabat appelle à une mobilisation mondiale contre le travail des enfants

Le Maroc hausse le ton face à une réalité encore trop tolérée dans de nombreuses régions du monde : le travail des enfants. À l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants (12 juin), Rabat a appelé la communauté internationale à des actions « concrètes, extensibles et coordonnées » pour éradiquer ce fléau. Au-delà des discours, le royaume ambitionne de se poser en acteur moteur dans ce combat global, en mettant en avant ses propres avancées et en incitant à une responsabilisation collective.

Selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de 160 millions d’enfants à travers le monde sont contraints de travailler, dont près de la moitié dans des conditions dangereuses. Et les progrès observés ces deux dernières décennies stagnent, voire régressent, sous l’effet conjugué des crises économiques, climatiques, géopolitiques et des conflits armés.

Dans ce contexte, la voix du Maroc, pays du Sud ayant connu ses propres batailles sociales, vient rappeler que la lutte contre le travail infantile ne saurait être un luxe réservé aux pays industrialisés. Elle concerne autant les dynamiques nationales que les chaînes de valeur mondialisées qui exploitent des enfants pour produire à moindre coût.

Sur le plan national, le Maroc a réduit de manière significative le travail des enfants ces dernières années. Le Haut-Commissariat au Plan estimait à 113 000 le nombre d’enfants travailleurs en 2021, soit moins de 2 % de l’ensemble des enfants âgés de 7 à 17 ans. Une baisse notable par rapport aux décennies précédentes, fruit d’une série de mesures législatives et éducatives, notamment l’instauration de l’obligation scolaire jusqu’à 15 ans et des programmes de lutte contre la pauvreté des familles.

Mais ces chiffres cachent des poches de vulnérabilité persistantes, notamment en milieu rural, dans les secteurs agricoles ou domestiques, où le travail des filles demeure sous-déclaré. Rabat en est conscient, et c’est précisément cette lucidité qui donne du poids à son appel à l’échelle internationale.

Lors de son intervention officielle, la délégation marocaine a exhorté les États, les institutions multilatérales et les entreprises transnationales à s’engager dans une action globale structurée, comprenant :

Des normes contraignantes pour interdire l’exploitation infantile dans les chaînes d’approvisionnement ;
Des programmes massifs d’éducation et de soutien aux familles vulnérables ;
Une coopération judiciaire et économique renforcée pour sanctionner les circuits de travail illégal ;
Et une mobilisation accrue des financements internationaux, notamment via les institutions de Bretton Woods et les fonds climat, les enfants étant souvent victimes collatérales des bouleversements environnementaux.

Cette posture s’inscrit dans une évolution notable de la diplomatie marocaine, qui cherche à conjuguer développement économique, stabilité politique et engagement en faveur des droits humains. Si Rabat s’est parfois montré réservé sur certaines questions sociétales, son plaidoyer contre le travail infantile s’ancre dans une vision plus large : celle d’un multilatéralisme rénové, où les pays du Sud ne sont plus de simples récepteurs de normes occidentales, mais des protagonistes actifs d’un nouvel ordre international plus juste.

En creux, le discours marocain rappelle également la responsabilité des États du Nord : non seulement dans la persistance de la pauvreté globale, mais aussi dans le maintien d’un système économique qui ferme les yeux sur les conditions de production des biens de consommation. Derrière chaque vêtement, chaque téléphone, chaque denrée importée, une question subsiste : quel enfant y a-t-il sacrifié son enfance ?

Le Maroc, tout en reconnaissant ses propres avancées, appelle à une action collective, coordonnée et ambitieuse contre le travail des enfants à l’échelle mondiale. Son message dépasse le cadre moral pour s’ancrer dans une exigence politique : faire de la fin du travail infantile un impératif global, dans lequel chaque acteur État, entreprise, citoyen a un rôle à jouer.

France : le « proxénétisme de cité », entre mutations sociétales et préoccupations sécuritaires

Selon des informations révélées cette semaine par Europe 1, le phénomène désigné sous le nom de « proxénétisme de cité » aurait été multiplié par dix en France au cours de la dernière décennie. Une affirmation qui suscite autant de réactions qu’elle pose de questions : de quoi parle-t-on précisément ? Quelle est la portée réelle du phénomène ? Et surtout, comment analyser cette évolution sans sombrer dans la caricature ou l’instrumentalisation ?

L’expression « proxénétisme de cité » ne correspond à aucune qualification juridique spécifique. Elle désigne de manière informelle une forme de prostitution organisée par de jeunes hommes issus de certains quartiers urbains, souvent en lien avec d’autres formes de délinquance comme le trafic de stupéfiants. Ces réseaux sont décrits comme informels, fragmentés, parfois très jeunes, et ayant recours aux réseaux sociaux pour organiser la mise en relation entre clients et victimes.

L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) note effectivement une augmentation du nombre de procédures liées au proxénétisme sur les dernières années. Toutefois, les chiffres avancés dans les médias multiplication par dix ne semblent pas étayés par des données officielles publiques, du moins à ce jour. Il s’agirait davantage d’une estimation globale portant sur les nouveaux cas repérés dans certaines zones sensibles, selon les témoignages de policiers ou d’intervenants associatifs.

Ce qui caractérise ces nouvelles pratiques, c’est l’usage massif du numérique. Des plateformes comme Snapchat, Instagram ou des sites d’annonces spécialisées sont utilisées pour recruter des jeunes filles parfois mineures et organiser leur exploitation. Certains proxénètes utilisent des techniques de manipulation affective, connues sous le nom de « loverboys », pour entraîner les victimes dans des relations d’emprise où l’affect se confond avec l’exploitation économique.

Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation de la prostitution en France, qui tend à se dématérialiser, à se diffuser sur l’ensemble du territoire, et à toucher des publics de plus en plus jeunes. Des expertises judiciaires signalent également une invisibilisation croissante du phénomène*m, les réseaux se rendant plus discrets, mobiles et adaptatifs, échappant ainsi aux modèles classiques d’enquête.

Les principales victimes de ces réseaux sont des adolescentes en situation de fragilité sociale : déscolarisation, ruptures familiales, isolement psychologique, précarité économique. Certaines sont sous emprise, d’autres contraintes par des menaces, et beaucoup évoluent dans des environnements marqués par l’absence d’adultes protecteurs ou de dispositifs d’écoute efficaces.

La loi française interdit le proxénétisme, même si la prostitution en soi n’est pas un délit. Depuis 2016, l’achat d’actes sexuels est pénalisé, dans une logique de protection des personnes prostituées. Toutefois, les associations dénoncent une insuffisance des moyens de prévention et d’accompagnement, notamment en milieu scolaire, ainsi qu’un manque de coordination entre services sociaux, judiciaires et éducatifs.

L’usage médiatique de la notion de « proxénétisme de cité » n’est pas neutre. Il tend à associer de manière mécanique certaines formes de criminalité à des territoires définis, renforçant les logiques de stigmatisation déjà à l’œuvre dans le débat public sur les quartiers dits sensibles. Or, le proxénétisme ne se limite pas à ces zones : il existe également dans les milieux bourgeois, les réseaux transnationaux ou les cercles festifs, parfois avec un degré d’organisation et de violence bien supérieur.

En ce sens, la focalisation exclusive sur les quartiers populaires risque de masquer la diversité des formes de traite et d’exploitation sexuelle à l’échelle du pays. Elle contribue également à détourner l’attention des logiques de demande c’est-à-dire de consommation de services sexuels qui restent peu interrogées dans l’espace public.

Au-delà du phénomène en lui-même, la question du proxénétisme en France renvoie à des enjeux plus profonds :

~ Quelles sont les aspirations de la jeunesse face à un horizon économique incertain ?
~ Pourquoi les outils de prévention semblent-ils inadaptés à la réalité des réseaux sociaux ?
~ Comment expliquer l’absence de dispositifs massifs d’éducation à la sexualité, à la citoyenneté et aux violences de genre ?
~ Pourquoi les grandes plateformes numériques ne sont-elles pas davantage mises en cause dans leur rôle passif ou complice ?

Le phénomène observé dans certaines cités françaises est donc le révélateur d’un malaise plus vaste, qui concerne l’ensemble du corps social : déficit de repères, perte de confiance dans les institutions, fascination pour l’argent facile, invisibilisation des victimes, faible réponse judiciaire.

Loin des raccourcis sensationnalistes, La Boussole – infos appelle à une approche rigoureuse, nuancée et structurelle de cette problématique. Il ne s’agit ni de nier l’existence de ces réseaux, ni de les réduire à une représentation simpliste. Mais d’analyser avec méthode un phénomène social en mutation, qui traverse les couches de la société française et met en lumière les failles de son système éducatif, numérique et judiciaire.

Le combat contre l’exploitation sexuelle des mineures ne peut se gagner par la seule répression. Il exige une mobilisation collective fondée sur la connaissance, la responsabilité et la prévention.

12 juin 2025 – Travail des enfants : l’indifférence tue plus sûrement que la misère

Ce 12 juin 2025 marque la Journée mondiale contre le travail des enfants, instituée en 2002 par l’Organisation internationale du Travail (OIT). Vingt-trois ans plus tard, la situation mondiale demeure alarmante. Selon les données les plus récentes des Nations unies, 138 millions d’enfants dans le monde sont contraints de travailler, dont 54 millions dans des conditions qualifiées de dangereuses : exposition à des produits toxiques, manipulations de machines, travail de nuit, ou encore situations proches de l’esclavage moderne.

Malgré les engagements répétés de la communauté internationale, les progrès sont lents, inégaux et fragiles. En 2025, le mot d’ordre lancé par l’OIT est explicite : « Accélérer les efforts ». Mais de quels efforts parle-t-on réellement, et quelles résistances entravent encore la mise en œuvre de l’objectif 8.7 de l’Agenda 2030, qui vise à éliminer toutes les formes de travail des enfants ?

Le travail des enfants ne se limite pas à une seule région du monde, même si les pays du Sud concentrent la majorité des cas : l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud, l’Amérique latine. Il prend des formes variées : travail domestique, agriculture, confection textile, exploitation minière, pêche, informel urbain…

Mais il ne s’agit pas d’une question périphérique. En réalité, le travail des enfants est au cœur du système économique globalisé. Certains produits consommés quotidiennement dans les pays industrialisés (cacao, coton, coltan, vêtements, appareils électroniques…) sont issus de chaînes de valeur où le travail infantile est toléré, voire intégré.

Et la situation s’aggrave : les crises successives pandémie de Covid-19, guerres, inflation, changement climatique ont précipité des millions d’enfants dans le travail précoce, souvent pour compenser la perte de revenus familiaux. L’école est alors abandonnée, la santé compromise, l’avenir hypothéqué.

Les conventions internationales existent. La Convention n°138 de l’OIT fixe l’âge minimal pour travailler à 15 ans (ou 14 dans certains pays en développement). La Convention n°182, adoptée en 1999, interdit les pires formes de travail des enfants. Ces textes ont été ratifiés par presque tous les États membres de l’ONU. En théorie, le consensus est établi.

Mais les moyens alloués à l’application de ces textes sont largement insuffisants. De nombreux États, surtout les plus pauvres, manquent de capacités de contrôle, de systèmes éducatifs fonctionnels, de couverture sociale. Dans d’autres cas, les gouvernements tolèrent ou dissimulent le travail des enfants pour ne pas fragiliser leur compétitivité à l’exportation.

L’ONU, par la voix du directeur général de l’OIT, Gilbert F. Houngbo, appelle en 2025 à un « sursaut moral ». Il souligne que le respect des droits de l’enfant n’est pas un luxe pour pays riches, mais une condition essentielle d’un développement équitable et durable.

Dans ce contexte, il est difficile d’ignorer les contradictions de nombreux pays dits « donateurs ». Alors même que des voix s’élèvent à Nice, lors de la Conférence sur les océans, pour appeler à des financements massifs en faveur de la protection des biens communs, le financement de la protection de l’enfance demeure sous-doté.

Parallèlement, la réduction drastique de l’aide publique au développement, engagée ces dernières années par les États-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni et l’Australie, fragilise les efforts des pays du Sud dans la lutte contre l’exploitation infantile.

À cela s’ajoute une certaine hypocrisie structurelle : les multinationales, souvent domiciliées dans des pays riches, externalisent leur production vers des zones à faible régulation, tout en s’affichant en surface avec des politiques de « responsabilité sociale ».

Quelques pays montrent pourtant la voie. En Uruguay, au Népal ou au Rwanda, des programmes intégrés combinant éducation gratuite, filets sociaux, et coopération entre autorités locales et internationales ont permis de réduire significativement le travail des enfants. La condition : un engagement politique fort, soutenu par des ressources durables.

Des initiatives citoyennes émergent aussi : campagnes de sensibilisation, boycotts de marques non éthiques, certifications équitables, partenariats éducatifs. Mais leur portée reste limitée sans une volonté politique claire au niveau global.

À chaque Journée mondiale, le risque est grand de voir le sujet relégué à une date symbolique, sans suite. Pourtant, le travail des enfants n’est pas une fatalité. Il est le symptôme d’un ordre économique qui tolère l’inacceptable pour préserver ses marges.

Refuser de détourner le regard, exiger la transparence des chaînes de production, soutenir les systèmes éducatifs universels : voilà ce que signifie « accélérer les efforts ». Car chaque jour sans action concrète est un jour volé à l’enfance d’un être humain.

Encadré – Chiffres clés :

  • 138 millions d’enfants travailleurs dans le monde
  • 54 millions dans des activités dangereuses
  • 70 % dans l’agriculture
  • 72 millions en Afrique, soit plus de la moitié du total mondial
  • Objectif ONU : éradication d’ici 2025 (objectif compromis)