Au lendemain du renversement d’Andry Rajoelina par un groupe d’officiers menés par le colonel Michaël Randrianirina, une partie de la jeunesse malgache, moteur de la contestation, découvre l’amertume des victoires confisquées. Née sur les réseaux sociaux, la « Gen Z » qui a ébranlé le régime se demande aujourd’hui si sa révolte n’a pas servi d’escalier au pouvoir militaire.
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Une jeunesse numérique devenue acteur politique
Depuis la fin septembre 2025, la capitale Antananarivo a vu affluer des milliers de jeunes arborant un drapeau noir frappé d’un chapeau de paille : clin d’œil au manga One Piece, devenu symbole d’un soulèvement générationnel. Ce mouvement baptisé « Gen Z Madagascar » est d’abord né d’une colère sociale : pénuries d’eau, délestages à répétition, chômage endémique et sentiment d’abandon d’une élite politique jugée corrompue et déconnectée.
Les réseaux sociaux ont joué un rôle décisif. Sans leader officiel, la jeunesse s’est organisée en ligne : messageries cryptées, slogans viraux, vidéos en direct. L’humour, la musique et la culture populaire y ont remplacé les mots d’ordre traditionnels des partis. L’objectif : forcer le président Andry Rajoelina à rendre des comptes. En trois semaines, le mouvement a pris une ampleur inédite, au prix d’une vingtaine de morts lors de la répression policière.
La chute d’un président et l’irruption des militaires
Le 14 octobre, un groupe d’officiers, parmi lesquels les forces d’élite du CAPSAT, a annoncé la destitution du président. À sa tête, le colonel Michaël Randrianirina s’est présenté comme un patriote venu « rétablir l’ordre ». Rajoelina, en fuite depuis deux jours, a été déclaré déchu par l’Assemblée nationale, et le colonel a prêté serment dans la foulée.
Les militaires assurent ne pas vouloir confisquer le pouvoir et promettent une transition « de dix-huit mois ». Mais la mémoire malgache garde trace d’un précédent : en 2009, le même CAPSAT avait soutenu l’ascension d’Andry Rajoelina contre Marc Ravalomanana. Beaucoup voient donc dans cette nouvelle intervention un recyclage du scénario de 2009, simplement adapté à une époque de hashtags et de vidéos virales.
Une victoire au goût d’illusion
Pour les jeunes manifestants, l’annonce de la chute de Rajoelina a d’abord provoqué des cris de joie. Puis le doute s’est installé : la révolution citoyenne n’a-t-elle pas été récupérée ?
« Nous voulions un changement démocratique, pas un nouveau régime militaire », confie Marie Christina Kolo, l’une des figures du mouvement. Dans les universités et les cafés d’Antananarivo, les discussions oscillent entre fierté et désillusion. Certains continuent d’espérer que l’armée tiendra parole ; d’autres redoutent un verrouillage autoritaire déguisé.
Ce malaise traduit le dilemme d’une jeunesse politisée mais sans structure : connectée, inventive, mais dépourvue d’ancrage institutionnel. La Gen Z malgache incarne une génération mondiale de Lagos à Santiago, de Tunis à Jakarta qui refuse les hiérarchies figées mais peine à transformer la contestation numérique en projet politique durable.
Une onde de choc régionale et internationale
L’Union africaine a aussitôt suspendu Madagascar, tandis que les partenaires occidentaux ont appelé au « retour rapide à l’ordre constitutionnel ». L’Union européenne, l’Organisation des Nations unies et la Communauté de développement d’Afrique australe ont exprimé leur préoccupation.
Les agences de notation, dont S&P Global, ont placé le pays sous surveillance négative : incertitudes sur la gouvernance, risque de fuite des capitaux et ralentissement de l’aide internationale. Les économistes anticipent une baisse du PIB d’au moins 1,5 % sur l’année 2026 si la crise perdure.
Au-delà des chiffres, cette séquence remet en lumière la fragilité des institutions démocratiques dans plusieurs États africains : lorsque la rue s’enflamme et que la jeunesse réclame le changement, l’armée demeure souvent l’arbitre ultime.
Madagascar, miroir d’un paradoxe africain
L’histoire malgache résonne avec celles du Soudan, du Niger ou du Gabon : dans un continent où la moitié de la population a moins de 25 ans, la jeunesse apparaît à la fois comme la promesse et le talon d’Achille de la démocratie. Promesse, parce qu’elle porte une aspiration sincère à la transparence et à la justice ; talon d’Achille, parce qu’elle reste vulnérable aux manipulations et aux jeux d’appareils.
En Madagascar, le défi est désormais de traduire l’élan civique en institutions durables. L’armée, pour sa part, devra prouver qu’elle n’a pas troqué un homme fort contre un uniforme. Le monde observe, les jeunes attendent.
Vers quelle transition ?
La stabilité du pays dépendra de la capacité du nouveau pouvoir à organiser des élections crédibles et à ouvrir un dialogue national inclusif. L’avenir dira si la « Gen Z » malgache restera un simple épisode de colère ou deviendra la matrice d’un renouveau démocratique.
Analyse : Celine Dou
La Boussole – infos