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Rougeole : l’OMS confirme un recul mondial durable de la vaccination depuis la pandémie de COVID-19

L’Organisation mondiale de la Santé tire un signal d’alarme clair : la résurgence actuelle de la rougeole n’est pas un phénomène isolé. Elle s’inscrit dans la continuité directe de la pandémie de COVID-19, qui a interrompu la vaccination de millions d’enfants dans le monde. Cinq ans après le pic de la crise sanitaire, les niveaux de couverture n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant 2020, révélant les limites profondes des systèmes de santé et les fractures persistantes de la gouvernance sanitaire mondiale.

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La rougeole revient dans des régions où la maladie avait presque disparu. Cette évolution n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’un déficit qui s’est accumulé pendant les années pandémiques et que le monde n’a pas encore résorbé. À travers cette résurgence, c’est toute l’architecture de la santé mondiale qui apparaît fragilisée.

Un retour en arrière qui s’explique avant tout par l’héritage du COVID-19

Avant la pandémie, la vaccination progressait régulièrement et plusieurs régions approchaient le seuil d’immunité collective. L’année 2019 représentait un point haut, avec une couverture qui se stabilisait à un niveau permettant de maintenir la rougeole sous contrôle. Cette dynamique s’est brutalement interrompue en 2020 lorsque les systèmes de santé ont réorienté leurs efforts vers la gestion de la crise COVID. Les campagnes de vaccination de routine ont été suspendues, les écoles souvent centres de vaccination ont fermé, et des millions d’enfants n’ont jamais reçu leurs doses. Aujourd’hui encore, cette interruption continue de produire ses effets : les enfants qui auraient dû être vaccinés en 2020, 2021 ou 2022 sont devenus une cohorte vulnérable, et cette vulnérabilité alimente les flambées actuelles.

Une reprise insuffisante pour combler les failles accumulées

Les chiffres récents montrent une remontée, mais celle-ci demeure trop lente pour rattraper trois années de perturbation. La première dose atteint 84 % en 2024, un niveau inférieur à celui de 2019, tandis que la seconde dose plafonne à 76 %, bien en-deçà des 95 % nécessaires pour interrompre la transmission du virus. La conséquence est visible : près de 11 millions de cas ont été recensés ou estimés en 2024, accompagnés d’environ 95 000 décès, en grande majorité chez les enfants les plus jeunes. Cinquante-neuf pays ont signalé des flambées d’ampleur inhabituelle, y compris dans des régions reconnues jusque-là comme bien protégées. À travers ces données, l’OMS décrit moins une “hausse” qu’un réajustement à la suite d’un choc systémique dont les effets persistent.

Une fragilité mondiale, mais des vulnérabilités très inégalement réparties

L’Afrique concentre plus de la moitié des enfants non vaccinés. Cette situation s’explique par la faiblesse chronique des systèmes de santé, les contraintes logistiques dans des territoires vastes ou enclavés, la dépendance aux financements extérieurs, ainsi que par l’impact cumulatif des crises sécuritaires. Mais le phénomène dépasse le cadre africain. En Europe et dans les Amériques, des flambées apparaissent dans des environnements pourtant dotés d’infrastructures solides. Ici, la question n’est plus logistique mais sociétale : la désinformation et la baisse de confiance envers les institutions sanitaires ont créé des poches de populations non immunisées. En Asie du Sud, la densité démographique et la reprise rapide des déplacements facilitent la circulation du virus. Le Moyen-Orient reste marqué par les déplacements de populations et l’instabilité de plusieurs États. La rougeole devient ainsi un révélateur de la diversité des fragilités contemporaines, qu’elles soient structurelles, politiques ou sociales.

Une rupture née en 2020 qui redessine aujourd’hui la carte sanitaire

L’année 2019 constituait un point d’équilibre relatif. La pandémie a fait basculer ce fragile équilibre. Entre 2020 et 2022, la vaccination de routine a reculé dans presque tous les continents. En 2023, la reprise des déplacements internationaux a permis au virus de circuler plus aisément dans un monde dont une partie des enfants n’était pas immunisée. En 2024, les flambées se sont multipliées, confirmant que les campagnes de rattrapage restaient insuffisantes. Et en 2025, l’OMS affirme explicitement que la couverture mondiale n’a toujours pas retrouvé son niveau pré-COVID. Cette chronologie montre que nous ne sommes plus face à un déficit ponctuel, mais à une réorganisation durable de la vulnérabilité sanitaire mondiale.

Au-delà du virus : ce que révèle la rougeole de la gouvernance sanitaire internationale

La résurgence actuelle souligne plusieurs tendances de fond. D’abord, la pandémie a démontré que beaucoup de systèmes de santé ne sont pas capables de maintenir leurs services essentiels en période de crise prolongée. Ensuite, la dépendance de dizaines de pays à l’aide internationale fragilise les programmes de vaccination lorsque les priorités globales se déplacent. De plus, l’érosion de la confiance publique, observée dans plusieurs pays à haut revenu, montre que la performance sanitaire ne repose pas uniquement sur la technique ou les infrastructures, mais également sur la cohésion sociale. Enfin, la vaccination devient un enjeu géopolitique : elle engage les alliances, les financements et la capacité des États à mener des politiques de santé indépendantes.

La rougeole redevient un marqueur de l’état réel des systèmes de santé, de leur capacité à absorber les crises et à maintenir des priorités cohérentes dans la durée. La pandémie de COVID-19 a créé une rupture dont le monde n’a toujours pas surmonté les effets, et la hausse des cas n’est que la conséquence visible d’un déséquilibre plus profond. Revenir aux niveaux pré-pandémie ne suffirait pas : les failles accumulées exigent une approche renforcée, durable et structurée, capable de consolider les systèmes les plus fragiles et de restaurer la confiance là où elle s’est effritée. L’OMS ne décrit pas seulement une menace sanitaire, mais un défi global qui engage l’avenir même de la prévention.

Celine Dou — La Boussole-infos

Grossesses sous pression climatique : quand la chaleur menace la vie avant la naissance

Le réchauffement climatique n’épargne aucun corps, pas même celui de la femme enceinte. Tandis que les températures mondiales grimpent, les risques liés à la grossesse augmentent : naissances prématurées, stress fœtal, complications maternelles, voire mortalité périnatale. Un enjeu de santé publique encore largement ignoré dans les stratégies climatiques internationales.

Chaque jour un peu plus chaud que le précédent. Chaque saison un peu plus longue, plus sèche, plus suffocante. Dans ce monde en surchauffe, le corps de la femme enceinte devient un terrain fragile, exposé à des agressions physiologiques qu’on commence tout juste à comprendre scientifiquement.

Les chiffres sont éloquents. Selon une méta-analyse récente couvrant 940 villes dans 247 pays, les « jours à risque thermique pour la grossesse » ont doublé en moins de deux décennies. Dans certains pays comme l’Inde ou l’Australie, les femmes enceintes doivent désormais composer avec jusqu’à six semaines supplémentaires de chaleur dangereuse chaque année.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte : l’exposition à des températures supérieures à 35 °C pendant plusieurs jours consécutifs augmente de façon significative le risque de naissance prématurée, de faible poids à la naissance et de mortinatalité. Ces effets ne sont pas théoriques. Ils sont observés, documentés, quantifiés.

Pourquoi la grossesse est-elle si sensible à la chaleur ? Parce que le métabolisme maternel s’intensifie naturellement durant la gestation. Le volume sanguin augmente, le rythme cardiaque s’accélère, la température corporelle est légèrement plus élevée. Ce qui rend les femmes enceintes plus vulnérables à la déshydratation, aux coups de chaleur, et aux troubles de la régulation thermique.

Le stress thermique affecte également le fœtus. Des études menées en Gambie ou en Californie ont montré qu’une simple augmentation de 1 °C suffit à modifier le flux sanguin placentaire, à désynchroniser le rythme cardiaque fœtal, ou à provoquer un accouchement anticipé. En Australie, les femmes exposées à des épisodes de chaleur extrême au troisième trimestre ont deux fois plus de risques de prolongation de grossesse au-delà de 41 semaines, avec les complications que cela entraîne.

À cela s’ajoute la pollution atmosphérique, souvent corrélée aux pics de chaleur. Les particules fines (PM2,5), l’ozone et les oxydes d’azote pénètrent la circulation sanguine, atteignant le placenta, voire le fœtus. Ils sont associés à un risque accru de fausses couches, de retard de croissance intra-utérin et de troubles du développement neurologique.

Cette menace climatique ne frappe pas toutes les femmes de la même manière. Elle accentue les inégalités socio-économiques et géographiques.

Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les femmes enceintes ont moins accès à des systèmes de santé adaptés, à des lieux de travail climatisés ou à un suivi médical régulier.
En milieu rural, notamment en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud, les conditions de travail physique intense (agriculture, marché, portage) exposent les femmes à un stress thermique quotidien, sans possibilité de repli.
Les infrastructures hospitalières sont souvent inadéquates pour gérer les complications obstétricales liées à la chaleur ou aux maladies vectorielles amplifiées par le climat (paludisme, dengue, Zika).

C’est la double peine climatique : être enceinte et pauvre, dans une région chaude.

Malgré les alertes répétées de l’OMS, de l’UNICEF ou du Journal of Global Health, la santé maternelle reste quasiment absente des plans climat nationaux. Moins de 20 % des contributions nationales déterminées (NDC) dans le cadre de l’Accord de Paris mentionnent la vulnérabilité des femmes enceintes. Quant aux financements internationaux, ils privilégient encore les infrastructures ou la transition énergétique, reléguant la santé reproductive au second plan.

Il existe pourtant des solutions :

Mettre en place des systèmes d’alerte thermique adaptés aux femmes enceintes ;
Améliorer l’accès à l’eau potable et à la climatisation dans les maternités ;
Intégrer le suivi obstétrical dans les stratégies d’adaptation climatique ;
Former les sages-femmes et médecins aux nouveaux risques liés à l’environnement.

Au-delà des données médicales, il y a une question civilisationnelle : voulons-nous d’un monde où la grossesse devient un risque environnemental majeur ? Où porter la vie suppose de défier la température ambiante, l’air que l’on respire, la stabilité des saisons ?

Le réchauffement climatique n’est pas un phénomène abstrait. Il modifie la biologie intime des corps. Il touche l’origine même de l’humanité : la gestation. C’est pourquoi sa prise en compte dans les politiques publiques ne peut plus se limiter aux grands discours sur l’atténuation des émissions. Il faut descendre dans les détails, dans les ventres, dans les maternités, dans la vie réelle.

Le droit de naître en sécurité ne peut être dissocié du droit de vivre dans un environnement sain. Protéger la santé maternelle face au dérèglement climatique, c’est défendre à la fois l’avenir des enfants et la dignité des femmes. Cela exige une révolution dans nos priorités sanitaires, écologiques et sociales.