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Présidentielle au Chili : un second tour entre gauche et extrême droite sous tension

Le Chili se prépare à un second tour présidentiel qui oppose deux visions radicalement différentes de la société. Après un premier tour serré, Jeannette Jara, candidate de gauche, devance de peu José Antonio Kast, figure de l’extrême droite nostalgique de la dictature de Pinochet. Cette confrontation reflète une polarisation profonde, où sécurité, immigration et mémoire historique cristallisent les tensions sociales et politiques du pays.

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Le premier tour a placé Jeannette Jara en tête avec environ vingt-sept pour cent des voix, devant José Antonio Kast avec vingt-quatre pour cent. La marge étroite souligne la fracture idéologique qui traverse le Chili. Jeannette Jara, membre du Parti communiste chilien et ancienne ministre du Travail, porte un programme social ambitieux, axé sur l’inclusion et la justice économique. Son défi sera de séduire les électeurs modérés pour élargir sa base et l’emporter au second tour. José Antonio Kast, leader du Parti républicain, incarne une droite radicale et ultraconservatrice, défendant des positions fermes sur la sécurité, l’immigration et les valeurs traditionnelles.

Kast est souvent présenté comme un nostalgique de la dictature de Pinochet, ce qui accentue les inquiétudes sur un possible retour à des politiques autoritaires. Son programme repose sur le renforcement de la police et de l’armée pour lutter vigoureusement contre la criminalité, ainsi que sur des mesures strictes envers les migrants irréguliers, notamment vénézuéliens, comprenant expulsions et infrastructures frontalières. Il défend également un ordre social conservateur en s’opposant à l’avortement et au mariage homosexuel. Cette posture lui assure un soutien important parmi l’électorat conservateur, tout en suscitant des préoccupations quant au respect des droits fondamentaux et des libertés publiques.

Le second tour, prévu pour le 14 décembre, sera décisif pour l’orientation future du Chili. Les reports de voix en faveur de Kast pourraient consolider sa position, tandis que Jara devra mobiliser et séduire les électeurs modérés et de gauche pour compenser cette dynamique. Ce scrutin met en évidence la polarisation sociale et idéologique qui divise profondément le pays, où les visions d’une société inclusive et progressiste s’opposent à un projet conservateur autoritaire.

La mémoire de la dictature militaire reste un enjeu central dans le débat politique. Le retour possible d’un candidat nostalgique de Pinochet questionne la résilience démocratique du Chili et la capacité des institutions à préserver les libertés publiques. L’immigration et la perception de l’insécurité servent de leviers électoraux puissants, révélant à la fois des inquiétudes sociales réelles et des perceptions amplifiées par les discours politiques. Cette configuration traduit la polarisation croissante et la fracture idéologique qui traverse la société chilienne.

Le second tour oppose ainsi deux visions de société radicalement opposées. D’un côté, l’inclusion sociale et les droits progressistes portés par Jeannette Jara, de l’autre, l’autoritarisme conservateur de José Antonio Kast, marqué par une nostalgie de la dictature. L’issue du scrutin aura des conséquences non seulement politiques, mais également sociales et symboliques, déterminant l’orientation du Chili pour les années à venir.

Celine Dou

Touristes de la guerre : l’Italie enquête, près de trente ans après, sur des tirs payants contre civils à Sarajevo, que révèle vraiment ce retour du passé ?

Près de trois décennies après la fin du siège de Sarajevo, la justice italienne rouvre un dossier glaçant : celui de ressortissants européens qui auraient payé entre 80 000 et 100 000 euros pour tirer sur des civils bosniens pendant la guerre. Au-delà du choc moral, ce surgissement tardif interroge notre rapport à la mémoire, aux responsabilités et à la marchandisation de la violence.

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Une enquête italienne déclenchée par des accusations d’une rare gravité

Le parquet de Milan a ouvert une enquête pour homicide volontaire aggravé par cruauté et motifs abjects après la plainte du journaliste Ezio Gavazzeni.
Selon son dossier, des citoyens italiens et d’autres Européens auraient participé, entre 1993 et 1995, à ce que des témoins décrivent comme des “safaris humains” : des expéditions organisées avec les milices serbes bosniaques pour permettre à des étrangers de tirer depuis les hauteurs de Sarajevo sur des passants, des femmes, des personnes âgées, voire des enfants.

Les candidats à cette macabre activité seraient partis de Trieste, transitant par Belgrade, avant d’être conduits vers les positions de tir contrôlées par les forces serbes.

Plusieurs témoins évoquent l’existence d’une tarification des victimes, avec, selon les témoignages, des montants variables selon la “cible”. Une marchandisation de la violence qui choque encore aujourd’hui par son cynisme absolu.

Des témoignages anciens, mais une prise en compte tardive

Si cette affaire ressurgit aujourd’hui, c’est en grande partie grâce au documentaire Sarajevo Safari (2022), qui compilait déjà des témoignages d’anciens combattants confirmant l’existence de ces “touristes de la guerre”.

Ces témoignages, ignorés ou minimisés à l’époque, refont désormais surface dans un contexte politique et mémoriel où l’Europe questionne de plus en plus les impunités restées en suspens depuis la dissolution de la Yougoslavie.

À cela s’ajoutent des éléments issus des services de renseignement bosniaques de l’époque, affirmant que de tels individus avaient effectivement été repérés près des lignes de front.
Mais l’enquête devra établir ce qui relève du fait établi, du récit traumatique ou de la reconstruction a posteriori.

Un retour sur Sarajevo : une ville transformée en cible

Entre 1992 et 1996, Sarajevo a vécu le siège le plus long de l’histoire contemporaine européenne.
Plus de 11 000 civils ont péri sous les bombardements et les tirs de snipers.
Certaines zones, comme la tristement célèbre “Sniper Alley”, étaient devenues impraticables pour les habitants, obligés de courir sous les balles pour rejoindre leur travail ou acheter du pain.

Dans ce contexte de violence permanente, la possibilité que des étrangers fortunés aient été accueillis pour s’exercer au tir sur des innocents révèle une dimension encore plus sombre du conflit : la transformation de la mort en spectacle payant.

Analyse : un scandale qui dépasse la Bosnie et interroge l’Occident

1. Une banalisation extrême de la violence

Si les faits sont confirmés, ils révèlent la manière dont la guerre peut devenir un espace de “consommation”, où le meurtre est réduit à une expérience.
Cette logique rappelle les pires dérives du voyeurisme contemporain : franchir la frontière entre regarder la violence et y participer.

2. Le retour du refoulé européen

Que ces accusations émergent aujourd’hui n’est pas anodin.
L’Europe vit une période de tension mémorielle : montée des extrêmes, troubles identitaires, banalisation de la violence politique.
Ces révélations obligent l’Occident à affronter une réalité qu’il a longtemps reléguée : il n’a pas seulement été spectateur du conflit bosniaque certains de ses citoyens auraient participé aux crimes.

3. L’impossible fermeture de la page yougoslave

Presque trente ans après, de nouveaux dossiers surgissent encore.
Les crimes restés sans enquête montrent que la guerre a été plus complexe, plus opaque, et peut-être encore incomplètement comprise.
La justice italienne, en rouvrant ce dossier, dit implicitement : le passé ne passe pas.

4. Une crise éthique sur le rapport aux armes et au pouvoir

Cette affaire questionne aussi une culture européenne marginale mais réelle : celle des amateurs d’armes, souvent issus de milieux ultranationalistes ou survivalistes, prêts à payer pour vivre une expérience de domination violente.
Le phénomène n’a pas disparu il se recompose aujourd’hui sur d’autres terrains, parfois numériques.

Une enquête encore fragile, mais politiquement explosive

Il faut rester prudent :

  • aucun suspect n’a encore été nommément identifié ;
  • certains anciens combattants serbes parlent d’“exagérations” ;
  • la reconstitution des faits, trente ans après, reste difficile.

Mais l’impact symbolique est déjà immense.
En Italie, plusieurs associations demandent un élargissement de l’enquête à d’autres pays européens.
En Bosnie, des responsables politiques dénoncent une “vérité que l’Europe a longtemps refusé de voir”.

Une affaire qui oblige l’Europe à regarder dans le miroir

Si les “safaris humains” de Sarajevo sont confirmés, ils constitueront l’un des épisodes les plus sordides de la guerre de Bosnie et l’un des scandales moraux les plus accablants pour l’Occident depuis la fin du XXᵉ siècle.

Mais au-delà de la confirmation judiciaire, cette affaire rappelle une vérité essentielle :
les guerres ne dévoilent pas seulement la barbarie des armées elles révèlent aussi les ombres de ceux qui en profitent.

Celine Dou

Israël : limogeage et arrestation de la procureure militaire Yifat Tomer-Yerushalmi, symptôme d’une dérive politique en temps de guerre

Le limogeage brutal et l’arrestation de la procureure militaire en chef d’Israël, Yifat Tomer-Yerushalmi, après l’ouverture d’une enquête sur des violences commises par des soldats à Sdé Teman, exposent les tensions croissantes entre justice et pouvoir politique. Au-delà de l’épisode individuel, cette affaire révèle comment la guerre redessine les rapports entre institutions militaires, magistrature et exécutif, cristallisant une dérive autoritaire inquiétante.

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I. Une procureure limogée et arrêtée

Tout commence avec la diffusion d’une vidéo controversée à la base militaire de Sdé Teman, montrant des détenus palestiniens menottés, nus et maltraités par des soldats israéliens.
La procureure militaire en chef, Yifat Tomer-Yerushalmi, ordonne une enquête interne. Cette initiative, perçue comme un acte de probité, déclenche immédiatement la colère du ministre Israël Katz, qui la qualifie de « trahison » envers l’armée.

Le 3 novembre, Tomer-Yerushalmi est limogée, et quelques jours plus tard, la police israélienne annonce son arrestation pour « refus de se présenter aux convocations ». Cette suite d’événements exceptionnels marque un précédent inédit dans l’histoire militaire israélienne.

II. Une justice militaire fragilisée

L’affaire met en lumière les failles structurelles de la justice militaire israélienne, censée encadrer légalement les opérations de Tsahal.
Dans la pratique, celle-ci est soumise à des pressions politiques constantes, et la volonté d’indépendance de magistrats comme Tomer-Yerushalmi devient rapidement incompatible avec les impératifs de loyauté envers le pouvoir civil.

Le limogeage et l’arrestation traduisent une réalité inquiétante : la justice militaire ne peut plus agir comme arbitre autonome, mais devient un instrument de contrôle politique.

III. Le contexte de guerre et la légitimation de l’exception

Depuis le début de la guerre contre le Hamas, en octobre 2023, Israël fonctionne sous un régime d’urgence permanente, où toute contestation interne est perçue comme une menace pour la sécurité nationale.
La décision de sanctionner une procureure qui applique la loi s’inscrit dans une logique de priorité à la raison d’État sur la légalité.

Cette normalisation de l’exception a pour effet de redéfinir les limites du droit et de transformer les institutions : la justice militaire devient un outil de légitimation politique plus qu’un cadre impartial.

IV. Enjeux internationaux et perception extérieure

L’arrestation de Tomer-Yerushalmi n’a pas seulement un impact interne. Elle alimente les critiques internationales sur la dérive démocratique d’Israël, déjà surveillée par la Cour pénale internationale et plusieurs ONG.
Les organisations de défense des droits humains dénoncent une atteinte à l’indépendance judiciaire et mettent en garde contre une erosion durable de l’État de droit, susceptible de fragiliser l’image et la crédibilité israéliennes auprès des alliés occidentaux.

V. Une démocratie en tension

L’affaire Yifat Tomer-Yerushalmi dépasse le cadre individuel. Elle symbolise la tension entre droit et sécurité, et met en évidence une transformation structurelle :

  • La justice militaire, jadis arbitre, devient instrument de contrôle.
  • Le pouvoir politique, justifiant ses actions par la guerre, redéfinit les priorités institutionnelles.
  • La démocratie israélienne est confrontée à un dilemme universel : comment préserver l’État de droit sous l’emprise de la guerre ?

Cette combinaison de crise institutionnelle et de dérive politique illustre la manière dont un État en conflit peut reconfigurer ses équilibres internes, avec des conséquences durables sur sa légitimité nationale et internationale.

Celine Dou – La Boussole infos

Cambodge : La face cachée des arnaques en ligne; Quand des Sud-Coréens deviennent esclaves numériques

Au Cambodge, des milliers de Sud-Coréens sont victimes d’escroqueries en ligne orchestrées par des réseaux criminels internationaux. Séquestrés, exploités et parfois contraints à la fraude, ils risquent des poursuites judiciaires dans leur pays d’origine. Une analyse géopolitique et sociale de ce phénomène inquiétant.

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Dans les quartiers animés de Phnom Penh, entre les hôtels aux façades clinquantes et les enseignes en chinois, se cache une réalité sordide. Des milliers de Sud-Coréens, attirés par des promesses d’emplois alléchants, se retrouvent piégés dans des centres d’escroquerie en ligne. Sous la menace de violences physiques et psychologiques, ils sont contraints de participer à des fraudes numériques, souvent sans possibilité d’évasion.

Une exploitation numérique transnationale

Les autorités cambodgiennes estiment que plus de 3 400 personnes, originaires de 20 pays différents, ont été victimes de ces réseaux criminels. Bien que la majorité aient été identifiées comme victimes et expulsées, 75 suspects ont été formellement inculpés. Les opérations criminelles, souvent dirigées par des organisations mafieuses chinoises, génèrent des milliards de dollars annuellement.

Pour les victimes sud-coréennes, la situation est d’autant plus complexe. Si elles parviennent à s’échapper, elles risquent des poursuites judiciaires dans leur pays d’origine, les considérant parfois comme complices de ces arnaques. Cette double peine exploitation au Cambodge et persécution en Corée du Sud souligne la gravité de la situation.

Une coopération internationale nécessaire

Face à cette crise, la coopération entre le Cambodge et la Corée du Sud est essentielle. Des interdictions de voyage ont été imposées dans certaines régions du Cambodge, et des efforts sont déployés pour démanteler ces réseaux criminels. Cependant, la complexité de ces organisations, souvent transnationales, rend leur éradication difficile.

Il est impératif que la communauté internationale renforce ses efforts pour lutter contre ces réseaux de cybercriminalité et protéger les individus vulnérables exploités dans ces systèmes.

Les arnaques en ligne au Cambodge ne sont pas seulement un problème local, mais un défi mondial. Elles illustrent les dangers de la mondialisation numérique et la nécessité d’une vigilance accrue face aux nouvelles formes d’exploitation. Il est crucial de sensibiliser le public, de renforcer les législations et de promouvoir une coopération internationale pour éradiquer ces pratiques inhumaines.

Celine Dou

Hiroshima (Japon) se souvient des travailleurs chinois forcés : mémoire, justice historique et enjeux bilatéraux

Dans la préfecture d’Hiroshima, une cérémonie a récemment été organisée pour rendre hommage aux travailleurs chinois contraints de travailler pour l’industrie japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, dont certains furent exposés à la bombe atomique en août 1945. Cet événement n’est pas un simple acte commémoratif : il soulève des questions de mémoire collective, de justice historique et de relations diplomatiques entre le Japon et la Chine.

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de Chinois furent envoyés de force au Japon pour travailler dans les mines, les usines et les ports, souvent dans des conditions extrêmement difficiles. Certains d’entre eux se trouvaient dans les zones touchées par la bombe atomique d’Hiroshima, exposés à des radiations et à des pertes humaines massives.

Ces expériences traumatiques ont laissé des traces profondes sur les familles et les communautés en Chine. La reconnaissance de ce passé est donc essentielle pour honorer la mémoire des victimes et prévenir l’oubli historique.

La cérémonie a rassemblé autorités locales, représentants de la société civile et descendants des travailleurs forcés. Les discours ont mis l’accent sur la souffrance subie, la résilience des victimes et l’importance de préserver la mémoire pour les générations futures.

Ces commémorations contribuent à :

  • Renforcer la cohésion sociale au Japon en confrontant la société à son passé,
  • Reconnaître officiellement la souffrance des victimes et leur contribution,
  • Construire une mémoire partagée, un élément fondamental pour le dialogue interculturel et la réconciliation.

Les commémorations comme celle d’Hiroshima jouent également un rôle diplomatique. Les relations entre le Japon et la Chine ont souvent été marquées par les tensions liées au passé militariste et aux questions de réparations.

En rappelant les injustices subies par les travailleurs chinois, le Japon montre une volonté de reconnaissance symbolique, pouvant apaiser certaines tensions historiques. Cependant, les attentes de la Chine concernant réparations et gestes officiels restent un sujet sensible, influençant les discussions bilatérales et la coopération régionale en Asie de l’Est.

Au-delà de la mémoire, le sujet des réparations et de la reconnaissance officielle reste complexe. Si certaines mesures symboliques ont été prises par le gouvernement japonais, elles sont perçues comme insuffisantes par certaines associations et familles de victimes.

Le défi consiste à trouver un équilibre entre justice historique, mémoire sociale et pragmatisme diplomatique, afin de transformer la mémoire en outil de cohésion et non en source de conflits.

La cérémonie d’Hiroshima rappelle que la mémoire historique n’est pas seulement un devoir du passé : elle façonne les relations sociales et diplomatiques du présent.
En reconnaissant les souffrances des travailleurs chinois, le Japon contribue à :

  • la cohésion interne de sa société,
  • la construction d’une mémoire partagée avec la Chine,
  • la réflexion sur les mécanismes de justice historique et de réparation.

La mémoire, lorsqu’elle est soigneusement entretenue, devient un outil de prévention des injustices futures et un levier de dialogue international, rappelant que le passé, quand il est confronté avec honnêteté, éclaire le chemin vers un futur plus juste.

Celine Dou

Iran : la loi sur l’espionnage menace la liberté d’expression et interpelle la communauté internationale

Le Parlement iranien a adopté une nouvelle loi sur l’espionnage qui prévoit la peine de mort pour certaines publications jugées « criminelles » sur les réseaux sociaux. Cette législation suscite de vives inquiétudes sur la répression de la liberté d’expression et les risques d’exécutions arbitraires dans le pays.

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Adoptée en juin 2025, cette loi vise à renforcer les sanctions contre toute personne accusée de « coopération avec des gouvernements hostiles », notamment Israël et les États‑Unis d’Amérique. Les amendements introduisent la possibilité de qualifier ces actes de « corruption sur terre » (efsad fel-arz), une infraction passible de la peine capitale dans le droit iranien.

Par ailleurs, la loi englobe la propagande ou toute activité en ligne jugée « hostile » ou portant atteinte à la « sécurité nationale », ouvrant la voie à des condamnations lourdes, incluant la prison à vie et la peine de mort.

Cette législation menace directement les journalistes, activistes, défenseurs des droits humains et internautes, qui risquent d’être accusés d’espionnage ou de « corruption sur terre » pour des activités pourtant pacifiques. Amnesty International et plusieurs ONG ont alerté sur le risque de procès arbitraires et de tortures dans les prisons iraniennes, notamment à Evin, où sont détenus de nombreux journalistes et opposants politiques.

Les minorités ethniques et religieuses, ainsi que la jeunesse connectée aux réseaux sociaux, apparaissent particulièrement vulnérables. L’autocensure se généralise, freinant la circulation de l’information et les débats critiques dans la société civile.

Cette loi s’inscrit dans un contexte de tensions régionales et internationales. Les récentes frappes israéliennes et les accusations d’espionnage à l’encontre de citoyens iraniens ont été suivies d’une vague d’arrestations. Le gouvernement iranien justifie sa législation comme une mesure de « protection nationale », mais celle-ci s’aligne également sur un contrôle renforcé de l’opinion publique, limitant la contestation interne.

Pour la communauté internationale, ce texte constitue un signal préoccupant sur le respect des droits fondamentaux et des engagements internationaux de l’Iran, notamment en matière de libertés civiles et de procès équitables.

Au-delà de l’Iran, cette loi soulève des questions sur la manière dont les régimes peuvent instrumentaliser des accusations d’espionnage pour restreindre la liberté d’expression. Elle illustre le risque de criminalisation des voix dissidentes, particulièrement dans un monde où l’information circule rapidement et globalement.

Elle souligne également l’importance du suivi international : sanctions ciblées, pressions diplomatiques et soutien aux journalistes et défenseurs des droits humains sont essentiels pour prévenir les abus et protéger les libertés fondamentales.

La loi iranienne sur l’espionnage n’est pas seulement une question interne : elle résonne comme un avertissement sur les limites de la liberté d’expression dans un régime autoritaire. En restreignant le droit de parole et en menaçant la vie des citoyens pour leurs opinions, l’Iran confronte la communauté internationale à un dilemme : comment défendre les droits humains face à des textes législatifs qui transforment la parole en crime.

Celine Dou

Madagascar : la soif d’eau au cœur du soulèvement et du coup d’État

Depuis la fin septembre 2025, Madagascar est secoué par une mobilisation inédite de sa jeunesse, dont les revendications dépassent les simples frustrations quotidiennes pour dénoncer un dysfonctionnement chronique de l’État. Au centre du mécontentement : l’accès à l’eau, ressource vitale absente pour près de la moitié des Malgaches, particulièrement dans le Grand Sud frappé par des sécheresses répétées. Ce déficit structurel a cristallisé les tensions et précipité le coup d’État militaire de mi-octobre

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I. Une crise de l’eau persistante

La moitié de la population malgache n’a pas accès à l’eau courante. Selon l’ONU, plus de 57 % des habitants n’ont pas de source d’eau améliorée, et dans les zones rurales, un quart de la population manque d’eau potable fiable. À Antananarivo, la capitale, les coupures d’eau et d’électricité sont fréquentes, révélant des infrastructures vieillissantes et une gestion déficiente.

Dans le Grand Sud régions d’Anosy, Androy et Atsimo Andrefa les sécheresses répétées fragilisent les récoltes et compromettent la survie quotidienne. L’eau de pluie et les camions-citernes deviennent des sources vitales, et la revente d’eau s’impose pour beaucoup comme un filet de survie.

II. Une jeunesse confrontée à la privation

Le mouvement « Gen Z Madagascar », principalement composé de jeunes, a émergé fin septembre pour dénoncer ces pénuries chroniques. Les manifestations ont été violemment réprimées, faisant au moins 22 morts et plus de 100 blessés, selon l’ONU.

Pour ces jeunes, l’eau n’est pas un simple besoin matériel : elle est le révélateur d’un État incapable d’assurer les services essentiels. Le temps passé à chercher de l’eau, souvent par les femmes et les enfants, et la nécessité de recourir à sa revente traduisent une frustration quotidienne profonde. Cette colère a cristallisé un mouvement de contestation plus large, ciblant la corruption et les faiblesses structurelles du gouvernement.

III. La fracture politique et le coup d’État

Le 11 octobre 2025, une unité d’élite de l’armée, le Capsat, a refusé d’obéir aux ordres, marquant un tournant dans la crise. Le président Andry Rajoelina a été destitué par le Parlement, et le 14 octobre, le colonel Michael Randrianirina a annoncé la prise du pouvoir, promettant une transition civile de 18 à 24 mois.

Ce coup d’État ne peut se comprendre uniquement comme une manœuvre militaire. Il est la conséquence directe de frustrations accumulées, où la question de l’accès à l’eau, révélatrice d’une gouvernance déficiente, a joué un rôle central. La population, en particulier la jeunesse, a exprimé à travers cette crise une exigence de responsabilité et de résultats tangibles.

IV. Conséquences socio-économiques et humanitaires

La crise de l’eau touche particulièrement les populations vulnérables. Les maladies liées à l’eau insalubre restent une cause majeure de mortalité infantile. La revente d’eau dans les quartiers pauvres est devenue un moyen de survie mais expose les familles à des risques économiques et sanitaires.

Dans le Grand Sud, les sécheresses répétées affectent également les récoltes et la sécurité alimentaire, accentuant la précarité des ménages et le sentiment d’abandon par l’État.

V. Perspectives et enjeux

Le coup d’État a suscité des réactions internationales, notamment de l’Union africaine et des Nations unies, qui appellent au rétablissement de l’ordre constitutionnel. Pour les Malgaches, en particulier les jeunes, ce bouleversement politique est perçu comme une opportunité de réforme, avec l’espoir d’une meilleure gouvernance et d’un accès effectif aux services essentiels, à commencer par l’eau.

L’avenir de Madagascar dépendra de la capacité des autorités de transition à traiter les causes profondes de la crise, et non seulement ses manifestations visibles. L’eau, ressource vitale, en est le symbole et le révélateur.

Celine Dou

PRIX NOBEL DE LA PAIX 2025 – María Corina Machado, symbole de la résistance démocratique au Venezuela

Le Comité Nobel norvégien a décerné, ce 10 octobre 2025, le prix Nobel de la paix à María Corina Machado, figure de proue de l’opposition vénézuélienne. Ce choix récompense, selon l’institution d’Oslo, « son combat infatigable pour les droits démocratiques du peuple vénézuélien » et « sa détermination à promouvoir une transition pacifique et juste vers la démocratie ».

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Cette distinction, éminemment politique, éclaire d’un jour nouveau la longue lutte d’une femme devenue le visage d’un pays en quête de liberté.

Née en 1967 à Caracas, María Corina Machado est ingénieure de formation, mais c’est sur le terrain politique qu’elle s’est imposée comme l’une des voix les plus déterminées du Venezuela moderne.
Dès les années 1990, elle fonde la Fondation Atenea, dédiée aux enfants des rues. Mais c’est surtout son engagement à travers Súmate, une organisation citoyenne créée en 2002 pour surveiller les processus électoraux, qui la propulse au premier plan de la vie publique. L’organisation milite pour la transparence des scrutins et l’alternance démocratique dans un pays progressivement verrouillé par le pouvoir chaviste.

Élue députée en 2010, elle est exclue quatre ans plus tard de l’Assemblée nationale après avoir dénoncé la dérive autoritaire du régime. Cette éviction n’a fait que renforcer sa stature de résistante. Cible de poursuites judiciaires, menacée, parfois assignée à résidence, María Corina Machado n’a jamais quitté le Venezuela choix symbolique pour une opposante qui se veut la voix du peuple resté au pays.

En 2023, alors que le Venezuela s’enfonce dans la crise politique et économique, elle se déclare candidate à la présidentielle de 2024. Mais le régime de Nicolás Maduro l’écarte du scrutin par une série d’interdictions administratives. Refusant de céder, elle soutient Edmundo González Urrutia, candidat de substitution, pour ne pas rompre l’élan de la mobilisation populaire.

Son combat dépasse aujourd’hui la simple rivalité politique : il s’agit, pour beaucoup de Vénézuéliens, d’un combat moral et civique pour la dignité, la vérité et le droit du peuple à choisir librement ses dirigeants. Le Comité Nobel a salué « son courage exceptionnel et sa foi en la non-violence », alors même que son pays traverse l’une des plus graves crises humanitaires du continent américain.

L’attribution du Nobel à María Corina Machado a une portée géopolitique évidente. Elle rappelle que les luttes pour la démocratie, dans les pays autoritaires, restent au cœur des préoccupations internationales, malgré la lassitude de certaines puissances.

Elle résonne aussi comme un avertissement à ceux qui, dans le monde, confondent stabilité et oppression. Dans un contexte global marqué par le recul des libertés, ce prix semble redonner souffle à la notion de responsabilité civique : défendre la démocratie n’est pas un luxe occidental, mais une exigence universelle.

Le parcours de María Corina Machado trouve un écho particulier dans de nombreux pays où la démocratie reste fragile. Pour l’Afrique, où plusieurs nations affrontent des transitions politiques incertaines, son exemple illustre la force d’une résistance pacifique enracinée dans la société civile.

Le message d’Oslo est clair : la paix durable ne peut exister sans justice, ni sans institutions légitimes. En ce sens, le Nobel 2025 s’inscrit dans une tradition où le courage individuel devient levier de changement collectif.

Au-delà des débats politiques, cette distinction consacre une vision de la paix fondée sur la vérité et la persévérance. María Corina Machado, souvent présentée comme « la dame de fer du Venezuela », incarne une conviction rare : celle que la liberté n’a de valeur que lorsqu’elle est partagée.

Le 10 décembre prochain, lorsqu’elle recevra son prix à Oslo, ce sera moins une victoire personnelle qu’un hommage rendu à tout un peuple en quête de lumière.

Celine Dou

CROYANCES DÉVOYÉES, JUSTICE RÉAFFIRMÉE : QUAND LE SACRÉ DEVIENT PRÉTEXTE À MANIPULATION OU À PERSÉCUTION

Deux affaires récentes, survenues en Italie et en Algérie, illustrent de manière saisissante la manière dont certaines formes de religiosité populaire peuvent dériver vers la fraude ou la violence. L’une met en scène une pseudo-voyante italienne organisant de faux miracles ; l’autre, une femme franco-algérienne agressée pour avoir simplement lu le Coran en public. Dans les deux cas, c’est la justice civile ou ecclésiastique qui a dû rétablir les faits. Analyse d’un double symptôme de notre époque.

EN ITALIE, LA FABRICATION CYNIQUE DU MIRACLE

L’affaire a suscité autant de ferveur que de trouble. Pendant plusieurs mois, à Trevignano Romano, au nord de Rome, une femme connue sous le nom de Gisella Cardia (de son vrai nom Maria Giuseppa Scarpulla) affirmait recevoir des apparitions mariales. Elle organisait des rassemblements devant une statue de la Vierge censée pleurer du sang, affirmait porter des stigmates, et prétendait même avoir assisté à des « multiplications » de pizzas et de gnocchi.

Les analyses scientifiques ont depuis balayé la mystification : les prétendues larmes de sang provenaient de Gisella Cardia elle-même, comme l’ont confirmé les tests ADN. Le Vatican, par le biais du diocèse de Civita Castellana, a conclu à l’absence totale de caractère surnaturel. Une enquête judiciaire est en cours pour escroquerie, la « voyante » ayant fondé une association qui récoltait des dons auprès de fidèles crédules.

Loin d’un simple folklore religieux, cette affaire révèle une instrumentalisation consciente de la foi, avec des techniques de manipulation émotionnelle proches de celles observées dans certaines sectes. Elle témoigne aussi d’une vulnérabilité persistante à la mise en scène religieuse dès lors qu’elle répond à un besoin collectif de réconfort ou de merveilleux.

EN ALGÉRIE, LA VIOLENCE NÉE DE LA SUSPICION

À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la ville algérienne d’El Eulma, une femme franco-algérienne a été victime d’un déchaînement d’hostilité fondé sur une lecture erronée du religieux. Assise près d’une piscine, vêtue d’un niqab, elle lisait des versets du Coran, accompagnés de traductions personnelles en français. Des passants, croyant à des pratiques occultes ou de sorcellerie, l’ont entourée, insultée, filmée, et lui ont arraché son voile. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention tardive des autorités.

Loin d’être isolée, cette agression révèle un climat social où les amalgames entre pratique religieuse, méconnaissance linguistique et superstition peuvent générer des actes de violence injustifiés. La justice algérienne a toutefois agi avec fermeté : huit individus ont été condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans de prison ferme, assorties d’amendes.

La victime, profondément marquée, a renoncé à des dommages financiers, ne demandant qu’un dinar symbolique. Un choix qui souligne à la fois sa dignité et sa volonté de ne pas attiser davantage les tensions.

ENTRE FOI POPULAIRE ET DÉRIVES CONTEMPORAINES

Ces deux cas, bien que distincts dans leur nature, révèlent un même trouble : la place de la croyance dans des sociétés en perte de repères rationnels. En Italie comme en Algérie, le sacré devient l’écran de projections sociales multiples : attente de miracle dans un monde désenchanté, peur de l’irrationnel, suspicion de l’Autre, confusion entre foi et magie.

Ils montrent aussi la manière dont certaines figures féminines voyante charismatique ou femme pieuse peuvent cristalliser, à tort ou à raison, les tensions religieuses et symboliques. Dans les deux cas, ce sont des femmes qui se trouvent au cœur de l’événement, l’une manipulatrice, l’autre victime.

LA JUSTICE COMME DIGUE CONTRE L’OBSCURANTISME

Heureusement, les deux systèmes judiciaires italien et algérien ont joué leur rôle. L’Église catholique a su, malgré la pression médiatique, rejeter le caractère surnaturel des faits de Trevignano. La justice algérienne, quant à elle, a sanctionné une chasse aux sorcières moderne, confirmant que nul ne peut se faire justicier au nom d’une interprétation personnelle du sacré.

Ces affaires rappellent l’importance, pour toute société, de séparer clairement ce qui relève du religieux, du juridique et du fantasme. Elles montrent aussi la nécessité d’une éducation religieuse rigoureuse, et d’un enseignement critique, pour prévenir tant la manipulation que la persécution.

UNE ÉPOQUE AVIDE DE SENS, MAIS VULNÉRABLE

Il serait tentant de lire ces histoires comme des anomalies. Elles sont, au contraire, des symptômes. Symptomatiques d’un besoin collectif de sens, dans un monde traversé par l’incertitude, la précarité et le désenchantement. Mais ce besoin, mal canalisé, devient le terreau de toutes les dérives.

En cela, le travail des institutions religieuses, éducatives, judiciaires et médiatiques reste crucial : pour protéger, instruire, démystifier. Car si la foi peut inspirer, elle ne doit jamais justifier la fraude ni la violence

Chypre occupée : la guerre contre la mémoire religieuse

Profanation des églises, disparition d’icônes sacrées, transformation des lieux saints en écuries ou entrepôts : 51 ans après l’invasion turque, une campagne d’effacement systématique du patrimoine chypriote grec interpelle l’Union européenne sur ses responsabilités mémorielles et culturelles.

Il ne s’agit pas d’un simple différend territorial. Ni d’une querelle religieuse secondaire. Cinquante-et-un ans après l’invasion militaire du nord de Chypre par la Turquie, les chiffres révélés lors d’une conférence organisée au Parlement européen à Bruxelles, le 1er juillet 2025, témoignent d’une stratégie plus profonde : l’effacement méthodique de la mémoire chrétienne orthodoxe dans les territoires occupés.

À l’initiative du député chypriote Michális Hadjipantela (PPE), la conférence a dressé un constat alarmant : destruction, transformation ou abandon massif des lieux de culte orthodoxes dans la partie nord de l’île. Le métropolite Basile de Constantia et Famagouste, l’une des voix spirituelles les plus autorisées sur ce dossier, a dénoncé une politique de profanation organisée, appuyée par des chiffres concrets :

  • 25 églises détruites ou gravement endommagées,
  • 24 converties en entrepôts,
  • 17 en écuries,
  • 16 transformées en mosquées,
  • 21 rasées.

À cela s’ajoute le pillage systématique d’objets liturgiques, la disparition d’icônes anciennes et la profanation de nombreux cimetières chrétiens.

L’enjeu dépasse les lieux eux-mêmes : il concerne la mémoire, la continuité historique et le droit des peuples à préserver leurs repères culturels. Le nord de Chypre, sous occupation turque depuis 1974, fonctionne comme un territoire isolé où l’histoire chrétienne orthodoxe de l’île est progressivement gommée. Pour le métropolite Basile, il s’agit d’une « stratégie d’effacement identitaire », niant à une population son droit à se souvenir, à transmettre et à exister culturellement dans ses propres lieux.

Dans les couloirs du Parlement européen, certains n’ont pas hésité à employer les termes de « nettoyage culturel » ou de « guerre contre la mémoire ».

Au cœur des échanges, une question dérangeante : que vaut l’engagement européen en faveur du patrimoine et des droits fondamentaux, si l’un de ses propres États membres Chypre voit ainsi bafouée son histoire sur une partie de son territoire, sans réaction ferme des institutions ?

La conférence a fait écho à une inquiétude croissante : la passivité européenne devant des faits que certains pays membres qualifieraient ailleurs de crimes contre le patrimoine. Car derrière les pierres, ce sont des symboles qui tombent. Or, l’Union européenne s’est constituée aussi comme projet de mémoire commune, d’identité respectueuse des diversités, et de réconciliation durable.

Le cas de Chypre est un révélateur de contradictions profondes. D’un côté, l’Union européenne affirme ses principes : État de droit, protection du patrimoine, défense des minorités. De l’autre, elle ménage la Turquie, acteur stratégique dans la région, pays candidat à l’adhésion depuis 1999, mais de plus en plus éloigné des standards européens.

L’absence de reconnaissance de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), proclamée unilatéralement en 1983 et soutenue uniquement par Ankara, n’a pas empêché l’installation de faits accomplis. L’occupation militaire s’est accompagnée d’une colonisation démographique progressive, de transferts de populations, et d’une politique de turquisation culturelle.

Dans ce contexte, l’effacement des églises n’est pas une anomalie : il est un outil. Il témoigne d’une volonté d’ancrer une nouvelle identité dans le nord de l’île, coupée de ses racines gréco-chypriotes.

Alors que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné la Turquie pour atteintes aux droits culturels et religieux à Chypre, les décisions demeurent peu appliquées. Sur le terrain, les appels à la restauration du patrimoine détruit restent lettre morte.

Ce vide juridique et diplomatique est d’autant plus inquiétant qu’il s’accompagne d’un silence médiatique relatif, alors même que d’autres conflits patrimoniaux en Ukraine, en Irak ou en Arménie mobilisent largement les institutions internationales.

La conférence de Bruxelles n’a pas été qu’un moment de dénonciation. Elle a aussi formulé des pistes d’action :

  • Mise en place d’un inventaire européen du patrimoine menacé.
  • Mobilisation d’experts indépendants pour documenter les destructions.
  • Pressions diplomatiques sur Ankara, conditionnant certains accords à des engagements concrets sur la restauration et la protection des lieux de culte.

Mais, pour que ces intentions prennent corps, encore faut-il qu’un consensus politique se dégage. Or, Chypre est souvent considérée comme une « périphérie » européenne, bien loin des centres de décision à Paris, Berlin ou Bruxelles.

Il ne s’agit pas d’entretenir le ressentiment, mais de restaurer une justice élémentaire. Les églises ne sont pas seulement des bâtiments religieux : elles sont aussi des témoins d’une histoire européenne multiséculaire. Leur profanation n’est pas un détail du passé : c’est un symptôme du présent, où la force prime parfois sur le droit, et où la mémoire devient une cible politique.

Le silence, en pareil cas, est une forme de renoncement.