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Sanae Takaichi « Trump du Pacifique » : La nationaliste qui veut réarmer le Japon et rompre avec l’héritage pacifiste

Elle est sur le point d’entrer dans l’histoire comme la première femme à diriger le Japon. Mais derrière ce symbole, Sanae Takaichi porte une ambition bien plus radicale : réarmer le pays, revisiter son histoire et affirmer une puissance japonaise affranchie du pacifisme imposé depuis 1945. Une orientation qui inquiète autant qu’elle fascine, au sein d’une Asie déjà sous haute tension.

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À 64 ans, Sanae Takaichi incarne un paradoxe : première femme à pouvoir accéder au poste de Première ministre du Japon, mais issue de l’aile la plus conservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD). Fille d’un épicier de Nara, elle a gravi les échelons d’un monde politique longtemps fermé aux femmes, portée par une ténacité qu’elle revendique comme son principal atout.

Élue présidente du PLD en octobre 2025, Takaichi s’est imposée comme la figure la plus en vue de la droite dure japonaise. Admiratrice revendiquée de Shinzo Abe, dont elle se veut l’héritière, elle prône un Japon fort, décomplexé, maître de son destin militaire et historique.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon vit sous le régime de la Constitution pacifiste de 1947, qui interdit à l’armée tout rôle offensif. Pour Takaichi, ce cadre est devenu obsolète face à la montée en puissance de la Chine et aux provocations nord-coréennes.

Elle veut doter le Japon de capacités de frappe à longue portée, moderniser ses missiles, et réviser l’article 9 de la Constitution pour reconnaître officiellement le droit à la défense préventive. Son discours séduit une partie de l’opinion, lassée de voir le pays dépendre du parapluie sécuritaire des États-Unis d’Amérique, mais suscite aussi des craintes dans la région.

Pékin y voit un glissement vers le militarisme, Séoul dénonce une remise en cause de l’histoire, et les centristes japonais redoutent une dérive nationaliste qui isolerait Tokyo sur la scène asiatique.

L’un des aspects les plus controversés de Sanae Takaichi réside dans sa gestion de la mémoire. Elle se rend régulièrement au sanctuaire Yasukuni, où sont honorés des criminels de guerre de l’ère impériale, un geste perçu comme une provocation par les voisins asiatiques.

Sur les sujets de société, elle défend une vision conservatrice : opposition au mariage homosexuel, refus de l’égalité du nom de famille pour les couples mariés, hostilité à une politique migratoire ouverte. Ces positions, combinées à sa rhétorique nationaliste, lui valent le surnom médiatique de « Trump du Pacifique » une formule qu’elle ne rejette pas totalement.

Malgré sa victoire interne, Takaichi ne dispose pas encore d’une majorité stable pour gouverner. Le Komeito, parti centriste et allié traditionnel du PLD, a annoncé son retrait de la coalition, jugeant sa ligne trop radicale. Le PLD, affaibli par les élections récentes, ne détient plus la majorité absolue au Parlement.

Cette fragilité pourrait limiter sa marge de manœuvre, notamment sur la réforme constitutionnelle, qui exige une large majorité. Son défi immédiat sera donc de concilier un discours de fermeté nationale avec les impératifs de coalition dans un système politique marqué par le compromis.

Si Sanae Takaichi accède à la tête du gouvernement, le Japon pourrait connaître une inflexion majeure de sa politique étrangère. Son objectif est clair : restaurer la fierté nationale et rompre avec l’autocensure diplomatique héritée de l’après-guerre.

Mais cette ambition se heurte à plusieurs réalités : une population vieillissante, une dette publique colossale, une dépendance énergétique extérieure et une société encore prudente face au militarisme. Les défis économiques et sociaux pourraient vite rattraper les rêves de grandeur.

Le Japon se trouve à la croisée des chemins. Entre déclin démographique, dépendance technologique et montée des tensions régionales, la tentation du réarmement traduit une inquiétude existentielle : celle d’un pays longtemps pacifié, désormais rattrapé par la logique des blocs.

Sanae Takaichi symbolise cette mutation. Pour la première fois depuis 1945, une dirigeante japonaise revendique une puissance militaire et un récit national affranchi des tutelles.
Reste à savoir si le Japon saura conjuguer affirmation stratégique et prudence historique, ou s’il s’engagera sur la voie d’un nationalisme dont les cicatrices sont encore vives dans la mémoire asiatique.

Celine Dou