Archives pour la catégorie histoire

D’autres hominidés ont maîtrisé le feu avant Homo sapiens : implications pour notre compréhension de l’évolution humaine

Des fouilles récentes sur le site de Barnham, dans le Suffolk, en Angleterre, ont révélé des preuves que la maîtrise du feu remonte à plus de 400 000 ans, avant l’arrivée des Homo sapiens en Europe. Cette découverte, attribuée aux Homo heidelbergensis ou à leurs descendants Néandertaliens, réécrit partiellement notre histoire et invite à reconsidérer la chronologie des avancées techniques des hominidés.

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Longtemps considérée comme une prouesse exclusive des humains modernes, la maîtrise du feu apparaît désormais comme une étape que d’autres espèces du genre Homo avaient déjà franchie. Cette constatation questionne notre perception de l’intelligence et de l’innovation dans la préhistoire, tout en soulignant la continuité des compétences techniques au sein des populations humaines archaïques.

Le site de Barnham, fouillé depuis plusieurs décennies, a livré un fragment de pyrite datant de plus de 400 000 ans, disposé à proximité d’âtres et de silex. Selon Simon Parfitt, archéologue au Musée d’histoire naturelle de Londres et co-auteur de l’étude publiée dans Nature, ce minéral était utilisé pour allumer volontairement le feu.

À cette époque, les Homo sapiens évoluaient encore en Afrique, ce qui exclut leur intervention. Les artefacts, notamment des outils clactoniens, suggèrent que ces feux étaient entretenus par les Homo heidelbergensis, et plus tard par les Néandertaliens, qui avaient déjà une connaissance approfondie des matériaux et des techniques nécessaires à la domestication du feu.

1. Redéfinir l’originalité des Homo sapiens

Cette découverte montre que les compétences techniques que nous pensions uniques à notre espèce étaient déjà présentes chez d’autres hominidés. La capacité à contrôler le feu allumer, entretenir et utiliser des foyers est une compétence cognitive et sociale complexe, partagée avec nos cousins préhistoriques.

2. Implications pour l’étude de l’évolution humaine

Le fait que le feu ait été maîtrisé avant notre arrivée en Europe indique que les innovations majeures de nos ancêtres étaient progressives et cumulatives. La culture matérielle, la coopération et la transmission des savoirs techniques ne sont pas des traits exclusifs d’Homo sapiens, mais des compétences héritées et développées au fil des générations d’hominidés.

3. La continuité des pratiques techniques

Les traces de pyrite et de foyers attestent de pratiques intentionnelles, ce qui suggère que le feu servait non seulement à se réchauffer ou à cuire des aliments, mais aussi à transformer le paysage, à chasser et à structurer la vie sociale. La domestication du feu apparaît ainsi comme une étape majeure de l’adaptation humaine, partagée avec d’autres espèces intelligentes du genre Homo.

La maîtrise du feu ne doit plus être considérée comme un marqueur exclusif d’Homo sapiens. Les Homo heidelbergensis et les Néandertaliens avaient déjà développé cette compétence, ce qui invite à repenser l’évolution de la cognition, de la technique et des sociétés humaines préhistoriques. L’histoire de l’humanité se révèle ainsi moins centrée sur notre espèce et plus riche en continuité et interactions entre différents hominidés.

Celine Dou, pour la boussole-infos

Patrimoine immatériel et tensions régionales : l’inscription du caftan marocain révèle la polarisation de la culture

L’inscription du caftan marocain au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO a suscité une vive réaction en Algérie, ravivant une querelle qui dépasse largement la question vestimentaire. Cette controverse met en lumière le rôle stratégique que jouent désormais les éléments culturels dans les rapports de force géopolitiques, notamment entre États en situation de rivalité durable.

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À première vue, il ne s’agit que d’un vêtement traditionnel. Mais dans le contexte maghrébin actuel, le caftan est devenu bien plus qu’un habit d’apparat : il est un symbole, un récit, et un enjeu de pouvoir.

Lors de sa récente session, l’UNESCO a inscrit le caftan marocain sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, reconnaissant ainsi les savoir-faire, les pratiques sociales et l’ancrage historique de ce vêtement dans la culture du Royaume. Cette décision, présentée par Rabat comme une consécration patrimoniale, a immédiatement suscité une vague de réactions critiques en Algérie, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux.

À Alger, plusieurs voix ont dénoncé ce qu’elles perçoivent comme une forme d’appropriation culturelle, estimant que le caftan ferait également partie du patrimoine algérien, plus largement maghrébin. Les autorités algériennes ont rappelé, de manière indirecte, que certains costumes traditionnels intégrant le caftan avaient déjà été valorisés dans des dossiers culturels antérieurs, contestant ainsi l’idée d’une exclusivité marocaine.

Cette controverse illustre une réalité de plus en plus manifeste dans les relations internationales : la culture n’est plus un domaine neutre, périphérique ou strictement symbolique. Elle est devenue un levier stratégique à part entière. Dans un contexte de tensions politiques prolongées entre le Maroc et l’Algérie, chaque reconnaissance internationale prend une dimension politique implicite, voire conflictuelle.

L’UNESCO, souvent perçue comme une institution technique de sauvegarde culturelle, fonctionne également comme un espace de légitimation symbolique. L’inscription d’un élément au patrimoine immatériel contribue à fixer un récit officiel, à consacrer une continuité historique et à renforcer une identité nationale sur la scène internationale. Pour des États engagés dans une rivalité d’influence, cette reconnaissance équivaut à un gain de prestige et de crédibilité culturelle.

Lorsque les canaux diplomatiques traditionnels sont rompus ou gelés, la confrontation se déplace vers des terrains alternatifs : la mémoire, l’histoire, le patrimoine. Le caftan devient alors un territoire symbolique disputé, au même titre que d’autres éléments culturels déjà au cœur de tensions régionales. Ce type de conflit est d’autant plus sensible qu’il mobilise l’émotion, l’identité et le sentiment d’appartenance, rendant toute concession politiquement coûteuse.

Plus largement, cette affaire s’inscrit dans une dynamique mondiale où les États investissent la diplomatie culturelle comme outil de soft power. Musiques, gastronomie, vêtements traditionnels et récits historiques sont mobilisés pour influencer les perceptions, renforcer la cohésion interne et projeter une image favorable à l’international. La culture cesse ainsi d’être un simple héritage à préserver ; elle devient un instrument actif de la stratégie étatique.

La polémique autour du caftan marocain rappelle que, dans la géopolitique contemporaine, les batailles ne se livrent pas uniquement sur les terrains militaires ou économiques. Elles se jouent aussi dans l’arène symbolique, là où se construisent les récits et se consolident les identités. Réduire ces tensions à une querelle folklorique serait une erreur d’analyse. Derrière un élément de patrimoine se dessinent des enjeux de souveraineté, de légitimité et d’influence, révélateurs d’un monde où la culture est devenue l’un des champs de confrontation les plus durables et les plus stratégiques.

Celine Dou, pour la boussole-infos

Algérie : mémoire coloniale et enjeux géopolitiques à l’épreuve d’Alger

Alger accueille depuis le 30 novembre une conférence internationale sur les crimes du colonialisme, organisée sous l’égide de l’Union africaine. Présentée comme une initiative visant à faire reconnaître les injustices du colonialisme et à explorer des mécanismes de réparation, l’événement est déjà l’objet de controverses, tant pour son instrumentalisation politique que pour les angles historiques qu’il omet.

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Alors que le colonialisme européen est au centre des débats, la conférence d’Alger révèle ce qui demeure largement tabou : la colonisation arabo-musulmane, qui fut souvent bien plus violente et destructrice. Par ailleurs, la réunion est rapidement devenue un outil diplomatique, permettant à l’Algérie de soutenir le Polisario et d’instrumentaliser la mémoire historique à des fins géopolitiques.

Une conférence à double enjeu

Officiellement, la conférence vise à promouvoir la reconnaissance des crimes coloniaux et à envisager des réparations pour les Africains et leurs descendants, sous le thème “Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine à travers les réparations”. Diplomates, juristes, historiens et représentants de la diaspora africaine et caribéenne participent à l’événement. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a insisté sur la nécessité d’un cadre juridique pour restituer équitablement les biens volés et compenser les victimes, affirmant que ces mesures ne doivent être perçues ni comme des cadeaux ni comme des faveurs.

Pourtant, selon certains médias, l’Algérie a transformé cette réunion en tribune pour le Polisario, détournant partiellement l’objectif initial. La conférence illustre ainsi le risque de récupération politique de la mémoire historique, où le souvenir des crimes coloniaux sert des intérêts diplomatiques contemporains.

Contextualisation historique : entre colonialismes européen et arabo-musulman

Si la colonisation française a profondément marqué l’Algérie, il est nécessaire de nuancer le récit. Les incursions européennes ont eu pour objectif partiel de mettre un terme aux raids barbaresques qui, depuis le Maghreb, dévastaient les côtes méditerranéennes et atlantiques, allant jusqu’en Islande. Ces raids impliquaient pillages, massacres et enlèvements d’hommes, femmes et enfants, réduits en esclavage, affectant non seulement les populations africaines du Nord et sub-sahariennes, mais aussi européennes.

Par ailleurs, la composition actuelle de la population algérienne complexifie la légitimité morale d’Alger comme “pays le plus meurtri” par la colonisation européenne. Les Amazighs constituent les habitants originels, tandis que la majorité de la population est descendante de colons arabes venus après la conquête islamique. Cette réalité historique illustre un paradoxe : l’Algérie, tout en revendiquant le statut de victime du colonialisme français, est elle-même héritière d’une longue histoire coloniale interne et régionale.

mémoire et instrumentalisation

Le choix d’Alger pour accueillir la conférence n’est pas neutre. Il offre au pays une tribune stratégique pour soutenir le Polisario dans le cadre du conflit du Sahara occidental, transformant un événement de mémoire en outil diplomatique. Cette instrumentalisation illustre une tendance plus large : la mémoire historique devient un levier géopolitique, capable de renforcer l’influence régionale et internationale, tout en masquant certains aspects du passé colonial, notamment la colonisation arabo-musulmane.

La conférence met ainsi en lumière les tensions entre mémoire, justice et stratégie : comment concilier reconnaissance des injustices passées avec les réalités diplomatiques contemporaines, sans que la mémoire ne soit détournée pour servir des intérêts politiques immédiats ?

La conférence internationale sur les crimes du colonialisme à Alger révèle le double enjeu des initiatives de mémoire historique. Si elle offre une opportunité de justice et de réparation pour les victimes du colonialisme européen, elle montre également comment la mémoire peut être instrumentalisée à des fins politiques et territoriales. Les omissions historiques, notamment le silence sur la colonisation arabo-musulmane, et l’usage du forum pour soutenir le Polisario, posent la question du rôle réel de telles conférences dans la diplomatie africaine et mondiale. La mémoire historique, pour être pleinement légitime et constructive, doit être traitée avec rigueur, nuance et intégrité, au-delà des intérêts immédiats des États hôtes.

Christian Estevez

Touristes de la guerre : l’Italie enquête, près de trente ans après, sur des tirs payants contre civils à Sarajevo, que révèle vraiment ce retour du passé ?

Près de trois décennies après la fin du siège de Sarajevo, la justice italienne rouvre un dossier glaçant : celui de ressortissants européens qui auraient payé entre 80 000 et 100 000 euros pour tirer sur des civils bosniens pendant la guerre. Au-delà du choc moral, ce surgissement tardif interroge notre rapport à la mémoire, aux responsabilités et à la marchandisation de la violence.

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Une enquête italienne déclenchée par des accusations d’une rare gravité

Le parquet de Milan a ouvert une enquête pour homicide volontaire aggravé par cruauté et motifs abjects après la plainte du journaliste Ezio Gavazzeni.
Selon son dossier, des citoyens italiens et d’autres Européens auraient participé, entre 1993 et 1995, à ce que des témoins décrivent comme des “safaris humains” : des expéditions organisées avec les milices serbes bosniaques pour permettre à des étrangers de tirer depuis les hauteurs de Sarajevo sur des passants, des femmes, des personnes âgées, voire des enfants.

Les candidats à cette macabre activité seraient partis de Trieste, transitant par Belgrade, avant d’être conduits vers les positions de tir contrôlées par les forces serbes.

Plusieurs témoins évoquent l’existence d’une tarification des victimes, avec, selon les témoignages, des montants variables selon la “cible”. Une marchandisation de la violence qui choque encore aujourd’hui par son cynisme absolu.

Des témoignages anciens, mais une prise en compte tardive

Si cette affaire ressurgit aujourd’hui, c’est en grande partie grâce au documentaire Sarajevo Safari (2022), qui compilait déjà des témoignages d’anciens combattants confirmant l’existence de ces “touristes de la guerre”.

Ces témoignages, ignorés ou minimisés à l’époque, refont désormais surface dans un contexte politique et mémoriel où l’Europe questionne de plus en plus les impunités restées en suspens depuis la dissolution de la Yougoslavie.

À cela s’ajoutent des éléments issus des services de renseignement bosniaques de l’époque, affirmant que de tels individus avaient effectivement été repérés près des lignes de front.
Mais l’enquête devra établir ce qui relève du fait établi, du récit traumatique ou de la reconstruction a posteriori.

Un retour sur Sarajevo : une ville transformée en cible

Entre 1992 et 1996, Sarajevo a vécu le siège le plus long de l’histoire contemporaine européenne.
Plus de 11 000 civils ont péri sous les bombardements et les tirs de snipers.
Certaines zones, comme la tristement célèbre “Sniper Alley”, étaient devenues impraticables pour les habitants, obligés de courir sous les balles pour rejoindre leur travail ou acheter du pain.

Dans ce contexte de violence permanente, la possibilité que des étrangers fortunés aient été accueillis pour s’exercer au tir sur des innocents révèle une dimension encore plus sombre du conflit : la transformation de la mort en spectacle payant.

Analyse : un scandale qui dépasse la Bosnie et interroge l’Occident

1. Une banalisation extrême de la violence

Si les faits sont confirmés, ils révèlent la manière dont la guerre peut devenir un espace de “consommation”, où le meurtre est réduit à une expérience.
Cette logique rappelle les pires dérives du voyeurisme contemporain : franchir la frontière entre regarder la violence et y participer.

2. Le retour du refoulé européen

Que ces accusations émergent aujourd’hui n’est pas anodin.
L’Europe vit une période de tension mémorielle : montée des extrêmes, troubles identitaires, banalisation de la violence politique.
Ces révélations obligent l’Occident à affronter une réalité qu’il a longtemps reléguée : il n’a pas seulement été spectateur du conflit bosniaque certains de ses citoyens auraient participé aux crimes.

3. L’impossible fermeture de la page yougoslave

Presque trente ans après, de nouveaux dossiers surgissent encore.
Les crimes restés sans enquête montrent que la guerre a été plus complexe, plus opaque, et peut-être encore incomplètement comprise.
La justice italienne, en rouvrant ce dossier, dit implicitement : le passé ne passe pas.

4. Une crise éthique sur le rapport aux armes et au pouvoir

Cette affaire questionne aussi une culture européenne marginale mais réelle : celle des amateurs d’armes, souvent issus de milieux ultranationalistes ou survivalistes, prêts à payer pour vivre une expérience de domination violente.
Le phénomène n’a pas disparu il se recompose aujourd’hui sur d’autres terrains, parfois numériques.

Une enquête encore fragile, mais politiquement explosive

Il faut rester prudent :

  • aucun suspect n’a encore été nommément identifié ;
  • certains anciens combattants serbes parlent d’“exagérations” ;
  • la reconstitution des faits, trente ans après, reste difficile.

Mais l’impact symbolique est déjà immense.
En Italie, plusieurs associations demandent un élargissement de l’enquête à d’autres pays européens.
En Bosnie, des responsables politiques dénoncent une “vérité que l’Europe a longtemps refusé de voir”.

Une affaire qui oblige l’Europe à regarder dans le miroir

Si les “safaris humains” de Sarajevo sont confirmés, ils constitueront l’un des épisodes les plus sordides de la guerre de Bosnie et l’un des scandales moraux les plus accablants pour l’Occident depuis la fin du XXᵉ siècle.

Mais au-delà de la confirmation judiciaire, cette affaire rappelle une vérité essentielle :
les guerres ne dévoilent pas seulement la barbarie des armées elles révèlent aussi les ombres de ceux qui en profitent.

Celine Dou

Mémoire sélective : quand Macron condamne les incorporations forcées allemandes et oublie celles de la France coloniale

Le 11 novembre 2025, lors des commémorations de l’Armistice, Emmanuel Macron a dévoilé aux Invalides une plaque en hommage aux Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée allemande durant la deuxième guerre mondiale. Un geste présenté comme un « devoir de mémoire » et une reconnaissance du « crime » que représenta, selon lui, l’enrôlement forcé de ces citoyens français dans la Wehrmacht.
Mais derrière cet acte symbolique, une contradiction historique saute aux yeux : la France condamne aujourd’hui ce que l’Allemagne fit subir à ses ressortissants annexés, tout en continuant d’ignorer qu’elle a elle-même imposé la conscription à des millions d’hommes issus de son empire colonial, souvent dans les mêmes conditions de contrainte.

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Un hommage attendu… et politiquement utile

L’hommage rendu aux « Malgré-Nous » répond à une revendication ancienne. Ces Alsaciens et Mosellans, incorporés de force entre 1942 et 1945 après l’annexion de leur région par le IIIᵉ Reich, furent près de 130 000 à être enrôlés dans l’armée allemande. Beaucoup ne revinrent jamais : environ 40 000 périrent au front, souvent sur le front de l’Est, et plusieurs milliers disparurent en captivité soviétique.
Pendant des décennies, la République hésita à reconnaître leur drame, craignant d’ouvrir le débat sensible de la loyauté nationale. En 1981, une première plaque avait été inaugurée à Strasbourg, mais sans véritable reconnaissance d’État. Celle de 2025 parachève cette réhabilitation symbolique.

Ce geste présidentiel, s’il répond à une exigence morale, s’inscrit aussi dans une logique politique : célébrer l’unité nationale et refermer une plaie interne à la France métropolitaine. Or, c’est précisément cette focalisation sur la mémoire interne, au détriment des mémoires périphériques, qui interroge.

Quand la France imposait la guerre à ses colonies

Pendant que les Alsaciens subissaient la conscription allemande, des milliers d’Africains, de Malgaches, de Maghrébins, d’Indochinois et d’Antillais étaient, eux aussi, enrôlés sous le drapeau français souvent sans consentement réel.

Entre 1914 et 1918, près de 600 000 soldats coloniaux furent mobilisés pour défendre la France. Durant la deuxième guerre mondiale, plus de 500 000 autres furent à nouveau réquisitionnés. Derrière la propagande du « volontariat », la réalité était celle de quotas imposés, de pressions administratives, et parfois de rafles dans les villages.
Des administrateurs coloniaux forçaient des chefs traditionnels à livrer des jeunes hommes ; les refus étaient punis de sanctions collectives.

Beaucoup de ces soldats ne savaient même pas pourquoi ils partaient combattre, encore moins pour quelle patrie. Ils servaient un empire qui ne les considérait pas comme des citoyens à part entière, mais comme une main-d’œuvre mobilisable. Et leur courage, souvent héroïque, n’a jamais bénéficié d’une reconnaissance équitable.

Des “Malgré-Nous” coloniaux ignorés de la mémoire française

Le parallèle entre les « Malgré-Nous » alsaciens et les soldats coloniaux contraints s’impose de lui-même. Les uns comme les autres ont été incorporés sans véritable choix. Les uns furent contraints par le Reich, les autres par la République coloniale.
Mais la mémoire officielle française ne retient que les premiers comme victimes d’un « crime de guerre ». Les seconds restent prisonniers d’un silence politique et historique.

Le contraste est d’autant plus frappant que l’État français a reconnu depuis longtemps la souffrance des Alsaciens statut de victimes, hommages publics, réparations partielles tandis que les combattants coloniaux, eux, ont dû se battre pour obtenir des pensions dérisoires, parfois réduites par le fameux mécanisme de la « cristallisation » qui bloquait leurs soldes au niveau de 1960.

Le massacre de Thiaroye, en décembre 1944, illustre cette hypocrisie : des tirailleurs sénégalais démobilisés, réclamant simplement le paiement de leurs soldes, furent abattus par l’armée française sur le sol africain.
À ce jour, aucun président n’a osé qualifier cet acte de « crime de guerre ».

Une morale à géométrie variable

En saluant la mémoire des incorporés de force d’Alsace-Moselle, Emmanuel Macron a raison de rappeler que la guerre a pu transformer des Français en instruments d’un ennemi.
Mais l’exercice moral devient bancal lorsqu’il ignore que la France a usé des mêmes méthodes coercitives envers ses propres sujets coloniaux.

L’État français, prompt à condamner les crimes des autres, tarde encore à se regarder dans son propre miroir historique. Or, comme le rappelle l’historien Pascal Blanchard, « l’empire colonial a été l’un des plus puissants systèmes d’exploitation et de mobilisation forcée du XXᵉ siècle ».
Refuser de le reconnaître, c’est entretenir l’illusion d’une supériorité morale, alors que la mémoire nationale reste sélective, partiale et incomplète.

La vérité, condition de justice

Rétablir la cohérence historique suppose d’ouvrir les archives, d’assumer les faits et de donner aux combattants coloniaux ou à leurs descendants la place qu’ils méritent dans la mémoire nationale.
Cela passerait par une reconnaissance officielle du caractère coercitif de leur mobilisation, des réparations symboliques (plaques, journées du souvenir, intégration dans les programmes scolaires) et une réévaluation morale du rapport entre métropole et colonies.

La mémoire n’a de valeur que si elle est complète. On ne peut honorer les victimes d’un enrôlement forcé sans mentionner celles qu’on a soi-même contraintes à combattre pour un empire qui ne leur appartenait pas.

La France, en commémorant les Alsaciens incorporés de force, accomplit un acte de justice mémorielle attendu.
Mais tant qu’elle refusera d’appliquer la même grille morale à ses propres pratiques coloniales, sa parole demeurera incomplète.
L’histoire, elle, ne pardonne pas la mémoire sélective.
Et dans le silence des oubliés de l’empire, résonne encore cette question : à qui appartient le droit de dire qui fut victime, et qui ne le fut pas ?

Celine Dou

Sibérie : des céramiques inédites révèlent une culture inconnue de l’Âge du bronze

Dans la vaste étendue de la steppe de Baraba, à l’ouest de la Sibérie, le site de Tartas‑1 continue de livrer ses secrets, plus de vingt ans après sa découverte initiale. Une équipe de l’Académie des sciences de Russie, dirigée par Vyacheslav Molodin, y a récemment mis au jour des fragments de céramique vieilles de quelque 6 000 ans, dont les formes et motifs défient toutes les classifications connues pour la région.

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Les bols découverts se distinguent par leur fond plat et des décorations complexes, évoquant une texture tissée directement dans la glaise. « Ce sont des poteries totalement atypiques, qui ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît en Sibérie », affirme Vyacheslav Molodin. Ces objets ne correspondent ni aux productions de la culture locale d’Ust‑Tartas (5000‑3000 avant J.-C.), ni à aucune autre tradition identifiée dans l’Âge du bronze eurasiatique.

La découverte soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. S’agit-il d’une évolution stylistique des Ust‑Tartas, ou de la manifestation d’un groupe humain jusque-là inconnu ? Les motifs géométriques et texturés pourraient indiquer un savoir-faire artisanal sophistiqué et suggérer l’existence d’échanges culturels inédits dans cette région. Le site, encore largement inexploré, pourrait receler d’autres vestiges éclairant l’organisation sociale et économique de ces populations oubliées.

Pour les chercheurs, cette trouvaille offre une opportunité rare de mieux comprendre l’histoire eurasiatique. Les analyses ADN et les datations au carbone 14 prévues permettront peut-être de relier ces céramiques à un groupe humain spécifique et de préciser leur place dans la chronologie locale. Elles contribueront également à reconstituer les réseaux d’influence et les savoir-faire techniques de l’époque, souvent méconnus dans la préhistoire sibérienne.

Au-delà de l’intérêt scientifique, cette découverte illustre l’importance de la steppe de Baraba comme un carrefour d’innovation et de contacts culturels à l’âge du bronze. Elle rappelle que l’histoire humaine est encore largement à redécouvrir, et que des cultures entières peuvent demeurer invisibles jusqu’à ce que de nouvelles fouilles ou technologies permettent de les révéler.

Celine Dou

Antilles françaises : les vestiges amérindiens de Sainte-Anne remettent en question le récit colonial

Le 25 octobre 2025, Mediapart a révélé la découverte de nombreux vestiges amérindiens à Sainte-Anne, sur la côte sud de la Martinique. Ces trouvailles archéologiques, effectuées sur le site du futur complexe hôtelier du Club Med, permettent de revisiter l’histoire précoloniale de l’île et interrogent la manière dont les civilisations locales ont été représentées dans le récit colonial traditionnel.

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Une mémoire archéologique méconnue

Les fouilles ont mis au jour des traces significatives de l’occupation amérindienne, révélant une société structurée, aux pratiques culturelles et économiques développées bien avant l’arrivée des colons européens. Des outils, des céramiques et des vestiges d’habitat témoignent de l’organisation complexe de ces communautés et de leur maîtrise de l’espace et des ressources naturelles.

Pour les spécialistes, ces découvertes contradissent l’idée longtemps entretenue d’une île « vide » ou « peu civilisée » avant la colonisation, rappelant que l’histoire des Antilles ne commence pas avec l’arrivée des Européens.

Un chantier touristique au cœur des débats

Le site concerné, au sud de Sainte-Anne, devait accueillir cinquante nouvelles chambres pour le Club Med, un projet reporté de près de deux ans en raison des fouilles archéologiques. Le conflit entre développement économique et préservation du patrimoine illustre la difficulté de concilier modernité et mémoire historique.

Pour de nombreux chercheurs et acteurs culturels locaux, cette situation pose une question éthique majeure : comment protéger et valoriser le patrimoine amérindien alors que le tourisme demeure une ressource économique essentielle pour l’île ?

Remise en question du récit colonial

Au-delà de l’archéologie, cette découverte invite à réfléchir sur la manière dont l’histoire des Antilles françaises a été écrite et transmise. Les vestiges amérindiens mettent en lumière une richesse culturelle souvent éclipsée par le récit colonial centré sur l’arrivée des Européens et l’esclavage.

En soulignant l’existence de sociétés autochtones complexes, les archéologues et historiens encouragent une réécriture plus équilibrée de l’histoire martiniquaise, intégrant les contributions et les modes de vie des peuples premiers de l’île.

Un enjeu identitaire et patrimonial

Cette découverte n’est pas seulement académique : elle touche directement à l’identité et à la mémoire collective. Dans un contexte où les débats sur la reconnaissance des cultures autochtones et la décolonisation des savoirs s’intensifient, ces vestiges deviennent un outil de réflexion et de dialogue pour la société martiniquaise.

Ils rappellent que la connaissance de l’histoire ne se limite pas aux archives coloniales, mais se nourrit également des traces matérielles laissées par ceux qui ont vécu sur l’île bien avant l’arrivée des Européens.

Celine Dou

Nubie préhistorique : que révèlent les squelettes féminins sur la division du travail et la vie sociale

Une étude récente publiée dans le Journal of Anthropological Archaeology et relayée par GEO.fr apporte un éclairage inédit sur la vie quotidienne dans la Nubie préhistorique, il y a environ 3 500 ans. Les chercheurs ont analysé les squelettes de femmes découverts dans la nécropole d’Abu Fatima, au Soudan, afin de mieux comprendre la division du travail et les pratiques physiques des sociétés Kerma, qui occupaient cette région stratégiquement située entre le Nil et le désert nubien.

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Les résultats sont particulièrement révélateurs : les os des femmes présentent des marques caractéristiques de portage de charges lourdes à l’aide de sangles frontales, dites « tumplines ». Ces marques se manifestent par des déformations au niveau des vertèbres cervicales et du crâne, indiquant que ces femmes exerçaient des tâches physiques soutenues sur une base quotidienne. Ce constat illustre que le travail féminin ne se limitait pas aux activités domestiques : il incluait des fonctions logistiques essentielles au fonctionnement des communautés, telles que le transport de matériaux ou de récoltes, probablement sur de longues distances.

Cette étude contredit les représentations traditionnelles de la préhistoire, centrées sur l’homme comme principal acteur des activités physiques et de subsistance. Elle met en évidence une organisation sociale où la division du travail était fonctionnelle, partagée et adaptée aux besoins collectifs, et où les femmes jouaient un rôle indispensable dans l’économie et la survie du groupe.

Au-delà de la dimension anthropologique, ces découvertes permettent de mieux comprendre la société Kerma dans son ensemble. La Nubie préhistorique, correspondant aujourd’hui au nord du Soudan et au sud de l’Égypte, était un carrefour de circulation culturelle et commerciale. Le rôle actif des femmes dans la vie quotidienne reflète non seulement la complexité sociale de cette civilisation, mais aussi les stratégies économiques qui ont permis à ces sociétés de prospérer dans un environnement exigeant.

Cette recherche illustre également l’importance de l’archéologie biologique : les corps conservent une mémoire silencieuse des activités et des rôles sociaux, souvent invisibles dans les sources matérielles traditionnelles. En reconnaissant la contribution physique et organisationnelle des femmes, cette étude contribue à une relecture des stéréotypes de genre dans l’histoire ancienne et à une meilleure compréhension de la diversité des expériences humaines au sein des sociétés africaines préhistoriques.

En conclusion, l’analyse des squelettes féminins d’Abu Fatima ne révèle pas seulement des pratiques corporelles : elle documente un aspect central de la vie sociale et économique de la Nubie préhistorique, en rappelant que l’histoire humaine doit être appréhendée dans sa complexité, en tenant compte de tous les acteurs, hommes et femmes, qui ont façonné les sociétés anciennes.

Celine Dou

Les îles Salomon et l’héritage explosif de la Seconde Guerre mondiale : quand la « guerre moderne » blesse les vivants pendant des siècles

Les plages et la jungle des îles Salomon portent encore les cicatrices matérielles d’une guerre qui s’est déroulée il y a plus de huit décennies. Mais ce ne sont pas seulement des monuments ou des ruines : ce sont des explosions qui n’ont pas eu lieu. Des obus, des grenades, des bombes et des sous-munitions, enfouis ou immergés depuis 1942–1945, continuent d’être découverts et parfois d’exploser faisant des morts, blessés et paralysant le développement. Ce phénomène n’est pas l’exception, il est la règle des conflits armés « modernes » : là où l’on a utilisé des engins explosifs, des générations futures paieront la facture.

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Une menace quotidienne, pas un vestige historique

Les opérations de déminage menées dans l’archipel notamment l’opération multinationale dite Operation Render Safe et les équipes locales de déminage ont permis d’éliminer des milliers d’engins ces dernières années. Pourtant, les ONG spécialisées et les autorités locales insistent : les découvertes restent fréquentes et imprévisibles. Des enfants ramènent parfois des grenades trouvées dans leurs jardins ; des chantiers se heurtent à des projectiles enterrés ; des pêcheurs récupèrent des munitions sous-marines en posant leurs filets. Ces scénarios montrent que l’UXO (Unexploded Ordnance munitions non explosées) n’est pas un patrimoine historique, mais un danger actif qui prive des communautés de terres, d’écoles et d’infrastructures.

Les guerres « modernes » laissent des pièges pour des siècles

L’expérience la plus documentée de ce phénomène vient d’autres régions le Laos, le Cambodge ou certaines parties de l’ex-Yougoslavie où les restes explosifs continuent d’entraver le développement rural et urbain, des décennies après la fin des hostilités. Les études montrent que l’impact n’est pas seulement humain : l’UXO réduit la superficie cultivable, ralentit l’accès à l’éducation (écoles fermées par crainte des engins), et freine la reconstruction économique. Dans de nombreux cas, il faudra des générations sinon des siècles pour mettre au jour et neutraliser l’ensemble des munitions dispersées par la guerre.

Les bombes à sous-munitions : produire la terreur à retardement

Au-delà des obus isolés, il existe des armes conçues précisément pour semer le danger à long terme. Les bombes à sous-munitions (cluster munitions) dispersent des dizaines, parfois des centaines, de petites charges des « bomblets » sur une large surface. Nombre d’entre elles n’explosent pas immédiatement et se comportent ensuite comme des mines antipersonnel, tuant et mutilant des civils longtemps après la fin des combats. C’est pourquoi la Convention sur les bombes à sous-munitions (2008) cherche à interdire leur production, leur transfert et leur usage. Malgré cela, un nombre non négligeable d’États et d’acteurs industriels continuent de produire ou de développer de telles munitions, ou revendiquent le droit de les produire, rendant fragile l’architecture internationale de protection humanitaire.

Qui fabrique encore ces armes ? La réalité géopolitique

Les rapports de suivi montrent que plusieurs États continuent de produire, d’acheter ou de réserver le droit d’utiliser des sous-munitions. La liste des pays producteurs et des acteurs étatiques qui n’ont pas adhéré à l’interdiction comprend des puissances régionales et des fabricants de l’industrie d’armement. Cette réalité a deux conséquences directes : d’une part, elle prolonge le risque d’emploi de ces armes sur des populations civiles ; d’autre part, elle fragilise les normes internationales qui tentaient depuis deux décennies d’éradiquer ces pratiques.

Coûts humains et sociaux : blessures, handicaps et stigmates

Les victimes d’UXO et de sous-munitions subissent souvent des mutilations graves (amputation, perte de vision), un traumatisme psychologique durable, et une marginalisation socio-économique. Les systèmes de santé locaux, déjà fragiles dans de nombreux pays touchés, peinent à fournir les soins chirurgicaux, la rééducation et l’accompagnement social nécessaires. À cela s’ajoute un coût collectif : familles privées d’un soutien économique, terres inutilisables, écoles et infrastructures remises en cause. Les ONG spécialisées rappellent qu’il ne suffit pas de détruire des munitions : il faut aussi assister les victimes sur le long terme.

Déminage : progrès technique, limites pratiques

Le progrès des techniques de détection et d’intervention (interventions EOD, plongées pour munitions sous-marines, cartographie par drones, coopération internationale) a permis d’accélérer l’élimination d’engins dans des zones jusqu’alors inaccessibles. Néanmoins, ces opérations sont coûteuses, dangereuses et longues. Les forêts denses, le littoral, les sols marécageux et l’étendue des surfaces contaminées multiplient les défis. Par ailleurs, la cartographie historique des champs de bataille est souvent lacunaire : sans archives fiables, les équipes doivent procéder par repérage terrain, ce qui retarde le travail et accroît les risques.

Responsabilité, prévention et normes internationales

Sur le plan juridique et moral, plusieurs questions persistantes : responsabilité des États producteurs, obligations de réparation envers les victimes et les États touchés, renforcement des conventions internationales (Convention sur les bombes à sous-munitions, Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel). Les reculs ou les hésitations récentes de certains gouvernements à ratifier ou à maintenir ces conventions fragilisent la prévention. Sans un engagement politique et financier durable des États et des industriels, la lutte contre les armes à impact à long terme restera incomplète.

Que faire ? Trois pistes concrètes

  1. Renforcer la coopération internationale : financer des programmes de dégagement, partager l’expertise technique et cartographier systématiquement les zones à risque. Les opérations multinationales comme Operation Render Safe montrent que la coopération produit des résultats, mais elle doit être soutenue et pérenne.
  2. Assistance aux victimes : prévoir des fonds pour soins, prothèses, réhabilitation psychologique et insertion socio-économique des blessés. La réponse humanitaire doit être globale et durable.
  3. Renforcer les normes et la transparence : pression diplomatique sur les producteurs et exportateurs de sous-munitions, suivi indépendant de l’application des conventions, et promotion de l’interdiction universelle. Les avancées techniques ne suffisent pas sans volonté politique.

Les îles Salomon sont un miroir local d’un problème global : les armes de l’ère moderne ne se contentent pas de frapper au moment des hostilités ; elles déposent des pièges pour les générations futures. Tant que la communauté internationale tolérera la production, le stockage et l’emploi d’armes laissant des résidus explosifs, des êtres innocents continueront d’en payer le prix. Déminer, soigner, prévenir, et imposer des normes contraignantes à la production de ces armes sont des impératifs éthiques et politiques non des options.

Celine Dou

Décès de Monique Pelletier : une pionnière des droits des femmes s’éteint à 99 ans

Ancienne ministre à la Condition féminine sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Monique Pelletier s’est éteinte le 19 octobre 2025 à l’âge de 99 ans. Figure marquante du combat pour les droits des femmes en France, elle laisse derrière elle un héritage juridique et politique qui continue d’influencer les débats contemporains sur l’égalité et la dignité humaine.

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Une femme de loi au service de la justice sociale

Née Monique Bédier à Trouville-sur-Mer en 1926, avocate de formation, elle s’impose dans les années 1970 comme une personnalité engagée, à la croisée du droit et de la politique. Sa carrière débute au barreau de Paris avant de la conduire dans les sphères du pouvoir. Nommée en 1978 ministre déléguée à la Condition féminine, elle devient l’une des rares femmes à occuper un poste ministériel sous la Ve République à cette époque.

Monique Pelletier s’emploie alors à transformer la condition féminine en cause d’État. Elle milite pour une meilleure reconnaissance du viol comme crime, défend la pérennisation de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse et œuvre pour la visibilité des femmes dans la vie publique.

Une ministre de conviction, pas de posture

Dans un monde politique encore largement masculin, Monique Pelletier refuse les compromis de façade. Elle s’attache à inscrire ses combats dans la loi plutôt que dans le slogan. En 1980, elle participe à la réforme qui reconnaît le viol comme un crime relevant de la cour d’assises une avancée majeure pour la justice française. Elle s’oppose à la banalisation des discriminations et plaide, tout au long de sa carrière, pour une égalité de traitement fondée sur la dignité et non sur la revendication partisane.

Elle rappelait souvent que la conquête des droits n’était pas une victoire acquise, mais un effort à poursuivre : « Les lois sont des outils. Elles ne valent que si les consciences suivent. » Cette lucidité, héritée de son expérience d’avocate, marquera durablement les générations de militantes venues après elle.

Du gouvernement au Conseil constitutionnel

Après son passage au gouvernement, Monique Pelletier poursuit son engagement au sein du Conseil constitutionnel de 2000 à 2004, où elle défend une lecture équilibrée des droits fondamentaux. Fidèle à ses principes, elle s’élève contre toute dérive idéologique dans l’interprétation du droit, estimant que « la justice n’a pas de sexe, mais elle a une exigence ».

Elle s’investit également dans la défense des personnes âgées et des personnes handicapées, considérant que la société devait son humanité à la manière dont elle traitait ses plus fragiles membres.

Un héritage qui dépasse son époque

La disparition de Monique Pelletier réveille un souvenir collectif : celui des années où la question féminine devenait un enjeu républicain. En plaçant la dignité des femmes au cœur du droit, elle a contribué à redéfinir les rapports sociaux dans une France en mutation.

Son parcours incarne cette génération de femmes d’État qui ont fait de l’engagement une discipline de rigueur et non une posture médiatique. À l’heure où le débat sur les droits des femmes continue de se heurter à des résistances culturelles ou idéologiques, son œuvre rappelle que la conquête de la liberté passe par la loi, mais aussi par la conscience morale d’une nation.

Celine Dou