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Iran : l’arrestation de Narges Mohammadi et les enjeux géopolitiques autour des droits humains

Le 12 décembre 2025, Narges Mohammadi, lauréate du Prix Nobel de la paix 2023, a été interpellée en Iran. Cette arrestation, dans un contexte de répression accrue, soulève des questions sur l’efficacité des distinctions internationales et sur les rapports de force dans les relations entre l’Iran et la communauté internationale.

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Narges Mohammadi est une militante iranienne de premier plan, connue pour son engagement en faveur des droits humains, notamment la lutte contre la peine de mort et pour la libération des femmes en Iran. Son arrestation ne constitue pas un incident isolé. Elle s’inscrit dans un parcours de répression continu, marqué par de multiples emprisonnements et condamnations depuis les années 2000. Lors de l’attribution du Prix Nobel de la paix en 2023, Mohammadi était encore incarcérée pour « propagation de la propagande contre l’État » et « action contre la sécurité nationale ». Cette distinction a permis de porter une attention internationale sur sa cause, mais aussi de mettre en lumière la répression systématique des opposants au régime en place à Téhéran.

L’arrestation de Narges Mohammadi intervient dans un contexte de forte répression en Iran, où les libertés fondamentales sont de plus en plus restreintes. Depuis les manifestations de 2022, déclenchées par la mort de Mahsa Amini en détention policière, les autorités iraniennes ont intensifié leur surveillance des militants des droits humains, des journalistes et des défenseurs de la démocratie. L’arrestation de Mohammadi semble être une réponse du régime à la contestation croissante, tant interne qu’internationale, contre ses pratiques autoritaires.

Elle a été interpellée à Mashhad, dans le nord-est du pays, lors d’une cérémonie en hommage à Khosrow Alikordi, un autre défenseur des droits humains décédé récemment. Cette situation semble illustrer la stratégie du gouvernement iranien : contrôler et museler toute forme de contestation, même dans des événements à caractère symbolique et pacifique. De plus, l’attaque physique et la violence présumée de son arrestation indiquent la brutalité de la répression exercée par les autorités iraniennes contre ceux qu’elles considèrent comme des ennemis du régime.

Le Comité Nobel a réagi vigoureusement à cette arrestation, exigeant la libération immédiate de la lauréate. Ce geste symbolique, bien qu’important pour la reconnaissance des luttes pour les droits humains, n’aura probablement pas de conséquences concrètes sur le régime iranien. En effet, si les prix Nobel peuvent offrir une légitimité morale, ils n’ont qu’une portée limitée dans un contexte géopolitique marqué par l’autonomie des États souverains et la priorité donnée aux intérêts stratégiques.

Dans ce cadre, les condamnations internationales s’accumulent, mais la situation de Narges Mohammadi reste tributaire d’un rapport de force où les États occidentaux, tout en exprimant des préoccupations sur les droits humains, n’ont pas montré une volonté forte de rompre avec leurs engagements géopolitiques dans la région. L’Iran, de son côté, semble se montrer de plus en plus imperméable aux pressions extérieures, notamment en raison de ses enjeux internes et de ses alliances stratégiques avec des acteurs comme la Chine et la Russie.

L’affaire Narges Mohammadi soulève la question de l’efficience des mécanismes internationaux pour défendre les droits humains. Les actions diplomatiques entreprises par les organisations internationales, telles que l’ONU ou l’UE, restent largement insuffisantes face à un régime déterminé à préserver son autorité. En l’absence de mesures concrètes telles que des sanctions ciblées ou des pressions économiques efficaces les répressions comme celle vécue par Mohammadi risquent de se multiplier sans que la communauté internationale ne puisse apporter une réponse significative.

Ainsi, au-delà du cas individuel de Narges Mohammadi, c’est l’efficacité de la diplomatie des droits humains et la véritable portée des distinctions internationales qui sont mises en question. Le cas de Mohammadi illustre les limites de l’action diplomatique dans des régimes autoritaires, où les droits humains sont souvent relégués au second plan au profit de considérations géopolitiques. L’Iran, fort de son indépendance politique et économique, semble prêt à affronter la critique internationale, comme l’ont démontré ses récentes prises de position face à l’Occident.

Au-delà de la situation politique iranienne, l’arrestation de Narges Mohammadi constitue un rappel de la nécessité de soutenir les mouvements de défense des droits des femmes dans des contextes autoritaires. Dans un pays où les droits des femmes sont sévèrement limités, la militante incarne un modèle de résistance pacifique, mais déterminée. Son combat pour l’abolition de la peine de mort et pour la reconnaissance des droits des femmes demeure une cause essentielle, non seulement pour l’Iran, mais aussi pour l’ensemble du monde.

Celine Dou, pour la boussole-infos

Tunisie — Sonia Dahmani libérée : le cas emblématique de la répression via le décret‑loi 54

Sonia Dahmani, avocate et commentatrice tunisienne, a recouvré la liberté le 27 novembre 2025 après 18 mois de détention. Son parcours judiciaire illustre les tensions croissantes entre législation sur la cybercriminalité, liberté de la presse et respect des droits fondamentaux en Tunisie.

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Depuis 2022, le décret‑loi 54, présenté comme un outil de lutte contre la désinformation en ligne, est dénoncé pour sa portée vague et son usage répressif contre les voix critiques. Selon le Committee to Protect Journalists (CPJ), ce texte a conduit à l’incarcération d’au moins cinq journalistes en 2024, un record depuis trois décennies.

Le 11 mai 2024, Sonia Dahmani est arrêtée lors d’une descente policière au siège de l’Ordre des avocats à Tunis. Ses prises de parole dans les médias (radio IFM, télévision Carthage Plus) sont jugées “fausses informations” ou “incitation à la haine”, motifs retenus contre elle dans le cadre du décret 54.

En juillet 2024, elle est condamnée en première instance pour diffusion de fausses informations. La peine est réduite en appel à huit mois de prison, mais de nouvelles condamnations suivent rapidement. En octobre 2024, elle reçoit deux ans de prison pour commentaires sur la situation des migrants subsahariens en Tunisie, et en juin 2025, une nouvelle peine de deux ans est prononcée pour des interventions télévisées. Certaines affaires ont été requalifiées en “felony”, pouvant entraîner jusqu’à dix ans de prison.

Au total, Sonia Dahmani faisait face à au moins cinq dossiers distincts, ce qui, selon les ONG, constitue un usage cumulatif du décret 54 visant à intimider et réduire l’espace de parole critique.

Durant sa détention à la prison de Manouba, Sonia Dahmani a été soumise à des conditions jugées indignes par des ONG internationales. Des témoignages signalent un accès limité aux soins pour ses problèmes de santé chroniques (diabète, hypertension, thyroïde) ainsi que des fouilles humiliantes et l’absence d’assistance juridique régulière.

Ces éléments renforcent les critiques sur l’utilisation de la détention préventive et sur le harcèlement judiciaire comme instrument de pression politique.

Le 27 novembre 2025, le ministère de la Justice a annoncé la libération conditionnelle de Sonia Dahmani. Les syndicats de journalistes tunisiens, dont le SNJT, saluent cette décision tout en rappelant que plusieurs poursuites restent en cours, maintenant un risque juridique significatif.

Selon les ONG et avocats, cette libération ne met pas fin à la menace que représente le décret 54 pour le pluralisme médiatique et le droit d’expression.

Le cas Sonia Dahmani illustre plusieurs enjeux majeurs :

  • Utilisation juridique du décret 54 pour museler les critiques, notamment les journalistes et avocats.
  • Accumulation des poursuites contre une même personne, créant un climat de peur et d’autocensure.
  • Fragilité des garanties démocratiques en Tunisie, avec des atteintes au pluralisme et aux droits fondamentaux.
  • Répercussions régionales : le cas alerte sur les pratiques similaires dans d’autres pays d’Afrique du Nord et au-delà, où la législation sur les “fausses informations” peut être détournée.

Des organisations internationales rappellent que la liberté d’expression est protégée par la Constitution tunisienne et les engagements internationaux de la Tunisie. L’affaire Dahmani devient ainsi un baromètre du respect de ces droits et un signal d’alarme pour la société civile et les médias indépendants.

  • SNJT : “Une victoire symbolique, mais la vigilance reste de mise pour protéger tous les journalistes poursuivis.”
  • CPJ et Amnesty International : appellent à la réforme du décret 54 et à la libération de tous les journalistes emprisonnés.
  • Médias internationaux : relaient l’affaire comme un exemple des restrictions croissantes de la liberté d’expression en Tunisie.

La libération de Sonia Dahmani ne clôt pas les enjeux qu’elle incarne. Son dossier souligne la nécessité de surveiller l’application du décret 54 et d’assurer la protection de la liberté de la presse et du débat public en Tunisie. La communauté internationale et nationale reste attentive aux développements, tandis que le cas Dahmani continue d’être un symbole du combat pour les droits fondamentaux et la démocratie.

Celine Dou

Présidentielle ivoirienne 2025 : entre autoritarisme et éviction des opposants

La Côte d’Ivoire ouvre ce jour les urnes pour une présidentielle marquée par une concentration du pouvoir et une marginalisation systématique des opposants politiques. Le président sortant, Alassane Ouattara, brigue un quatrième mandat dans un contexte où la démocratie formelle masque une réalité politique où le pouvoir centralise et contrôle.

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La Commission électorale indépendante (CEI) a validé cinq candidatures : Jean-Louis Billon, Simone Gbagbo, Ahoua Don Mello, Henriette Lagou et Alassane Ouattara. Les candidatures de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam ont été rejetées, respectivement en raison de leur inéligibilité et de leur radiation de la liste électorale.

Le déploiement de plus de 44 000 agents de sécurité à travers le pays témoigne d’une volonté de contrôle strict du processus électoral. Cette mesure, bien que justifiée par des raisons de sécurité, soulève des interrogations sur les intentions réelles du pouvoir en place.

L’éviction des principaux opposants

Laurent Gbagbo, ancien président et leader du Parti des peuples africains Côte d’Ivoire (PPA-CI), a vu sa candidature rejetée en raison de son inéligibilité. Tidjane Thiam, ancien directeur général de Credit Suisse et président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a été radié de la liste électorale, malgré sa renonciation à sa nationalité française pour se conformer aux exigences légales.

Ces exclusions ont conduit à une fragmentation de l’opposition, réduisant ainsi la compétition démocratique et renforçant la position dominante du président sortant.

Répression et restrictions des libertés

Depuis la publication de la liste définitive des candidats, les autorités ont interdit les manifestations publiques, limitant ainsi la liberté d’expression et de rassemblement. Cette répression a été accompagnée de plusieurs arrestations de manifestants et de militants politiques.

Les médias indépendants font face à des pressions croissantes, avec des restrictions sur la couverture des activités de l’opposition et des tentatives de contrôle de l’information.

Une société divisée et inquiète

La jeunesse ivoirienne, représentant une part significative de la population, exprime une frustration croissante face à la situation politique actuelle. Les préoccupations incluent le chômage élevé, l’inégalité des chances et la perception d’un système politique qui favorise une élite au détriment du peuple.

Dans les zones rurales, le climat d’insécurité et les restrictions imposées par les autorités ont conduit à une faible participation électorale, exacerbant ainsi la fracture entre les zones urbaines et rurales.

Implications régionales et internationales

La stabilité de la Côte d’Ivoire a des répercussions sur l’ensemble de la région ouest-africaine. Les tensions politiques internes, combinées à des restrictions des libertés fondamentales, pourraient affecter les relations du pays avec ses partenaires internationaux, notamment la CEDEAO, l’Union européenne et les États-Unis.

La communauté internationale suit de près l’évolution de la situation, soulignant l’importance du respect des principes démocratiques et des droits humains dans le processus électoral ivoirien.

La présidentielle ivoirienne de 2025 se déroule dans un contexte où la démocratie est mise à l’épreuve. L’éviction des principaux opposants, la répression des libertés publiques et le contrôle strict du processus électoral soulignent une dérive autoritaire préoccupante. Alors que le pays se dirige vers les urnes, les interrogations sur la légitimité du scrutin et l’avenir démocratique de la Côte d’Ivoire demeurent.

La rédaction

Iran : la loi sur l’espionnage menace la liberté d’expression et interpelle la communauté internationale

Le Parlement iranien a adopté une nouvelle loi sur l’espionnage qui prévoit la peine de mort pour certaines publications jugées « criminelles » sur les réseaux sociaux. Cette législation suscite de vives inquiétudes sur la répression de la liberté d’expression et les risques d’exécutions arbitraires dans le pays.

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Adoptée en juin 2025, cette loi vise à renforcer les sanctions contre toute personne accusée de « coopération avec des gouvernements hostiles », notamment Israël et les États‑Unis d’Amérique. Les amendements introduisent la possibilité de qualifier ces actes de « corruption sur terre » (efsad fel-arz), une infraction passible de la peine capitale dans le droit iranien.

Par ailleurs, la loi englobe la propagande ou toute activité en ligne jugée « hostile » ou portant atteinte à la « sécurité nationale », ouvrant la voie à des condamnations lourdes, incluant la prison à vie et la peine de mort.

Cette législation menace directement les journalistes, activistes, défenseurs des droits humains et internautes, qui risquent d’être accusés d’espionnage ou de « corruption sur terre » pour des activités pourtant pacifiques. Amnesty International et plusieurs ONG ont alerté sur le risque de procès arbitraires et de tortures dans les prisons iraniennes, notamment à Evin, où sont détenus de nombreux journalistes et opposants politiques.

Les minorités ethniques et religieuses, ainsi que la jeunesse connectée aux réseaux sociaux, apparaissent particulièrement vulnérables. L’autocensure se généralise, freinant la circulation de l’information et les débats critiques dans la société civile.

Cette loi s’inscrit dans un contexte de tensions régionales et internationales. Les récentes frappes israéliennes et les accusations d’espionnage à l’encontre de citoyens iraniens ont été suivies d’une vague d’arrestations. Le gouvernement iranien justifie sa législation comme une mesure de « protection nationale », mais celle-ci s’aligne également sur un contrôle renforcé de l’opinion publique, limitant la contestation interne.

Pour la communauté internationale, ce texte constitue un signal préoccupant sur le respect des droits fondamentaux et des engagements internationaux de l’Iran, notamment en matière de libertés civiles et de procès équitables.

Au-delà de l’Iran, cette loi soulève des questions sur la manière dont les régimes peuvent instrumentaliser des accusations d’espionnage pour restreindre la liberté d’expression. Elle illustre le risque de criminalisation des voix dissidentes, particulièrement dans un monde où l’information circule rapidement et globalement.

Elle souligne également l’importance du suivi international : sanctions ciblées, pressions diplomatiques et soutien aux journalistes et défenseurs des droits humains sont essentiels pour prévenir les abus et protéger les libertés fondamentales.

La loi iranienne sur l’espionnage n’est pas seulement une question interne : elle résonne comme un avertissement sur les limites de la liberté d’expression dans un régime autoritaire. En restreignant le droit de parole et en menaçant la vie des citoyens pour leurs opinions, l’Iran confronte la communauté internationale à un dilemme : comment défendre les droits humains face à des textes législatifs qui transforment la parole en crime.

Celine Dou

Kenya | Une mémoire douloureuse sous tension : Nairobi commémore les victimes des manifestations de juin 2024

Un an après la vague de protestation qui a secoué le Kenya, les commémorations de ce 25 juin 2025 résonnent comme un cri de mémoire et un appel à la justice dans un climat social toujours tendu.

Des centaines de personnes se sont réunies pour rendre hommage aux victimes des violentes manifestations de juin 2024, qui avaient éclaté en réaction au projet gouvernemental d’augmentation généralisée des taxes. Une soixantaine de morts, des centaines de blessés, et plusieurs dizaines de disparus avaient été recensés à l’époque. Ces événements avaient laissé une cicatrice profonde dans l’opinion publique kenyane.

À l’origine du soulèvement : une pression fiscale jugée insoutenable par de nombreux citoyens, dans un contexte de forte inflation, de chômage persistant en particulier chez les jeunes et d’un coût de la vie en hausse constante. Les étudiants, jeunes diplômés, travailleurs informels ou précaires furent les plus nombreux à descendre dans la rue, criant leur désespoir face à ce qu’ils percevaient comme une déconnexion brutale entre les élites politiques et la réalité sociale.

Le gouvernement, dirigé par le président William Ruto, avait alors répondu par un déploiement massif des forces de sécurité. Si les autorités affirmaient vouloir éviter une déstabilisation du pays, la répression brutale des manifestations avait été largement critiquée par la société civile et plusieurs organisations internationales de défense des droits humains. Des cas d’arrestations arbitraires, d’enlèvements non élucidés et de violences policières ont été recensés, sans que les responsabilités ne soient clairement établies à ce jour.

Ce 25 juin 2025, les commémorations sont organisées à l’appel de plusieurs associations citoyennes et collectifs de familles endeuillées. Sur les réseaux sociaux, les hashtags #JusticeForJuneVictims et #NeverForgetKenya témoignent de l’écho encore très vif de ces événements.

Mais l’émotion s’accompagne de craintes. Des dispositifs de sécurité renforcés ont été déployés à Nairobi et dans plusieurs grandes villes du pays. Les autorités redoutent que ces rassemblements ne ravivent les tensions sociales, alors même que le débat sur la justice fiscale, la gouvernance et la transparence reste entier. Le rapport parlementaire promis sur les exactions policières n’a toujours pas été publié, et aucune réforme institutionnelle d’envergure n’a vu le jour.

Au-delà de la mémoire, ces commémorations interrogent la capacité de l’État kényan à garantir les droits fondamentaux dans un contexte de crispation sociale. Le droit de manifester, la liberté d’expression et la redevabilité des institutions apparaissent comme des piliers fragilisés dans une démocratie pourtant régulièrement citée en modèle en Afrique de l’Est.

Plus largement, le cas kényan soulève une question cruciale pour de nombreux pays du continent africain : comment concilier stabilité budgétaire et équité sociale ? Dans un monde marqué par l’endettement public croissant, les injonctions des bailleurs internationaux et les fragilités internes, la tentation de mesures fiscales impopulaires revient avec régularité. Mais lorsqu’elles ne sont pas accompagnées de transparence, de pédagogie et de justice redistributive, elles peuvent devenir le terreau de crises politiques majeures.

Les commémorations de Nairobi ne sont pas seulement un hommage aux disparus. Elles rappellent l’exigence de vérité, de justice et de réforme dans une société kényane en quête de dignité. Elles soulignent, à un an de la tragédie, que la mémoire collective peut être un levier pour refonder un contrat social plus juste, ou au contraire un marqueur persistant de rupture si les promesses restent lettres mortes.

France : le « proxénétisme de cité », entre mutations sociétales et préoccupations sécuritaires

Selon des informations révélées cette semaine par Europe 1, le phénomène désigné sous le nom de « proxénétisme de cité » aurait été multiplié par dix en France au cours de la dernière décennie. Une affirmation qui suscite autant de réactions qu’elle pose de questions : de quoi parle-t-on précisément ? Quelle est la portée réelle du phénomène ? Et surtout, comment analyser cette évolution sans sombrer dans la caricature ou l’instrumentalisation ?

L’expression « proxénétisme de cité » ne correspond à aucune qualification juridique spécifique. Elle désigne de manière informelle une forme de prostitution organisée par de jeunes hommes issus de certains quartiers urbains, souvent en lien avec d’autres formes de délinquance comme le trafic de stupéfiants. Ces réseaux sont décrits comme informels, fragmentés, parfois très jeunes, et ayant recours aux réseaux sociaux pour organiser la mise en relation entre clients et victimes.

L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) note effectivement une augmentation du nombre de procédures liées au proxénétisme sur les dernières années. Toutefois, les chiffres avancés dans les médias multiplication par dix ne semblent pas étayés par des données officielles publiques, du moins à ce jour. Il s’agirait davantage d’une estimation globale portant sur les nouveaux cas repérés dans certaines zones sensibles, selon les témoignages de policiers ou d’intervenants associatifs.

Ce qui caractérise ces nouvelles pratiques, c’est l’usage massif du numérique. Des plateformes comme Snapchat, Instagram ou des sites d’annonces spécialisées sont utilisées pour recruter des jeunes filles parfois mineures et organiser leur exploitation. Certains proxénètes utilisent des techniques de manipulation affective, connues sous le nom de « loverboys », pour entraîner les victimes dans des relations d’emprise où l’affect se confond avec l’exploitation économique.

Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation de la prostitution en France, qui tend à se dématérialiser, à se diffuser sur l’ensemble du territoire, et à toucher des publics de plus en plus jeunes. Des expertises judiciaires signalent également une invisibilisation croissante du phénomène*m, les réseaux se rendant plus discrets, mobiles et adaptatifs, échappant ainsi aux modèles classiques d’enquête.

Les principales victimes de ces réseaux sont des adolescentes en situation de fragilité sociale : déscolarisation, ruptures familiales, isolement psychologique, précarité économique. Certaines sont sous emprise, d’autres contraintes par des menaces, et beaucoup évoluent dans des environnements marqués par l’absence d’adultes protecteurs ou de dispositifs d’écoute efficaces.

La loi française interdit le proxénétisme, même si la prostitution en soi n’est pas un délit. Depuis 2016, l’achat d’actes sexuels est pénalisé, dans une logique de protection des personnes prostituées. Toutefois, les associations dénoncent une insuffisance des moyens de prévention et d’accompagnement, notamment en milieu scolaire, ainsi qu’un manque de coordination entre services sociaux, judiciaires et éducatifs.

L’usage médiatique de la notion de « proxénétisme de cité » n’est pas neutre. Il tend à associer de manière mécanique certaines formes de criminalité à des territoires définis, renforçant les logiques de stigmatisation déjà à l’œuvre dans le débat public sur les quartiers dits sensibles. Or, le proxénétisme ne se limite pas à ces zones : il existe également dans les milieux bourgeois, les réseaux transnationaux ou les cercles festifs, parfois avec un degré d’organisation et de violence bien supérieur.

En ce sens, la focalisation exclusive sur les quartiers populaires risque de masquer la diversité des formes de traite et d’exploitation sexuelle à l’échelle du pays. Elle contribue également à détourner l’attention des logiques de demande c’est-à-dire de consommation de services sexuels qui restent peu interrogées dans l’espace public.

Au-delà du phénomène en lui-même, la question du proxénétisme en France renvoie à des enjeux plus profonds :

~ Quelles sont les aspirations de la jeunesse face à un horizon économique incertain ?
~ Pourquoi les outils de prévention semblent-ils inadaptés à la réalité des réseaux sociaux ?
~ Comment expliquer l’absence de dispositifs massifs d’éducation à la sexualité, à la citoyenneté et aux violences de genre ?
~ Pourquoi les grandes plateformes numériques ne sont-elles pas davantage mises en cause dans leur rôle passif ou complice ?

Le phénomène observé dans certaines cités françaises est donc le révélateur d’un malaise plus vaste, qui concerne l’ensemble du corps social : déficit de repères, perte de confiance dans les institutions, fascination pour l’argent facile, invisibilisation des victimes, faible réponse judiciaire.

Loin des raccourcis sensationnalistes, La Boussole – infos appelle à une approche rigoureuse, nuancée et structurelle de cette problématique. Il ne s’agit ni de nier l’existence de ces réseaux, ni de les réduire à une représentation simpliste. Mais d’analyser avec méthode un phénomène social en mutation, qui traverse les couches de la société française et met en lumière les failles de son système éducatif, numérique et judiciaire.

Le combat contre l’exploitation sexuelle des mineures ne peut se gagner par la seule répression. Il exige une mobilisation collective fondée sur la connaissance, la responsabilité et la prévention.