Le constructeur français Renault envisage de réintroduire des motorisations thermiques sur plusieurs modèles 100 % électriques, dont la Mégane et le Scénic, initialement conçus sans option thermique. Cette évolution stratégique, révélée le 19 octobre 2025, illustre les difficultés concrètes rencontrées par les industriels européens dans la transition vers l’électrique. Elle met en lumière un conflit latent entre l’idéalisme écologique, porté par les normes européennes, et le réalisme industriel et économique imposé par le marché.
Lire la suite: Entre idéalisme vert et réalisme industriel : Renault revoit sa stratégie face aux limites du tout-électrique
I. Un pari électrique devenu contraignant
Depuis le lancement de la ZOE, Renault avait choisi une stratégie “zéro compromis” : des plateformes dédiées et des modèles exclusivement électriques, à l’inverse de groupes comme Stellantis ou Volkswagen, qui proposent des versions thermiques de certains modèles.
Mais la dynamique initiale s’essouffle. Selon les derniers chiffres de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) :
- Les ventes de véhicules électriques en Europe stagnent, avec une progression de seulement 6 % au premier semestre 2025, contre 25 % l’année précédente.
- Le coût des batteries lithium-ion continue de peser sur les marges, atteignant plus de 25 000 euros par véhicule pour certains modèles haut de gamme.
- L’infrastructure de recharge reste insuffisante, en particulier hors des grandes métropoles, freinant l’adoption par les classes moyennes et rurales.
Pour Renault, cette combinaison de facteurs transforme le pari électrique en un défi économique et social : maintenir la compétitivité tout en respectant les engagements écologiques s’avère de plus en plus complexe.
II. Les contraintes d’une politique européenne ambitieuse
L’Union européenne a fixé l’interdiction des moteurs thermiques à partir de 2035, imposant aux constructeurs une transition rapide.
Si l’objectif environnemental est clair, la norme s’impose souvent plus vite que la capacité industrielle à s’adapter.
Pour Renault, cela crée un décalage entre réglementation et réalité de production, avec des coûts de fabrication et de logistique élevés et des difficultés à répondre à la demande réelle des consommateurs.
Le risque social est également tangible : l’accès à la mobilité devient plus coûteux, avec des véhicules électriques hors de portée de nombreux ménages. Le constructeur doit donc concilier exigences écologiques et acceptabilité sociale, un équilibre délicat.
III. La dépendance industrielle et géopolitique
L’électrification repose sur une chaîne d’approvisionnement très dépendante de la Chine. Le pays domine la production de métaux rares et de batteries essentiels au secteur.
Pour Renault et les constructeurs européens, cette dépendance représente une vulnérabilité stratégique. Les tensions géopolitiques ou les fluctuations des matières premières peuvent impacter directement la production et la souveraineté industrielle du groupe.
Le retour au thermique sur certains modèles ne constitue donc pas un recul technologique, mais une stratégie de diversification permettant de réduire la dépendance à l’importation de composants critiques et de sécuriser la continuité de la production.
IV. Une tendance vers le pragmatisme industriel
Renault n’est pas isolé : Stellantis et Volkswagen adoptent déjà des stratégies similaires, combinant électrique et thermique selon les besoins du marché et la disponibilité des infrastructures.
L’objectif est clair : concilier viabilité économique, acceptabilité sociale et cohérence écologique. Le “tout-électrique” laisse progressivement place à une approche plus pragmatique, adaptée à la réalité industrielle et aux comportements des consommateurs.
V. Entre idéalisme vert et retour au réel
Le virage de Renault illustre un phénomène plus large : la désidéologisation progressive du discours écologique européen. La transition énergétique ne pourra réussir que si elle prend en compte les contraintes industrielles, sociales et géopolitiques.
Entre ambitions vertes et contraintes du réel, Renault force l’Europe à reconnaître que l’innovation doit s’accompagner d’un réalisme stratégique et économique, et que la transition énergétique ne se résume pas à un choix technologique mais implique un rééquilibrage entre idéal et faisabilité.
Celine Dou