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Afrique du Sud : la justice ordonne à l’État d’empêcher les actions xénophobes devant les hôpitaux, révélant les défaillances de l’action publique

En Afrique du Sud, une décision de justice a contraint l’État à intervenir face à des actions xénophobes menées devant des établissements de santé publics. En rappelant l’obligation de garantir un accès aux soins sans entrave, la juridiction met en lumière les insuffisances de l’action publique dans la gestion des tensions migratoires et sociales.

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Une décision judiciaire fondée sur le droit et les obligations de l’État

La justice sud-africaine a ordonné aux autorités nationales, provinciales et locales de mettre fin aux actions illégales menées devant certains hôpitaux et cliniques publics, où des groupes informels entravaient l’accès des patients aux soins.
Ces pratiques consistaient notamment à exiger des documents d’identité ou à dissuader l’entrée de personnes perçues comme étrangères, sans aucune base légale.

La juridiction a rappelé que la gestion de l’ordre public, du contrôle migratoire et de l’accès aux services essentiels relève exclusivement des institutions de l’État. En conséquence, toute action menée par des acteurs non habilités constitue une violation du droit et engage la responsabilité des pouvoirs publics lorsqu’elle n’est pas empêchée.

Les hôpitaux, nouveaux espaces de conflictualité sociale

Le choix des établissements de santé comme lieux d’action n’est pas anodin.
Les hôpitaux publics sud-africains sont soumis à une pression structurelle persistante : sous-financement, pénurie de personnel, saturation des infrastructures. Dans ce contexte, la question migratoire est progressivement devenue un vecteur de tensions sociales, certains groupes assimilant, à tort ou à raison, la dégradation des services publics à la présence de populations étrangères.

La justice a toutefois souligné un point central : les dysfonctionnements des politiques publiques ne sauraient justifier la substitution de l’État par des initiatives privées ou communautaires, a fortiori lorsqu’elles reposent sur des critères discriminatoires.

Une mise en cause indirecte de l’inaction institutionnelle

Au-delà de l’interdiction des actions xénophobes, la décision judiciaire constitue une mise en cause implicite de l’inaction des autorités.
En laissant ces pratiques se développer devant des infrastructures publiques sensibles, l’État a laissé s’installer une forme de tolérance de fait, fragilisant le principe de monopole légitime de l’action publique.

La justice rappelle ainsi que l’État de droit ne se mesure pas uniquement à l’existence de normes constitutionnelles, mais à leur application concrète, en particulier lorsque les droits fondamentaux en l’occurrence l’accès aux soins sont menacés.

Une problématique aux résonances internationales

Si cette affaire est sud-africaine dans sa forme, elle s’inscrit dans une problématique plus large, observable dans de nombreux États confrontés à des pressions migratoires, économiques et sociales cumulées.
La tentation d’externaliser le contrôle, de fermer l’accès à certains services ou de tolérer des pratiques informelles constitue une dérive récurrente lorsque les institutions peinent à répondre aux attentes sociales.

La décision sud-africaine rappelle que le droit à la santé demeure un service public essentiel, qui ne peut être subordonné à des considérations identitaires sans remettre en cause les fondements mêmes de l’ordre juridique.

En ordonnant à l’État d’empêcher les actions xénophobes devant les hôpitaux, la justice sud-africaine ne se limite pas à régler un contentieux ponctuel. Elle réaffirme le rôle central des institutions dans la gestion des tensions sociales et migratoires, tout en soulignant les limites actuelles de l’action publique.

Reste désormais à savoir si cette décision sera suivie d’une application effective et durable, ou si elle demeurera un rappel juridique dans un contexte où les fragilités sociales continuent de mettre à l’épreuve la capacité de l’État à imposer son autorité.

Celine Dou, pour la boussole-infos

Journée mondiale du diabète 2025 : bien-être, égalité des droits et justice sociale

Chaque 14 novembre, la Journée mondiale du diabète attire l’attention sur une maladie qui affecte plus de 500 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. L’édition 2025, sous le thème « Bien-être et diabète », invite à dépasser la simple sensibilisation médicale pour interroger les enjeux de santé publique, de bien-être et de droits fondamentaux des personnes vivant avec cette maladie chronique.

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Le diabète n’est pas seulement un défi individuel, mais un enjeu collectif majeur. La prévalence de la maladie a augmenté de façon exponentielle depuis 1990, touchant désormais toutes les tranches d’âge et tous les continents. Selon la Fédération internationale du diabète, près de 80 % des diabétiques vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, où l’accès aux soins reste limité. Cette situation souligne la nécessité d’actions publiques coordonnées, allant du dépistage précoce à l’accès universel à l’insuline et aux dispositifs de surveillance. Le diabète comporte des risques graves pour la santé : maladies cardiovasculaires, complications rénales et oculaires, amputations. Mais au-delà de la santé physique, il entraîne une charge psychosociale considérable. L’anxiété, la dépression et le stress liés à la gestion quotidienne de la maladie sont documentés dans de nombreuses études, en France comme à l’international. L’OMS et la FID soulignent que la prise en charge du diabète doit intégrer le bien-être mental et social, et pas seulement le contrôle de la glycémie.

Le thème 2025 met en lumière un principe fondamental : la reconnaissance des droits des personnes diabétiques. Dans ce contexte, le mot “inclusion” est utilisé, mais il ne doit pas être interprété comme un privilège : il traduit la nécessité de garantir l’égalité réelle d’accès aux soins et à un environnement favorable, que ce soit à l’école, au travail ou dans la société. Concrètement, cette égalité des droits implique l’accès universel aux traitements essentiels, y compris l’insuline et les dispositifs de suivi, la protection contre la discrimination dans les milieux professionnels et éducatifs, ainsi que la prise en charge psychosociale, incluant soutien psychologique et programmes d’éducation à l’auto-gestion. Dans de nombreux pays africains et latino-américains, ces droits restent partiellement respectés, l’accès aux soins est souvent limité, les systèmes de santé insuffisamment préparés et les ressources financières inadéquates. La Journée mondiale du diabète met ainsi en lumière les inégalités persistantes et la nécessité d’une action politique et sociale déterminée.

Certains pays ont développé des stratégies intégrées pour améliorer la qualité de vie des diabétiques. La Finlande et le Japon ont mis en place des programmes communautaires combinant prévention, éducation et suivi personnalisé, tandis que la France a développé des initiatives locales visant le bien-être psychologique et l’accompagnement des diabétiques dans leur vie professionnelle. Ces comparaisons internationales montrent que la lutte contre le diabète ne se réduit pas à la sphère médicale : elle relève également d’une justice sociale et d’une responsabilité collective, pour que chaque individu puisse exercer pleinement ses droits fondamentaux.

Malgré ces avancées, plusieurs défis persistent. Dans de nombreux pays à ressources limitées, l’accès aux traitements reste insuffisant, le diagnostic et le suivi continu ne sont pas garantis pour tous, et la prise en charge psychologique demeure largement sous-évaluée. Les pistes d’action incluent le renforcement des politiques nationales de santé avec une approche “life-course”, la couverture universelle des soins incluant médicaments, dispositifs et soutien psychologique, ainsi que la sensibilisation et l’éducation pour réduire la stigmatisation. Le développement de programmes de pair-aidance et la mobilisation internationale sont également essentiels pour soutenir les pays confrontés à ces défis.

La Journée mondiale du diabète 2025 ne se limite donc pas à une campagne de sensibilisation. Elle rappelle que santé publique, bien-être et égalité des droits sont intrinsèquement liés. Garantir un accès universel aux soins et un environnement social favorable ne relève pas de l’inclusion en tant que privilège, mais d’un devoir de justice et d’égalité fondamentale. Cette journée constitue un appel à la responsabilité des États, des institutions et de la société civile pour faire du droit à la santé un principe concret et effectif, afin que chaque personne diabétique puisse vivre avec dignité, autonomie et sécurité à toutes les étapes de sa vie.

Celine Dou

Hémophilie A : des résultats préliminaires encourageants pour le NXT007 de Roche

Dans un domaine où chaque progrès médical peut transformer la vie de milliers de patients, les derniers résultats de l’essai clinique de phase I/II du traitement expérimental NXT007 développé par le groupe pharmaceutique Roche suscitent un vif intérêt au sein de la communauté scientifique. L’étude rapporte une réduction significative, voire une disparition, des saignements majeurs chez des patients atteints d’hémophilie A.

L’hémophilie A est une maladie génétique rare, liée au chromosome X, qui touche majoritairement les hommes. Elle se caractérise par un déficit en facteur VIII de coagulation, provoquant des hémorragies parfois graves et difficiles à contrôler. On estime à environ 400 000 le nombre de personnes concernées dans le monde, avec des disparités importantes d’accès aux soins entre les pays développés et les régions à ressources limitées, notamment en Afrique et en Asie.

Développé par la société pharmaceutique suisse Roche, le NXT007 est un anticorps bispécifique de nouvelle génération. Contrairement aux thérapies traditionnelles qui reposent sur des perfusions régulières de facteur VIII, ce traitement vise à imiter la fonction du facteur déficient en se fixant simultanément sur deux cibles du système de coagulation. Cette approche permettrait de réduire considérablement la fréquence des administrations et d’améliorer la qualité de vie des patients.

Les premiers résultats publiés dans le cadre de l’étude de phase I/II sont jugés très prometteurs : chez les patients traités, aucun saignement majeur n’a été observé pendant la période de suivi. Les chercheurs soulignent cependant que ces résultats concernent un échantillon limité et que la prudence reste de mise avant toute généralisation.

L’hémophilie reste une maladie particulièrement pénalisante dans de nombreux pays en développement, où les produits dérivés du plasma et les facteurs de coagulation sont souvent rares, coûteux, ou soumis à des risques de contamination. En Afrique subsaharienne, notamment, de nombreux patients ne bénéficient pas d’un diagnostic précoce ni d’une prise en charge adaptée, exposant les jeunes enfants à des complications orthopédiques lourdes et à un risque accru de mortalité.

Si les études futures confirment l’efficacité et la sécurité du NXT007, ce traitement pourrait constituer une avancée majeure, à condition toutefois que son accessibilité financière soit assurée au-delà des seuls marchés des pays industrialisés. Comme souvent en matière de santé mondiale, l’innovation technologique pose également la question cruciale de l’équité dans l’accès aux soins.

Avant toute commercialisation à large échelle, le NXT007 devra franchir avec succès les essais cliniques de phase III, impliquant un plus grand nombre de patients et des périodes de suivi prolongées. Par ailleurs, les agences de régulation sanitaire devront évaluer non seulement l’efficacité mais aussi la tolérance du traitement sur le long terme, notamment vis-à-vis de possibles complications thromboemboliques.

Le groupe Roche, qui commercialise déjà l’anticorps bispécifique Hemlibra (émicizumab) largement utilisé dans le traitement de l’hémophilie A, affirme que le NXT007 pourrait offrir un contrôle encore plus stable des saignements, avec des injections espacées jusqu’à une fois par mois, voire moins.

Si ces résultats se confirment, le NXT007 s’inscrirait dans la continuité des progrès récents qui transforment progressivement la prise en charge des maladies hémorragiques rares. Reste toutefois à veiller à ce que ces avancées, fruits de la recherche biomédicale des grands groupes pharmaceutiques, ne creusent pas davantage les écarts d’accès entre les pays industrialisés et les régions encore très exposées à la précarité sanitaire.

Yeztugo : la révolution silencieuse de la prévention du VIH, entre percée scientifique et inégalités d’accès

Le 18 juin 2025, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis d’Amérique a approuvé un nouveau traitement préventif contre le VIH : Yeztugo, nom commercial du lenacapavir. Présenté comme une avancée majeure dans la lutte contre le sida, ce médicament injecté seulement deux fois par an affiche une efficacité proche de 100 % dans la prévention des infections. Mais derrière l’enthousiasme scientifique, se dessinent déjà les contours familiers d’un monde médical à deux vitesses.

Développé par le laboratoire états-unien Gilead Sciences, Yeztugo repose sur une molécule innovante, le lenacapavir, qui agit en inhibant la capside du VIH, bloquant ainsi l’entrée du virus dans les cellules. Son mode d’administration une injection sous-cutanée tous les six mois représente une avancée pratique décisive par rapport aux traitements oraux quotidiens de PrEP (Prophylaxie pré-exposition), souvent contraignants en termes d’observance.

Les résultats des essais cliniques sont impressionnants. Lors de l’étude PURPOSE 1 menée en Afrique subsaharienne auprès de femmes cisgenres, aucune infection au VIH n’a été observée parmi les 2134 participantes. Dans une seconde étude, PURPOSE 2, conduite principalement aux États-Unis et en Amérique latine sur des hommes cisgenres et des personnes transgenres, seuls deux cas d’infection ont été recensés sur 2179 participants, soit une efficacité estimée à 99,9 %. De nombreux scientifiques évoquent un « tournant historique », et le prestigieux journal Science a classé le lenacapavir parmi les découvertes de l’année 2024.

L’approbation de Yeztugo aux États-Unis ouvre une nouvelle ère thérapeutique, mais interroge également sur le modèle d’accessibilité mondiale aux innovations médicales. Le prix annoncé pour le traitement est de 28 218 dollars par an. Certes, Gilead s’est engagé à proposer des licences gratuites à des fabricants de génériques dans 120 pays à revenu faible ou intermédiaire, principalement en Afrique et en Asie. Mais ce geste, s’il est notable, ne garantit en rien un accès effectif.

En effet, ces pays devront affronter des défis majeurs : infrastructure sanitaire adaptée, personnel formé, capacité de diagnostic régulier (notamment pour vérifier la séronégativité avant chaque injection, condition impérative à la sécurité du traitement), chaînes de froid, dispositifs de financement… autant d’obstacles qui risquent de ralentir, voire de limiter, l’impact de cette innovation là où elle pourrait être la plus salutaire.

L’introduction de Yeztugo ravive un débat ancien mais toujours brûlant : le droit à la santé est-il subordonné au pouvoir d’achat ? Alors que le VIH continue de faire des ravages, en particulier en Afrique subsaharienne, les technologies les plus efficaces émergent dans les pays riches et peinent à franchir les frontières des inégalités structurelles.

Plus encore, cette nouvelle génération de traitements pourrait rendre plus complexe la recherche vaccinale, car l’efficacité d’un vaccin devient plus difficile à démontrer en comparaison d’un produit déjà quasi infaillible. Cela pose un enjeu stratégique pour les politiques de santé publique à long terme.

L’Afrique, particulièrement touchée par le VIH, devra faire preuve de volontarisme politique, mais aussi de résilience face aux dépendances pharmaceutiques mondiales. La possibilité d’une production générique locale, la mise en place de campagnes de sensibilisation, et l’intégration du lenacapavir dans les programmes nationaux de santé publique seront des marqueurs décisifs.

Plus globalement, cette innovation interroge les institutions internationales telles que le Fonds mondial ou le PEPFAR : seront-elles à la hauteur de l’enjeu pour garantir un accès équitable à Yeztugo ? Ou verrons-nous se rejouer une distribution asymétrique comme lors des débuts des trithérapies ou, plus récemment, des vaccins contre la Covid-19 ?

Yeztugo est, sans doute, une révolution thérapeutique. Mais comme toute révolution, elle ne sera complète que si elle transforme la réalité des plus vulnérables, et pas seulement les pratiques médicales dans les cliniques huppées de San Francisco ou de Paris. Il ne suffit pas d’innover. Encore faut-il partager équitablement les fruits de l’innovation.

Alors que l’Occident célèbre à juste titre ce pas de géant, le reste du monde et particulièrement l’Afrique regarde l’horizon avec espoir, mais aussi lucidité. Une avancée scientifique n’est un progrès humain que lorsqu’elle devient un bien commun, accessible à toutes et tous.