En Guinée, de nombreuses familles recherchent depuis des années des jeunes disparus après leur départ sur les routes de la migration irrégulière. L’absence d’informations fiables, de reconnaissance officielle et de mécanismes institutionnels met en lumière une réalité humaine ignorée, avant de révéler les failles profondes d’un système national et international incapable de protéger les parcours migratoires.
Lire la suite: En Guinée, des familles sans nouvelles de jeunes partis en migration irrégulière, symptôme d’une crise sociale et politique durableUne disparition documentée, mais rarement reconnue
Le phénomène est désormais établi. En Guinée, des centaines, probablement des milliers de jeunes sont portés disparus après avoir quitté le pays dans l’espoir de rejoindre l’Afrique du Nord ou l’espace union-européen. Les familles, restées sans nouvelles, entreprennent des démarches informelles, s’appuient sur des réseaux communautaires ou sollicitent des organisations non gouvernementales pour tenter d’obtenir la moindre information sur le sort de leurs proches.
Les disparitions surviennent à différents stades du parcours migratoire. Certaines ont lieu lors de la traversée du désert, d’autres dans des centres de détention situés dans des pays de transit, d’autres encore lors des tentatives de traversée maritime. Dans la majorité des cas, aucune confirmation officielle de décès n’est transmise, aucun corps n’est identifié, et aucun document administratif ne permet d’établir un statut clair.
Des familles enfermées dans l’incertitude
Cette absence de certitude produit une situation singulière : les disparus ne sont ni considérés comme décédés, ni comme vivants. Pour les familles, cette ambiguïté interdit toute forme de clôture. L’attente devient permanente, alimentée par des rumeurs, des témoignages fragmentaires et parfois de fausses pistes.
Les proches vivent dans un espace social incertain, sans accompagnement institutionnel, sans reconnaissance juridique et sans soutien psychologique structuré. La disparition migratoire devient ainsi un fait domestique durable, intégré à la vie quotidienne sans jamais être réellement nommé par l’État.
Une migration massive ancrée dans la réalité guinéenne
Ces disparitions s’inscrivent dans un contexte de départ massif des jeunes. La Guinée est aujourd’hui l’un des principaux pays d’origine de la migration irrégulière en Afrique de l’Ouest. Ce mouvement résulte d’un enchevêtrement de facteurs économiques, sociaux et politiques : faiblesse du marché de l’emploi, perspectives limitées de mobilité sociale, sentiment de marginalisation de la jeunesse et défiance vis-à-vis des institutions publiques.
Dans ce cadre, la migration n’apparaît plus comme un choix individuel isolé, mais comme une trajectoire collective largement intégrée aux représentations sociales. Le risque de disparition, bien que connu, est souvent relégué au second plan face à l’absence d’alternatives crédibles.
Une opacité structurelle le long des routes migratoires
Les routes empruntées sont caractérisées par une absence quasi totale de traçabilité. Les décès ne sont pas systématiquement recensés, les centres de détention communiquent peu, et les mécanismes d’identification des corps restent largement insuffisants. Cette opacité rend les disparitions difficilement quantifiables et contribue à leur invisibilisation.
À cela s’ajoute une autre réalité, rarement prise en compte : certains migrants, bien que vivants, cessent volontairement toute communication. La précarité, la peur de l’échec ou la volonté de se soustraire au regard familial peuvent conduire à une rupture durable du lien, prolongeant l’incertitude des proches.
L’absence de réponse publique comme fait politique
Sur le plan institutionnel, la réponse demeure limitée. La Guinée ne dispose pas de dispositif national structuré pour le recensement des migrants disparus ni pour l’accompagnement de leurs familles. Les autorités reconnaissent le phénomène migratoire, mais peinent à assumer pleinement la question des disparitions, faute de données consolidées et de volonté politique claire.
Ce silence institutionnel n’est pas neutre. Il transforme une tragédie humaine en angle mort des politiques publiques et contribue à normaliser l’idée que certaines vies peuvent disparaître sans laisser de trace officielle.
Une responsabilité internationale diluée
Au-delà du cadre national, ces disparitions s’inscrivent dans un système migratoire international marqué par la fermeture progressive des voies légales et par l’externalisation du contrôle des frontières de l’Union européenne. En déplaçant les dispositifs de contrôle vers des pays de transit fragiles, les États européens participent à un environnement où la protection des personnes devient secondaire.
Les morts et les disparus ne sont alors plus des sujets politiques, mais des conséquences indirectes d’une stratégie sécuritaire qui privilégie la dissuasion à la gestion humaine des mobilités.
Une réalité humaine devenue révélateur systémique
En Guinée, la disparition de jeunes migrants n’est plus un fait marginal. Elle révèle une crise sociale profonde, un déficit de protection institutionnelle et une fracture durable entre une jeunesse en quête d’avenir et des structures incapables de l’offrir.
Tant que l’information factuelle sur ces disparitions ne sera pas pleinement reconnue et intégrée dans les politiques publiques, l’analyse restera vaine. Or c’est précisément cette reconnaissance qui conditionne toute réponse durable, nationale comme internationale.
Celine Dou, pour la boussole-infos