Deux affaires récentes, survenues en Italie et en Algérie, illustrent de manière saisissante la manière dont certaines formes de religiosité populaire peuvent dériver vers la fraude ou la violence. L’une met en scène une pseudo-voyante italienne organisant de faux miracles ; l’autre, une femme franco-algérienne agressée pour avoir simplement lu le Coran en public. Dans les deux cas, c’est la justice civile ou ecclésiastique qui a dû rétablir les faits. Analyse d’un double symptôme de notre époque.
EN ITALIE, LA FABRICATION CYNIQUE DU MIRACLE
L’affaire a suscité autant de ferveur que de trouble. Pendant plusieurs mois, à Trevignano Romano, au nord de Rome, une femme connue sous le nom de Gisella Cardia (de son vrai nom Maria Giuseppa Scarpulla) affirmait recevoir des apparitions mariales. Elle organisait des rassemblements devant une statue de la Vierge censée pleurer du sang, affirmait porter des stigmates, et prétendait même avoir assisté à des « multiplications » de pizzas et de gnocchi.
Les analyses scientifiques ont depuis balayé la mystification : les prétendues larmes de sang provenaient de Gisella Cardia elle-même, comme l’ont confirmé les tests ADN. Le Vatican, par le biais du diocèse de Civita Castellana, a conclu à l’absence totale de caractère surnaturel. Une enquête judiciaire est en cours pour escroquerie, la « voyante » ayant fondé une association qui récoltait des dons auprès de fidèles crédules.
Loin d’un simple folklore religieux, cette affaire révèle une instrumentalisation consciente de la foi, avec des techniques de manipulation émotionnelle proches de celles observées dans certaines sectes. Elle témoigne aussi d’une vulnérabilité persistante à la mise en scène religieuse dès lors qu’elle répond à un besoin collectif de réconfort ou de merveilleux.
EN ALGÉRIE, LA VIOLENCE NÉE DE LA SUSPICION
À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la ville algérienne d’El Eulma, une femme franco-algérienne a été victime d’un déchaînement d’hostilité fondé sur une lecture erronée du religieux. Assise près d’une piscine, vêtue d’un niqab, elle lisait des versets du Coran, accompagnés de traductions personnelles en français. Des passants, croyant à des pratiques occultes ou de sorcellerie, l’ont entourée, insultée, filmée, et lui ont arraché son voile. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention tardive des autorités.
Loin d’être isolée, cette agression révèle un climat social où les amalgames entre pratique religieuse, méconnaissance linguistique et superstition peuvent générer des actes de violence injustifiés. La justice algérienne a toutefois agi avec fermeté : huit individus ont été condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans de prison ferme, assorties d’amendes.
La victime, profondément marquée, a renoncé à des dommages financiers, ne demandant qu’un dinar symbolique. Un choix qui souligne à la fois sa dignité et sa volonté de ne pas attiser davantage les tensions.
ENTRE FOI POPULAIRE ET DÉRIVES CONTEMPORAINES
Ces deux cas, bien que distincts dans leur nature, révèlent un même trouble : la place de la croyance dans des sociétés en perte de repères rationnels. En Italie comme en Algérie, le sacré devient l’écran de projections sociales multiples : attente de miracle dans un monde désenchanté, peur de l’irrationnel, suspicion de l’Autre, confusion entre foi et magie.
Ils montrent aussi la manière dont certaines figures féminines voyante charismatique ou femme pieuse peuvent cristalliser, à tort ou à raison, les tensions religieuses et symboliques. Dans les deux cas, ce sont des femmes qui se trouvent au cœur de l’événement, l’une manipulatrice, l’autre victime.
LA JUSTICE COMME DIGUE CONTRE L’OBSCURANTISME
Heureusement, les deux systèmes judiciaires italien et algérien ont joué leur rôle. L’Église catholique a su, malgré la pression médiatique, rejeter le caractère surnaturel des faits de Trevignano. La justice algérienne, quant à elle, a sanctionné une chasse aux sorcières moderne, confirmant que nul ne peut se faire justicier au nom d’une interprétation personnelle du sacré.
Ces affaires rappellent l’importance, pour toute société, de séparer clairement ce qui relève du religieux, du juridique et du fantasme. Elles montrent aussi la nécessité d’une éducation religieuse rigoureuse, et d’un enseignement critique, pour prévenir tant la manipulation que la persécution.
UNE ÉPOQUE AVIDE DE SENS, MAIS VULNÉRABLE
Il serait tentant de lire ces histoires comme des anomalies. Elles sont, au contraire, des symptômes. Symptomatiques d’un besoin collectif de sens, dans un monde traversé par l’incertitude, la précarité et le désenchantement. Mais ce besoin, mal canalisé, devient le terreau de toutes les dérives.
En cela, le travail des institutions religieuses, éducatives, judiciaires et médiatiques reste crucial : pour protéger, instruire, démystifier. Car si la foi peut inspirer, elle ne doit jamais justifier la fraude ni la violence