France : vers une redéfinition du viol centrée sur le non-consentement

La France s’apprête à faire évoluer l’une des notions juridiques les plus sensibles de son Code pénal : celle de viol. Mardi 18 juin, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi redéfinissant cette infraction pénale à partir du seul critère du non-consentement. Une avancée juridique saluée par une large partie de la société civile, qui place désormais l’Hexagone dans le sillage de plusieurs pays ayant déjà réformé leur droit en ce sens. Mais ce tournant symbolique soulève aussi des interrogations sur les modalités d’application concrète.

Jusqu’ici, la définition juridique du viol en droit français reposait sur quatre éléments : violence, contrainte, menace ou surprise. L’absence de consentement de la victime ne suffisait pas, en tant que telle, à caractériser le crime. Cette conception, héritée d’un paradigme ancien, se heurtait notamment aux cas de sidération psychique, où la victime est incapable de réagir ou de fuir.

La nouvelle loi entend rompre avec cette approche. Elle affirme que tout acte sexuel non consenti constitue un viol, et que le silence ou l’absence de résistance ne valent pas consentement. Le texte précise que le consentement doit être « libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable à tout moment ». Les circonstances aggravantes traditionnelles (violence, menace…) demeurent, mais ne sont plus nécessaires à l’établissement de l’infraction.

Portée par les députées Marie-Charlotte Garin (Europe Écologie-Les Verts) et Véronique Riotton (Renaissance), la réforme a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en avril, puis au Sénat en juin. Cette rare unanimité politique traduit une évolution culturelle profonde : celle du passage d’un droit centré sur l’agresseur à un droit centré sur la liberté sexuelle de la victime.

Plusieurs associations féministes réclamaient depuis des années cette évolution législative, inspirée du modèle suédois. La Suède a modifié sa législation en 2018, avec des effets notables : selon les statistiques officielles, le nombre de condamnations pour viol y a augmenté de 75 % en quatre ans.

La France rejoint ainsi des pays comme la Suède, l’Espagne, la Norvège, le Canada ou encore la Belgique, qui ont inscrit explicitement le non-consentement au cœur de la définition pénale du viol. À l’échelle de l’Union européenne, cette question divise encore. Un projet de directive visant à harmoniser la définition du viol sur la base du non-consentement a été bloqué par plusieurs États membres, dont l’Allemagne et la Hongrie, au nom du respect des souverainetés juridiques nationales.

Selon l’ONG Amnesty International, seuls 13 pays de l’Union européenne ont, à ce jour, adopté une législation conforme aux standards internationaux en matière de consentement sexuel.

Si la réforme est perçue comme une avancée majeure en matière de droits humains, elle soulève aussi des préoccupations techniques. Le Conseil d’État, dans son avis de mars 2025, a mis en garde contre les imprécisions liées au mot « notamment », utilisé dans la formulation de la loi, et qui pourrait engendrer des incertitudes d’interprétation.

En pratique, la preuve du non-consentement reste un défi majeur. En l’absence de signes visibles de violence, comment prouver qu’une personne n’a pas consenti ? Des juristes redoutent une inflation de procédures difficilement arbitrables, ou une possible inversion de la charge de la preuve, contraire au principe fondamental de la présomption d’innocence.

Au-delà du droit pénal, cette réforme témoigne d’un basculement dans les mentalités. Comme le souligne la députée Garin, il s’agit de promouvoir « une culture du consentement », en rupture avec l’idée selon laquelle le sexe est un dû, et le silence une approbation tacite.

Reste à savoir si cette réforme sera suivie d’une formation renforcée des magistrats, d’un accompagnement psychologique plus systématique des victimes, et d’un travail pédagogique auprès de la population en particulier dans les milieux scolaires, universitaires et professionnels. Car une loi, aussi juste soit-elle, n’a d’impact que si elle transforme les pratiques et les regards.

La réforme française du droit pénal en matière de viol marque un jalon important dans l’histoire des droits des femmes et de la justice sexuelle. Elle replace la question du consentement explicite au cœur du dispositif légal, sans pour autant éluder les enjeux d’interprétation et de mise en œuvre.

À l’heure où de nombreuses sociétés redéfinissent les frontières de l’intime, la France pose un acte fort mais dont l’efficacité se mesurera, in fine, dans les prétoires et dans les mentalités.

Laisser un commentaire